Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), a surpris plus d’un observateur en annonçant, mercredi 19 janvier 2022, le lancement d’une étude sur la restructuration des entreprises publiques. Et pour cause. La centrale syndicale, qui s’est amusée, depuis une dizaine d’années, à brandir son veto contre toute réforme des entreprises publiques, n’avait pas de feuille de route pour négocier la restructuration de ces mastodontes publics. 

Abou SARRA

Avec cette annonce, nous comprenons maintenant pourquoi l’UGTT n’a jamais communiqué sur l’approche qu’elle entend suivre pour redresser ces entreprises qui traînent un déficit faramineux de plus de 7 milliards de dinars.

Aujourd’hui, avec une telle information, on le comprend. Nous avons un élément de réponse : l’UGTT, qui dispose pourtant d’un des meilleurs bureaux d’études du pays – au regard de l’excellente facture des analyses des universitaires qui la représentent sur les plateaux audiovisuels -, n’avait pas jugé utile de commander cette étude.

Pour l’histoire, Walid Ben Salah, actuel président de l’Ordre des experts-comptables, était l’un des rares analystes à avoir évoqué cette faille. Interpellé sur cette question, il considère que la centrale syndicale donne l’impression qu’elle ne veut pas de la réforme des entreprises publiques.

Selon lui, l’UGTT s’est contentée, jusqu’à ce jour, de plaider vaguement pour la restructuration des entreprises publiques mais sans jamais présenter d’alternatives crédibles. Car, estime l’expert, «l’UGTT ne serait pas transparente sur ce dossier».

L’UGTT sous pression ?

Pourtant, l’Etat tunisien, qui accorde annuellement une subvention de 8 millions de dinars (MDT) à l’UGTT et ferme les yeux sur la mise en disponibilité de plus de 500 syndicalistes «ugttistes», avait les moyens requis pour exiger de la centrale syndicale de formuler des propositions claires sur ce sujet. Il ne l’a pas fait en raison de l’instabilité de la gouvernance et de la déliquescence de l’Etat, depuis 2011.

L’organisation syndicale, qui a bénéficié depuis 2011 du relèvement des cotisations sociales de 1% à 3% des salaires, entretient sa présence dans les entreprises publiques à la faveur d’une pratique anti-économique, en l’occurrence la filiation. Autrement dit, la centrale se porte bien, financièrement parlant.

C’est seulement à la faveur de la publication, ces derniers jours, par le ministère des Finances des dettes des entreprises publiques que l’UGTT a été débusquée et obligée de réfléchir, enfin, diront certains, sur ce qu’elle peut faire pour sauver les entreprises publiques.

La pression des bailleurs de fonds qui tiennent, à compter de 2020, à associer l’UGTT à la négociation de toute nouvelle dette du pays y est pour quelque chose. Mise au pied du mur, le principal syndicat du pays a, alors, décidé de punaiser par écrit ses propositions et de lancer cette étude sur la restructuration des entreprises publiques.

Les institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) ont mis le plus de pression sur la centrale syndicale pour la responsabiliser et l’impliquer dans toute nouvelle négociation.

Pour le FMI, sur un total des 106 entreprises concernées, c’est une trentaine opérant essentiellement dans l’énergie (STIR, STEG, ETAP, SNDP…) et le transport (Tunisair, SNCFT, CTN, Sociétés de transport régional, Transtu…) qui posent plus de problèmes, à cause entre autres de quatre facteurs : elles sont surendettées, sur-staffées, plombées par un effectif pléthorique et inefficientes dans la mesure où elles ne créent pas de la valeur ajoutée et ne fournissent pas un service public de qualité.

Problématique des dettes croisées

Quant à la Banque mondiale, elle estime que la principale problématique des entreprises publiques tunisiennes réside dans leurs dettes croisées.

En effet, Tony Verheijen, représentant-résident de la Banque mondiale en Tunisie, a attiré à plusieurs reprises l’attention sur l’ampleur des pertes générées par l’effet du non recouvrement de ce type de dettes.

Selon lui, « les dettes croisées entre ces entreprises, qui sont cachées dans le budget actuel, sont très dangereuses. Nous avons vu cela dans beaucoup d’autres pays».

A titre indicatif, selon les données du ministère des Finances (décembre 2021), les dettes de la STIR auprès de l’Etat sont estimées à un milliard de dinars, celles de l’ETAP auprès de la STEG à 774 millions de dinars (MDT), tandis que les dettes de la SNDP auprès de ses clients publics sont estimées à 600 MDT.

Pour une structure centralisée indépendante des entreprises publiques

Au rayon des solutions à moyen terme, les bailleurs de fonds parrainent une proposition faite par l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES), proposant la création d’une structure unique dédiée au suivi et à la gestion des entreprises publiques. Avec pour ultime de « s’attaquer aux vulnérabilités et aux risques posés par les entreprises publiques ».

Pour mémoire, le projet d’une « structure centrale de gestion » indépendante des entreprises étatiques avait fait l’objet, au temps du gouvernement Youssef Chahed, d’un projet de loi ; projet très vite abandonné pour des raisons inconnues.

Il faut reconnaître que la responsabilité des gouvernements dans le pourrissement des entreprises publiques est totale. Mais la centrale syndicale, qui s’apprête à tenir son congrès au mois de février prochain, est également responsable. Au lieu de jouer le rôle de contre-pouvoir et d’alerte avancée sur la mauvaise gestion de ces entreprises, elle n’a fait qu’exploiter les tergiversations des gouvernements successifs pour enfoncer le clou pour mieux renforcer ses troupes.