Le commerce intra-africain ne représente que 16% de la totalité des échanges du continent, contre 73% avec les pays européens et 52% avec les pays asiatiques. En 2021, les investissements directs étrangers (IDE) vers les pays africains ont atteint un niveau record de 83 milliards de dollars, soit 5,2 % des IDE mondiaux, contre 4,1 % en 2020, selon le rapport 2022 sur l’investissement dans le monde de la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement).

A la CNUCED, les investissements interafricains ne figurent pas en première place, c’est la BAD (Banque africaine de développement) qui en parle dans un rapport, citant le Maroc comme étant le deuxième plus grand investisseur africain en Afrique subsaharienne, après l’Afrique du Sud, avec jusqu’à 85 % des IDE marocains destinés à la région.

Le montant des investissements marocains s’élève à 4 milliards de dollars ($), ce qui reste loin des investissements britanniques sur toute l’Afrique de 65 milliards de dollars et ceux de la France de 60 milliards de dollars.

Les investissements interafricains sont dérisoires par rapports à ceux de l’Europe et d’Asie. Les questions qui se posent sont : qu’est-ce qui les bloque ? Des raisons politiques ? Des cadres juridiques handicapants ou des institutions financières qui n’accompagnent pas, n’encouragent pas et ne financent pas les opérateurs africains intéressés par des investissements dans le continent ?

«Les pays africains gagneraient à développer et diversifier leur participation au commerce international et aux chaînes de valeur mondiales pour réduire la pauvreté à grande échelle et transformer les économies du continent. Même si les exportations africaines de biens et services ont enregistré une croissance particulièrement rapide au cours des dix dernières années, leur volume reste faible et représente à peine 3 % du commerce mondial. Un nouveau cadre est aujourd’hui nécessaire pour promouvoir des politiques commerciales qui permettront d’élargir et de diversifier l’accès de la région aux marchés d’exportation, tout en renforçant les échanges intra-africains».

C’est ce qu’a déclaré Marouane El Abassi, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) aux « Journées annuelles du Club des dirigeants de banques et établissements des crédits d’Afrique » tenues récemment à Tunis sous le thème : « Quelle réglementation bancaire pour les économies africaines ? ».

C’est une modification profonde et radicale des stratégies des banques et de leurs modes de fonctionnement imposée par des crises successives depuis l’avènement de la pandémie Covid-19 et jusqu’à la guerre russo-ukrainienne et ses conséquences sur les économies mondiales qui doit être produite, estime Marouane El Abassi.

« Le renforcement du cadre de régulation du secteur bancaire a permis aux banques par le monde, dont les banques africaines, de faire preuve de résilience, de flexibilité et de réactivité face à la crise, les régulateurs africains se retrouvent actuellement appelés à gérer de nouveaux enjeux et défis ».

L’inclusion financière : une affaire de tous

Le gouverneur de la BCT cite la situation géopolitique instable, les tensions inflationnistes dues au renchérissement des prix des produits de base et des matières premières qui ont fragilisé le tissu économique et impacté le pouvoir d’achat des populations exacerbant la précarité et l’inclusion financière. « Une inclusion qui doit être l’affaire de tous et qui passe par la facilitation de l’accès aux services bancaires de base, le développement de relations de confiance avec la clientèle bancaire et la garantie de leur protection via la prévention du surendettement, une transparence accrue, une tarification responsable, un traitement respectueux et équitable des clients ».

Le patron de la BCT évoque aussi la révolution numérique porteuse d’opportunités mais concourant également à l’émergence de nouveaux risques que le secteur bancaire devra correctement appréhender pour réussir cette transformation et le dérèglement climatique (sécheresse, désertification, tarissement des ressources hydrauliques, érosion des côtes…) auquel le continent africain demeure fortement exposé malgré sa faible contribution aux émissions de gaz à effet de serre.

Une justice économique est nécessaire, mais l’Etat ne doit pas se substituer au secteur privé plus innovant et plus créatif

Ferid Belhaj, vice-président de la Banque mondiale pour la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), est revenu sur ces mêmes axes, insistant sur l’importance du développement du système financier pour la croissance économique et le rôle de l’Etat régulateur dans la mise en place et la gestion des activités économique dans les pays africains. « Un rôle régulateur et facilitateur pour assurer une concurrence économique loyale, freiner les tendances monopolistiques des grands acteurs, sanctionner leurs dérives éventuelles et encourager de nouveaux opérateurs et en prime les jeunes entrepreneurs à participer à la dynamique économique de leurs pays. Une justice économique est nécessaire mais pour autant, l’Etat ne doit pas se substituer au secteur privé plus innovant et plus créatif dont le rôle doit être prééminent».

Il appelle les pays africains à adopter des politiques financières inclusives. Les acteurs financiers africains sont devenus plus conscients de l’importance d’un développement vert, intelligent et inclusif. Des stratégies ont été mises en place pour faciliter le financement des entreprises insuffisamment desservies et des groupes auparavant exclus de la finance formelle avec pour objectif de doter les individus des moyens de subsistance et de lutter contre la pauvreté.

Ces mêmes acteurs commencent aussi à saisir les occasions que recèle la finance verte. Les banques sont de plus en plus conscientes de la nécessité d’élaborer des programmes et des politiques pour faire face aux risques que représentent les changements climatiqueset profiter des opportunités de l’économie verte même si la décarbonisation coûte très cher estime Ferid Belhadj.

Un changement de paradigme s’impose

Le contexte mondial actuel impose un changement de paradigme, interpelle Marouane El Abassi : «Cela ne concerne pas uniquement les institutions financières mais aussi les régulateurs bancaires africains, qui doivent entreprendre une rupture progressive avec l’approche de régulation bancaire “régalienne” en faveur d’une résilience inclusive. Les autorités de régulation sont, à ce titre, appelées à s’acquitter du rôle de propulseur et de facilitateur afin d’ancrer la dimension économique et sociale dans la gouvernance des banques assujetties dans leurs modèles d’affaires. Ils doivent aussi assurer le rôle d’accompagnement que ces autorités sont supposées jouer pour faciliter et réussir la transition escomptée pour disposer, in fine, d’un système solide à même d’assurer un financement sain, durable, responsable et inclusif ».

Les autorités de régulation sont appelées à s’acquitter du rôle de propulseur et de facilitateur afin d’ancrer la dimension économique et sociale dans la gouvernance des banques.

Comment y parvenir lorsque, comme le précise Mouna Saïed, secrétaire générale de l’ATPBF, « dans les pays africains, les régulateurs mettent en place un cadre réglementaire aligné sur les standards des économies de marché très développés dans un souci de renforcer la confiance et l’attractivité des économies du continent encore orientées-Etat »?

La convergence vers les standards internationaux et la consécration des principes de bonne gouvernance, d’équité concurrentielle et de transparence constituent la ligne directrice de toutes les réformes, répond M. Abassi, tout en optant pour une approche concertée et graduelle qui tient compte des spécificités des contextes nationaux et de la capacité d’adaptation des banques sur place.

Il donne l’exemple de la Tunisie où la BCT a axé ses orientations à court et moyen termes sur la promotion des moyens et systèmes de paiement en tant que levier pour l’inclusion et la stabilité financière, l’ancrage de la dimension RSE dans la régulation, la gouvernance et les pratiques du système bancaire ainsi que la consolidation de son rôle comme facilitateur et acteur de premier plan dans l’accompagnement des innovations technologiques et financières.

La BCT, précise-t-il, entend implémenter une politique d’Open Banking afin de favoriser l’émergence de nouveaux cas d’usage plus attrayants qui profiteraient à toutes les parties prenantes de la chaîne de valeur des services financiers.

Reste que malgré les efforts fournis par certains pays africains au niveau de l’inclusion financière, dont le Rwanda, 86% d’entre eux ont un taux d’inclusion inférieur à 50%, il y en a dont le taux d’inclusion financière est inférieur à 20%. Conséquence : la paupérisation de la population africaine à majorité agricole et en prime les femmes et les jeunes. Une exclusion qui touche aussi les PME. Le système financier des pays du continent noir est centré sur les banques et les microfinances, les autres composantes sont soit naissantes, soit en restructuration.

La BCT entend implémenter une politique d’Open Banking afin de favoriser l’émergence de nouveaux cas d’usage plus attrayants qui profiteraient à toutes les parties prenantes

Pour les experts de la BM, pour un écosystème porteur en Afrique, il faut un environnement juridique et réglementaire à même de stimuler des flux de capitaux mieux adaptés aux marchés ainsi que des produits financiers adaptés au secteur informel (micro-leasing, dispositifs spécifiques pour l’évaluation des risques de crédit, etc.).

Partant de tous ces défis et de beaucoup de constats, la question posée par Mouna Saied est : Où mettre le curseur, lorsque nous savons la multitude et l’ampleur des risques encourus par le secteur bancaire et financier à l’échelle mondiale et l’obligation de se soumettre à des arsenaux juridiques et réglementaires trop lourds ?