Dans l’interview ci-dessous, Mondher Khanfir, auteur et conseiller en politique publique, évoque le grand chantier de la relance du secteur du BTP en Tunisie. Il assure avoir décliné un Plan de développement stratégique (PDS) à la demande de l’OIT pour le secteur du BTP à l’UTICA ; plan qui repose sur une nouvelle vision et des objectifs stratégiques plus ambitieux

Entretien.

WMC : Vous êtes l’auteur d’un Plan de développement stratégique (PDS) pour le secteur du BTP. Quelle est sa finalité ?

Mondher Khanfir : Je précise d’abord que mon ordonnateur est l’Organisation internationale du travail (OIT), et que le bénéficiaire est la Fédération nationale des entreprises du bâtiment et des travaux publics (FNEBTP) relevant de l’UTICA (Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat, ndlr). Et je leur ai remis un Plan de développement stratégique (PDS) qui porte sur les cinq prochaines années. Ce dernier traduit la volonté de la FNEBTP d’engager une plus large adhésion et jouer un rôle plus impactant pour l’ensemble de la filière de la Construction.

Par la force des choses, cette perspective repose sur une nouvelle vision et des objectifs stratégiques plus ambitieux, qu’il a fallu transcrire en initiatives réalistes et réalisables.

Comment avoir décliné une vision nouvelle et la stratégie adéquate ?

Je suis parti d’un principe fondamental. Pour construire une organisation d’employeurs forte, il faut avoir un secteur fort. A partir de là, et en m’appuyant sur une démarche participative impliquant les membres de la FNEBTP, on a développé une vision qui repose sur de nouveaux leviers de la performance et un nouveau positionnement, à savoir une organisation d’employeurs du BTP qui non seulement défend l’intérêt de ses membres, mais joue aussi le rôle d’animateur de l’écosystème de la construction.

Quant à la stratégie, sa nouveauté réside dans le fait qu’elle soit formalisée et cartographiée pour être lisible et compréhensible par la filière de la construction dans son ensemble, intégrant ainsi toutes les parties prenantes de la chaîne de valeur.

Quel est le rôle des parties prenantes dans la mise en œuvre du PDS de la FNEBTP ?

Leur rôle est la recherche de la performance globale dans la construction. Il a fallu donc profiler tout l’écosystème de la construction et déborder du périmètre des métiers du BTP pour aller vers les centres techniques, les universités, les prestataires de services tels que les urbanistes, les architectes, les agences de contrôle, mais également les financeurs et les industriels des équipements et des matériaux, pour ne citer que ceux-là.

Compte tenu de la diversité des parties prenantes, considérez-vous qu’elles feraient bloc autour de la stratégie ?

Le rôle de la Fédération est d’agglomérer toutes les parties prenantes autour d’un objectif d’intérêt général. Je sais que le jour de la présentation publique du PDS, tous les acteurs clés étaient invités et n’ont pas manqué de prendre part au débat. Je pense qu’une synergie pourrait naître à l’avenir entre les différentes parties.

Cependant, tous les métiers ne disposent pas de représentation syndicale. Comment remédier à cela ?

Effectivement, sur les 70 spécialités de la construction qui sont répertoriées dans le référentiel des métiers, seuls 40 métiers disposent de représentation patronale. Réunir les 30 métiers manquants dans des chambres syndicales est déjà en soi un objectif incontournable.

L’interfaçage avec le Registre National des Entreprises (RNE) peut aider à identifier les entreprises à mobiliser, du moins celles qui sont dans le secteur formel.

En quoi consiste la future stratégie de la FNEBTP ?

Elle est décrite autour de quatre perspectives, à savoir financière, adhérents, processus internes et apprentissage. Dans cette projection, la Fédération jouera le rôle de moteur de progrès et de vecteur de la relance économique du pays. Pour cela, il faudra une nouvelle organisation plus étoffée en personnel permanent.

Désormais la Fédération devra fonctionner comme une entreprise en capitalisant sur ses actifs, qui passeront en cinq ans de quelques dizaines de milliers de dinars à 1,5 million de dinars, développant ainsi une vraie plateforme d’informations juridiques, fiscales et commerciales utiles au business.

Cela inclura également des actions pointues de formation et d’accompagnement à l’innovation.

Pour faire court, je dirais que la Fédération doit être en mesure de donner l’exemple en matière de planification stratégique, de bonne gouvernance et de dialogue avec l’ensemble des parties prenantes. C’est à cette condition que la filière atteindra l’excellence.

Quelles sont les initiatives marquantes du PDS ?

Je propose entre autres une mise à niveau des opérateurs de la filière avec la constitution d’un premier fonds de 100 millions de dinars pour la phase pilote. Cependant, il ne s’agit pas d’une mise à niveau classique mais bien d’une mise à niveau environnementale et digitale, qui aidera les opérateurs à intégrer les normes et les standards internationaux les plus stricts, tout en veillant à l’optimisation énergétique et la valorisation des données.

Ne mettez-vous pas la barre très haut ?

Il s’agit d’une œuvre de refondation de l’écosystème de la construction, lequel, par sa force d’entraînement, apparaît comme une affaire d’Etat.

Imaginez que sa contribution au PIB, qui est à l’heure actuelle de 800 millions de dinars, pourrait être portée en cinq ans à 5 milliards de dinars et même davantage.

Vous semblez focaliser sur le marché intérieur ?

Je focalise sur une dynamique intérieure car les besoins du marché local sont déjà immenses et doivent être couverts en priorité. Mais observez bien que les exigences de mise à niveau environnementale et technologique sont des atouts pour envisager un redéploiement au moins à l’échelle du continent africain.

On a le sentiment que ça va bouger dans la sphère du BTP. L’on pourrait connaître une dynamique de concentration ?

Ce n’est pas à exclure. On peut tout à fait imaginer des opérations structurantes de fusion-acquisition. On peut également voir se constituer des consortiums pour attaquer des marchés à l’international. Le défi à relever par la FNEBTP sera de se restructurer tout en restructurant la filière de la construction. C’est cela le grand chantier de la relance du BTP.

Propos recueillis par Ali Abdessalam