“La Tunisie a véritablement besoin d’une nouvelle vision, avec une nouvelle démarche et selon un nouveau paradigme socio-économique, si le pays souhaite éviter un scénario catastrophique, celui de l’effritement de l’Etat, et tracer le chemin de la relance économique et le progrès social”.

C’est ce que souligne l’universitaire et économiste, Aram Belhadj, dans une récente analyse intitulée “Sortir des sentiers battus pour bâtir une nouvelle économie” publiée mardi 19 avril 2022 par le Global Institute 4 Transitions GI4T.

“La nouvelle vision devra inclure en premier lieu la question de la sécurité alimentaire, ce qui implique de facto, l’appui d’un secteur agricole moderne, socialement et écologiquement responsable et mettant la technologie au service de la durabilité”, analyse l’économiste.

” D’autre part, la question de la sécurité énergétique ne doit pas passer inaperçue, surtout que ce secteur pèse sur la balance des paiements et sur le budget de l’Etat. Ceci suppose la définition d’une stratégie globale permettant de maîtriser la demande, de diversifier l’offre et de réduire la dépendance aux marchés mondiaux pour les fournitures essentielles. La voie des énergies renouvelables ne pourra être qu’une piste très intéressante “.

Dans le même cadre, ajoute-t-il, il ne faut pas oublier qu’avec la pandémie, plusieurs questions sont mises sur la table, entre autres la question de la soutenabilité environnementale du modèle de croissance économique sous-jacent à une exploitation massive des gisements énergétiques. Il s’agit d’une nouvelle révolution industrielle, celle de l’économie zéro carbone, dans laquelle, comme pour les précédentes, les tendances à l’œuvre sont communes à tous les pays industrialisés. Tout ceci suppose que l’on consacre des investissements non anodins, dans des systèmes industriels efficients, des bâtiments et des véhicules plus efficaces.

“La pandémie a également, accéléré la marche vers l’automatisation et la digitalisation… Il va falloir donc adapter les “business models” des différents acteurs économiques, changer l’organisation de l’Etat mais aussi, engager des investissements importants en termes de connectivité et d’infrastructures réseaux”.

“Le Covid a aussi révolutionné le domaine de l’éducation et de la formation à travers un renforcement de l’apprentissage en ligne, l’accès à une librairie mondiale de connaissances et la virtualisation des contenus. Il a en même temps, confirmé l’idée de l’inadéquation entre formation, valorisation de l’emploi et marché de l’emploi, dans les pays en voie de développement. Clairement, nous aurons besoin d’un choc de compétence, afin de favoriser la transformation des emplois, à travers notamment, une refonte du système d’éducation et de formation professionnelle”.

D’après cette analyse, “il ne fait aucun doute que le monde du Covid (et du post-covid) est un monde où l’économie sociale en général, l’inclusion en particulier, est désormais une priorité qui doit occuper le devant de la scène, reléguant la valeur actionnariale au second plan. Il va sans dire qu’au lieu de considérer la croissance comme la solution ultime aux inégalités, les sociétés avancées devront s’attaquer de front aux problèmes de redistribution (Pisany-Ferri, 2020 )”.

Belhadj précise qu’avant même le Covid-19, les systèmes de représentation démocratique libérale souffraient d’un problème de gouvernance et qu’avec la pandémie, c’était une occasion inédite pour une redéfinition du rôle de l’Etat et une recherche de nouvelles approches de gouvernance plus participative.

Cette crise a été surtout l’occasion de rappeler l’importance de l’Etat visionnaire et stratège. Elle a aussi, montré que l’Etat régulateur trouve toute sa place, notamment dans la réorientation de l’économie vers la transformation numérique, l’efficience énergétique et la neutralité climatique.

Enfin, elle a prouvé que l’Etat investisseur a une place prééminente à travers des plans de relance, qui consacrent à la fois le retour d’une dépense sociale légitime pour faire face à la crise et une capacité d’investissements stratégiques dans les secteurs-clés de l’économie, en l’occurrence le digital et la décarbonation.

Des piliers de la nouvelle économie

Belhadj relève ” la guerre entre la Russie et l’Ukraine a encore plus cristallisé les tensions sur les marchés alimentaires et énergétiques mondiaux d’une part, et a multiplié les enjeux géostratégiques, d’autre part, confirmant l’obligation de repenser des secteurs stratégiques. Il s’agit essentiellement, du secteur de l’agriculture et de sa modernisation pour devenir un secteur socialement et écologiquement responsable et permettre une baisse de la dépendance extérieure, du secteur de l’industrie en profitant des mouvements de relocation des chaînes de production mais aussi du secteur du tourisme, en favorisant l’hébergement alternatif et le tourisme médical “.

” De nombreux autres secteurs sont à reconfigurer, afin de s’adapter aux différentes mutations récentes. Les industries automobiles et aéronautiques, fortement touchées par le choc épidémique, par exemple, devront rechercher des moyens d’adaptation en profitant de nouvelles tendances, notamment le numérique et l’intelligence artificielle. Clairement, l’internet des objets permettra l’exécution des tâches, jadis effectuée par les travailleurs, à l’instar de la maintenance des équipements, la gestion des stocks, les relations avec les fournisseurs ou les stratégies de sécurité, obligeant ces industries à les intégrer dans leurs stratégies de production “.

” D’autre part, des secteurs comme la santé, l’éducation, la formation, sont à renforcer. ” En définitive, les piliers de la nouvelle économie seront évidemment les secteurs qui permettront une sortie de ” l’économie de la mort ” à ” l’économie de la vie “, selon les propos de Jacques Attali (2021). Il s’agit surtout des industries médicales, des hôpitaux, de la formation de médecins, de la recherche, de l’éducation, de l’hygiène, de l’alimentation, de l’agriculture raisonnée, du digital, de la distribution, des énergies propres, de l’eau propre, de la sécurité, de la finance verte, etc.”.

Le Global Institute 4 Transitions (GI4T) est un think tank indépendant, fondé en mai 2021 par l’ancien ministre tunisien des Finances, Hakim Ben Hammouda.

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