L’agriculture tunisienne se trouve aujourd’hui à la croisée de multiples défis de dimension socioéconomique, alimentaire, territoriale et environnementale.

L’agriculture tunisienne occupe une place importante dans les équilibres socioéconomiques de la Tunisie : elle contribue à hauteur de 9% au PIB national, emploie environ 17% de la main-d’œuvre et participe à l’équilibre de la balance commerciale à travers les exportations de certains produits phares.

Mais elle se trouve aujourd’hui à la croisée de plusieurs défis de dimension socioéconomique, alimentaire, territoriale et environnementale.

Socialement, plus d’un demi-million d’exploitants de tailles variables vivent de l’agriculture et la maintiennent à son niveau actuel de production ; environ 50% d’entre eux gèrent des exploitations de taille inférieure à 5 hectares. L’exploitation familiale représente une part très importante de l’effectif total des exploitations agricoles, elle exploite autour de 2,3 millions d’hectares, soit 43% de la superficie agricole totale.

Une précarité caractérise une grande part des agriculteurs, particulièrement ceux installés sur les petites parcelles dans les zones difficiles et peu productrices.

Sur le plan alimentaire, l’agriculture tunisienne est passée en quelques décennies d’une situation de relative autosuffisance alimentaire, au lendemain de l’indépendance, à un déficit alimentaire et une croissante exposition aux aléas des marchés mondiaux de matières premières alimentaires. Les perspectives des crises internationales et des changements climatiques font craindre une accentuation de ces phénomènes.

Sur le plan territorial, l’agriculture contribue fortement à la dynamique des régions et particulièrement en milieu rural ; elle constitue de ce fait et souvent l’ossature autour de laquelle se structure la vie sociale et économique dans plusieurs régions du pays.

En continuité à la dimension territoriale, l’agriculture pèse aujourd’hui -et de manière prononcée- sur l’environnement et le capital naturel. Le sol, support de toute production animale et végétale ainsi que l’eau -élément essentiel à toute production agricole- subissent aujourd’hui des pressions importantes qui nous amènent souvent à nous questionner sur leur pérennité et par conséquent sur la durabilité de l’agriculture.

De mutations substantielles nécessaires pour l’agriculture tunisienne

En réponse à cette situation et à cet ensemble de défis -actuels et émergents- en relation avec les changements climatiques, l’agriculture tunisienne, et afin qu’elle continue à assurer sa fonction principale de producteur alimentaire et d’élément fondamental des équilibres sociaux, économiques, territoriaux et environnementaux, est amenée à opérer des changements et des mutations substantielles intrinsèques tout en étant en prolongement avec son environnement.

Le capital de base de l’agriculture, en l’occurrence le sol, support de toutes les terres arables, doit être protégé et même réhabilité, là où de telles interventions sont possibles. L’activité agricole elle-même doit être menée de manière non pas à préserver uniquement ce capital mais mieux encore à le protéger et le réhabiliter. Des incitations et des encouragements aux bénéfices des agriculteurs qui s’y engagent doivent être pensés dans ce sens.

Une nouvelle forme de gouvernance de l’eau

Deuxième composante naturelle, l’eau, fondamentale pour la durabilité de l’agriculture, se fait aujourd’hui de plus en plus rare. Elle est autant convoitée par d’autres usagers et impose de plus en plus une nouvelle forme de gouvernance qui assurerait les équilibres recherchés dans l’agriculture ainsi que dans l’ensemble des domaines.

La gestion de la demande de la ressource doit dorénavant primer sur celle de la recherche continuelle de l’augmentation de l’offre. L’économie de l’eau à la parcelle, particulièrement dans les périmètres irrigués, la valorisation de la ressource et surtout le choix de nouvelles spéculations agricoles moins consommatrices en eau constitueraient les voies vers lesquelles l’agriculture sera amenée à s’orienter dans les prochaines années.

Tout cela ne sera bien entendu possible qu’à travers une révision profonde de nos modes de consommation en vue de les orienter vers des produits moins consommateurs en eau et établir par conséquent la corrélation et la dualité entre agriculture et modes de consommation et de production durable.

Une attention particulière à l’irrigué !

Le secteur irrigué consomme plus de 81% du potentiel en eau disponible sur une surface de 425 000 hectares, soit à peine 8% des terres arables de la Tunisie ; il contribue à hauteur de 37% de la production agricole. Le secteur en sec quant à lui et malgré cette performance au niveau de l’irrigué, continue aujourd’hui en Tunisie à offrir une part importante de la production agricole, plus de 60%.

Avec la rareté de l’eau et les changements climatiques annoncés, les pratiques de l’agriculture en sec risquent fort de reprendre de l’importance au cours des prochaines décennies. Une attention particulière à cette activité ancestrale est plus qu’indispensable en Tunisie ; elle doit concerner aussi bien les pratiques agricoles en sec qu’il y a lieu à ressusciter, réadapter et valoriser que les agriculteurs eux-mêmes actifs dans ce domaine, dont une grande partie peine aujourd’hui à satisfaire leurs besoins socioéconomiques et à se maintenir dans des équilibres durables.

Une politique foncière courageuse

Le morcellement des terres agricoles qui ne fait que s’accentuer d’une année à l’autre à travers les héritages successifs, dans une logique foncière défavorable, fragilise les exploitations agricoles, diminue leurs potentialités et réduit les possibilités d’accès aux crédits et aux assurances pour les agriculteurs concernés. Seule une politique foncière courageuse et conséquente peut mettre un frein à ce phénomène.

Aussi et afin d’assurer la continuité générationnelle au niveau de l’agriculture, y impliquer de plus en plus de jeunes et injecter par conséquent un sang nouveau dans le domaine, il y a lieu de développer une stratégie avant-gardiste attrayante pour les jeunes, et ce afin de renverser les tendances inquiétantes dans le domaine. En effet, la part des exploitants âgés de plus de 60 ans est passée en Tunisie de 21% au début des années soixante à 37 % en 1994 pour se situer, en 2004, à 43% et plus de 50 % aujourd’hui.

Tunis le 22 août 2022

Samir Meddeb, consultant en développement durable