Il fut un temps où la Banque centrale de Tunisie (BCT) « avait pour mission générale de défendre la valeur de la monnaie et de veiller à sa stabilité » en optant à l’époque pour un régime de change encadré afin d’ajuster la valeur du dinar par rapport à l’euro principalement.

A partir de l’année 2016, la Tunisie a vu sa dette publique enregistrer une augmentation de plus en plus forte. Selon le ministère de Finances, les trois principales causes de l’augmentation de la dette publique sont le déficit budgétaire, les intérêts de la dette et l’effet de change.

Certes, en 2014 et en 2015, c’est le déficit budgétaire qui a contribué le plus à l’augmentation de la dette publique. Mais cette augmentation liée principalement au déficit budgétaire a fortement diminué en 2018 suite à la politique d’austérité menée par le gouvernement.

Néanmoins, les intérêts n’ont cessé d’augmenter jusqu’à doubler en 2018. L’impact de l’effet de change a été tellement important, avec un coût qui atteint la somme de 9,5 milliards de dinars en 2018, soit cinq fois plus que le déficit budgétaire de la même année, que le stock de la dette publique extérieure a doublé passant de 29,9 milliards de dinars en 2015 à 60,2 milliards de dinars en 2018.

(Voir tableau 1 – http://economie-tunisie.org/fr/observatoire/fmi-impact-devaluation-dinar-tunisie)

Ainsi, la raison la plus importante de l’augmentation du taux d’endettement reste le glissement du dinar par rapport aux principales devises composant le portefeuille de la dette extérieure, à savoir l’euro et le dollar et dont l’impact a engendré une hausse de l’encours de la dette au cours des trois dernières années 2016-2018, d’un montant s’élevant à 18 697,9 millions de dinars, alors que cet effet n’a pas dépassé 2 734 millions de dinars au cours des trois années précédentes 2013-2015 (voir tableau 1).

Par voie de conséquence, le taux d’endettement a augmenté pour atteindre 77,08% du PIB fin 2018 contre 46,56% fin 2013, soit une augmentation globale dépassant 30,5% du PIB, dont 18,84% résulte de «l’effet-change» observé au cours des trois dernières années.

L’inflation

La dévaluation du dinar a également eu un impact important sur l’inflation depuis avril 2016. En effet, l’inflation en Tunisie a augmenté principalement avec la libéralisation du dinar en avril 2016 puis s’est accélérée notamment après le décrochage du dinar de mars 2017. En effet, le coefficient de corrélation entre l’inflation et le taux de change dinar/euro entre janvier 2013 et mars 2016 était faible (0,25) tandis qu’il est devenu très fort entre avril 2016 et mai 2018 (-0,91).

Ainsi, la libération du dinar et la chute de sa valeur expliquent l’inflation, qui a pour conséquence l’augmentation des prix des biens importés. En réalité, l’inflation n’a jamais été aussi grande que depuis que le FMI a imposé à la BCT de se focaliser uniquement sur la lutte contre l’inflation, atteignant un record historique en 2018 de 7,3% (voir figure 2).

Pour le FMI, la politique monétaire doit avoir pour souci primordial l’inflation, en agissant sur les taux d’intérêt à court terme, tout en préservant la flexibilité du taux de change. Or, c’est bien la libéralisation du dinar puis la chute de sa valeur qui a accéléré l’inflation entre 2016 et 2018, en augmentant les prix des biens importés.

(Voir figure 2 – http://economie-tunisie.org/fr/observatoire/fmi-impact-devaluation-dinar-tunisie)

Déficit commercial

Selon le FMI, la dévaluation du dinar améliore la compétitivité des exportateurs et ainsi entraîne une augmentation des exportations tandis qu’elle entraîne une augmentation des prix des importations et réduit ainsi leur volume, ce qui à moyen terme réduira le déficit commercial.

Or, selon la BCT, l’évolution des échanges commerciaux du fait de la variation du dinar à la baisse (effet change) a impacté négativement le déficit commercial de l’ordre de 1,1 milliard de dinars en 2016 et de 1,8 milliard de dinars uniquement en 2017, avec une amélioration en 2018 avec la valeur de 163,1 millions due à l’importante diminution des importations.

Cela veut dire que l’effet négatif de l’augmentation de la valeur des importations due à la baisse du dinar surpasse l’effet positif de l’augmentation de la valeur des exportations due à cette baisse.

Ainsi, la Tunisie a connu depuis avril 2016 un cercle vicieux où plus le dinar baisse et plus le déficit commercial se creuse dû à cette baisse et plus le FMI exige une dévaluation du dinar, d’autant plus grande que le déficit commercial se creuse.

Réserves en devises

Les réserves en devises sont considérées comme un filet de sécurité financier et sont utilisées pour subvenir aux besoins stratégiques de liquidité de l’économie, pour présenter une garantie aux créanciers et investisseurs étrangers sur la capacité du pays à payer ses dettes et assurer les transferts et pour lisser les fluctuations des taux de change de la monnaie nationale.

En effet, la BCT ajuste son taux de change de référence sur la base du taux de change moyen sur le marché interbancaire et intervient sur le marché de change lorsque les cotations du marché subissent des fluctuations importantes. Ainsi, pour défendre la valeur du dinar la BCT est obligée de débourser des devises en le rachetant, en utilisant ses réserves en devises.

Or, comme mentionné au préalable, la libéralisation du dinar, affectant négativement le déficit commercial induisant la détérioration du solde général de la balance des paiements à partir de 2016 (-1,143 milliard de dinars en 2016 contre +783 MDT en 2015) a induit une forte baisse des avoir net en devises.

En effet, parmi les indicateurs les plus usuels dans l’appréciation du niveau des réserves, on cite le nombre de jours d’importations (JI), indicateur basé sur le critère commercial censé indiquer la vulnérabilité du compte courant, avec un seuil conseillé minimum d’environ 3 mois. Ainsi, les avoirs nets en devises ont régressé pour arriver à 12,935 milliards de dinars ou 111 jours d’importation en 2016 contre 14,102 milliards de dinars et 128 jours une année auparavant en 2015 (voir figure 3).

Les entrées de devises enregistrées au courant de l’année 2016, et provenant notamment des tirages sur les crédits extérieurs, étaient loin de couvrir les sorties de devises et ce, sous l’effet de l’aggravation du déficit de la balance commerciale et des remboursements au titre de la dette extérieure.

Cette tendance de baisse des avoirs nets en devises s’est ensuite dégradée avec le décrochage du dinar en 2017, passant de 12,935 milliards de dinars, soit l’équivalent de 111 JI en 2016 à 93 JI au terme de 2017 et 13,974 milliards de dinars, soit l’équivalent de 84 JI au terme de 2018.

Ainsi, s’ajoute au cercle vicieux que connait la Tunisie depuis 2016 où plus le dinar baisse et plus le déficit commercial se creuse dû à cette baisse, plus le déficit commercial se creuse plus le dinar est dévalué, plus la balance des paiements est détériorée, plus les réserves en devise diminuent et plus le FMI exige une dévaluation du dinar.

(Voir figure 3 – http://economie-tunisie.org/fr/observatoire/fmi-impact-devaluation-dinar-tunisie)

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Source: Observatoire Tunisien de l’Economie

Auteurs :

Imen Louati, PhD, Reseach Officer Community Field Coordinator, et Chafik Ben Rouine, Head of Statistics & Quantitative Research, se proposent, dans ce briefing paper, de présenter une évaluation de l’une de ces réformes entamées depuis 2016, à savoir la dévaluation du dinar tunisien.

Et cette dévaluation a eu un impact significatif sur les réserves en devises, le déficit commercial, le service de la dette, l’inflation et les entreprises publiques.