La panique créée par le naufrage d’un cargo pétrolier, dans la matinée du samedi 16 avril 2022, dans le Golfe de Gabès (côte sud-est de la Tunisie), heureusement vide, a ravivé la polémique sur la fragilité de l’écosystème dans ce golfe, et a relancé le débat sur l’urgence de trouver une solution à un phénomène plus grave : le rejet annuel dans la mer de quelque 10 millions de tonnes de phosphogypse.

Abou SARRA

Il n’est pas besoin de rappeler que rejetée dans la mer, des décennies durant, par les industries chimiques, cette matière dite « extrêmement polluante » a généré la désertification marine (disparition de plusieurs espèces de poisson…) et affecté énormément ce plan d’eau réputé pour être une des frayères de la mer Méditerranée et pour abriter la seule oasis maritime de Mare Nostrum.

Résidu de raffinage du phosphate, le phosphogypse a pour propriété de s’évaporer lorsqu’il est entreposé sur le sol et à générer, d’après les habitants près des sites d’entreposage, de maladies cancéreuses, dermatologiques et respiratoires.

Pourtant, officiels, chercheurs et militants écologistes ont essayé, chacun à leur niveau, de proposer des solutions pour réduire ce type de pollution. Malheureusement, jusqu’à ce jour aucune solution n’a été retenue.

le phosphogypse a pour propriété de s’évaporer lorsqu’il est entreposé sur le sol et à générer de maladies cancéreuses, dermatologiques et respiratoires.

Rejet de la solution de l’enfouissement

Côté officiel, les autorités ont suggéré deux solutions. La première consiste à prolonger de plusieurs kilomètres dans la mer les canalisations de rejet du phosphogypse, tandis que la seconde propose un site d’enfouissement du phosphogypse à plus de 30 kilomètres sinon plus de la ville de Gabés. Les deux solutions ont été rejetées par la société civile et les pêcheurs. Ces derniers, qui n’ont plus confiance dans tout ce qui est officiel, y perçoivent un simple report des problèmes et son transfert vers d’autres communautés de la région.

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Au rayon des chercheurs et experts, des solutions ont fait l’objet de nombreuses recherches et études. Nous en avons retenu trois en raison de leur pertinence et pragmatisme.

Le phosphogypse, enrichissant d’engrais

La plus intéressante, à notre avis, est celle qui a été développée par l’expert Tahar Khouaja, ancien PDG du Groupe chimique tunisien (GCT), propriétaire public des industries chimiques de transformation de phosphate à Gabès.

Il propose un usage utile et renouvelable du phosphogypse, une sorte de recyclage de cette matière qui pourrait rapporter, annuellement, un (1) milliard de dinars environ aux Caisses de l’Etat. Cette matière pourrait, selon lui, être réutilisée comme engrais enrichissant pour le sol.

Il propose un recyclage de cette matière qui pourrait rapporter 1 milliard de dinars aux caisses de l’Etat

Mieux dans ses recherches, l’expert va plus loin et estime que le phosphogypse, contrairement à ce qu’on dit, ne contiendrait pas de polluants dangereux.

Le phosphogypse, un matériau de construction

Pour sa part, la chercheuse Hayet Omri, docteure en chimie, serait parvenue à mettre au point une technique pouvant éradiquer la pollution générée par les rejets du phosphogypse.

Cette technique consiste, selon elle, en l’utilisation du phosphogypse dans le bâtiment, en le mélangeant à des résidus de plantes et de produits chimiques. Elle a déclaré avoir expérimenté cette technique avec l’assistance d’experts belges. Elle dit avoir présenté son invention au ministère tunisien de l’Environnement qui a promis d’étudier sa proposition.

Extraction du méthane du phosphogypse

Pour sa part, Mokhtar Hamdi, universitaire, chercheur et directeur général du Centre national des sciences et technologies nucléaires (CNSTN), aurait fait des recherches sur l’extraction de méthane à partir du phosphogypse ; le méthane étant un composant principal du gaz naturel. Il est largement utilisé comme combustible pour le chauffage de bâtiments résidentiels et commerciaux. Il entre également dans la production de gaz de synthèse, un mélange d’hydrogène et de monoxyde de carbone.

Cela pour dire que ce ne sont pas les idées qui manquent pour trouver des solutions au phosphogypse qui occasionne de sérieux désagréments aux habitants de la région de Gabès et de Sfax.

L’idéal serait toutefois de s’inspirer des expertises réussies à l’étranger en matière de traitement et de recyclage du phosphogypse, et de réfléchir dès maintenant au transfert en dehors des villes des industries de transformation du phosphate. Un tel projet aura certes un coût – plus de 3 milliards de dinars selon Kaïs Dali, “monsieur phosphate“ et ex-PDG de la CPG -, mais il y va de la santé et du droit des gens à un environnement sain.

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