Ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie nous rappelle l’admirable film de Brad Pitt, «Le fameux destin de Benjamin Button» mais à l’envers. Si le héros du film est né petit pour devenir grand, la Tunisie, elle, est née grande pour devenir petite, et ces derniers temps de plus en plus insignifiante.

La Tunisie a perdu son rayonnement à l’international. Ses différentes représentations diplomatiques, qui faisaient du temps de Bourguiba sa fierté en grande partie grâce au génie de l’Homme admiré de tous et du prestige des lieux, ont du mal à assurer leur maintenance et rendre une qualité de prestations convenable.

Pour les bureaux de Tunisair et de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT), on a choisi d’en éliminer certains et de céder d’autres à cause du manque de moyens.

Ainsi, lundi 13 décembre 2021, l’ONTT a quitté le 32, Avenue de l’Opéra à Paris pour aller s’installer dans un quartier moins prestigieux dans le 14ème arrondissement pour ainsi faire des économies et payer des loyers moins élevés.

Pour Hakim Tounsi établi à Paris et PDG de «Authentique Voyages», c’est une déchirure. Il nous en parle :

«Ce départ vient après l’abandon en février 2016 par l’ONTT de l’agence située à la même adresse et qui disposait d’une imposante vitrine dans l’une des plus prestigieuses rues de Paris, située entre le palais Garnier de l’Opéra de Paris et le musée du Louvre. Une artère arpentée tous les jours par des dizaines de milliers de visiteurs de la Ville des lumières en provenance de toute la France et du monde entier.

Pourquoi cède-t-on du terrain ? En 2016, on abandonne l’agence avec vitrine, on perd en visibilité, on réduit la voilure et on garde uniquement des bureaux dans les étages. En 2021, on finit par quitter définitivement des lieux dont on ne peut plus assurer les frais pour moins cher ailleurs.

Les avis divergent. Certains diront que c’est plutôt une bonne action qu’il faut saluer : les temps ont changé et la technologie permet de réaliser des miracles à distance. D’autres estiment que le fait même de céder un petit centimètre, de mettre un seul genou à terre et de battre en retraite est un signe d’échec, de défaite et de démission.

En 1965, sous la présidence du grand Bourguiba, la Tunisie avait acquis 1.300 m2 à l’Avenue des Champs Elysées à Paris

Pour mémoire, en 1965, encore jeune République nouvellement indépendante, la Tunisie a fait l’acquisition d’une propriété d’une surface neuve de 1.300 m2 donnant sur l’une des avenues les plus prestigieuses au monde au 2ème étage au 102, Avenue des Champs Elysées à Paris.

Après deux années de travaux, l’Office du commerce dirigé par Si Hassen Belkodja y ouvre la première représentation de l’Office national du tourisme tunisien en France sous la direction de Si Hosni Djemmali.

Le décor intérieur des locaux, qui existe à ce jour, a été en partie réalisé avec la céramique de Nabeul acquise auprès de la fameuse fabrique Kharraz.

Les locaux du 102, Avenue des Champs Elysées, toujours décorés par la céramique de Nabeul, sont actuellement occupés par l’Office de tourisme de Turquie. Ils ont été vendus par la Tunisie du temps de Si Mohamed Masmoudi, qui a été à une période ambassadeur de la Tunisie à Paris.

Après les Champs Elysées, l’antenne parisienne de l’ONTT a déménagé dans un premier temps vers la rue St-Honoré, puis à la non moins prestigieuse Avenue de l’Opéra où une agence a été ouverte pignon sur rue au Rez-de-chaussée pour accueillir le public, et des bureaux administratifs ont été aménagés dans les étages. L’Avenue de l’Opéra, qui était le lieu de concentration à Paris du gratin des officies de tourisme et des entreprises du voyage en France. Le Maroc et l’Algérie, pour ne citer que ces deux pays maghrébins, y ont leurs compagnies aériennes respectives, Royal Air Maroc et Air Algérie, ainsi que l’Office du tourisme pour le Maroc.

Pour la Tunisie, malheureusement depuis le milieu des années 2000, les affaires du secteur du tourisme vont de moins en moins bien. Le secteur a été trop malmené, confronté à beaucoup de nouvelles donnes qu’il n’a pas pu gérer. Déréglementation aérienne, digitalisation, changement des bases et des règles des métiers du voyage et du transport aérien, bouleversements climatiques irréversibles, changement des comportements et habitudes de consommation dans le monde, révolution, montée de l’extrémisme et de la violence avec plusieurs attentats en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Europe, aux USA et un peu partout sur la planète rejoints ensuite par la pandémie de Covid-19.

Ne maquillons pas une réalité affreuse

Aujourd’hui, ne maquillons pas une réalité hideuse. Qu’on ne nous fasse surtout pas passer nos échecs pour des succès. Nous ne sommes pas partis de l’Avenue de l’Opéra pour aller inaugurer ailleurs une plateforme digitale dirigée par des ingénieurs issus de la jeunesse tunisienne. Nous avons quitté l’Avenue de l’Opéra parce que nous avons mal géré nos affaires au point de ne plus avoir de quoi payer nos charges et nos loyers.

Le ministère du Tourisme a connu, en 10 ans, 9 ministres avec une moyenne d’une année par ministre, exceptée Selma Elloumi qui y a passé 3 ans et 10 mois:

  • Le 27 janvier 2011, Mehdi Houas (11 mois) ;
  • le 24 décembre 2011, Elyès Fakhfakh (12,5 mois) ;
  • le 13 mars 2013, Jamel Gamra (10,5 mois) ;
  • le 29 janvier 2014, Amel Karboul (12,5 mois) ;
  • le 06 février 2015, Selma Elloumi (3 ans et 10 mois) ;
  • le 14 novembre 2018, René Trabelsi (15,5 mois) ;
  • le 27 février 2020, Mohamed Ali Toumi (6 mois) ;
  • le 2 septembre 2020, Habib Ammar (13 mois) et
  • depuis le 11 octobre 2021, Mohamed Moez Belhassine.

Durant cette décennie quelle a été notre stratégie en termes de tourisme et de transport aérien ? Quels sont les bilans des ministres qui s’y sont succédé ? Qui est responsable de quoi ? Quelle a été notre stratégie en termes de ressources humaines, de nominations aussi bien au niveau du ministère du Tourisme que celui de l’ONTT en Tunisie et à l’étranger ? Y a-t-il un fil conducteur entre les 9 ministres nommés depuis 2011 ?

Autant de questions sans réponses qui ajoutent à notre douleur et nos frustrations.

Nous savons qu’en 2010 près d’un million 400 mille entrées touristiques ont été enregistrées en Tunisie en provenance du marché français. Plus de 10 tour-opérateurs d’origine tunisienne opéraient en France en totalisaient à eux seuls plus de 400 mille clients vers la Tunisie. Malheureusement, seuls 3 ou 4 d’entre eux survivent tant bien que mal à ce jour.

Les entrées touristiques en provenance du marché français même avant la pandémie de Covid-19 n’étaient plus que l’ombre de ce qu’elles étaient. Les difficultés de la compagnie nationale aérienne Tunisair et la défaillance du transport aérien national n’ont fait qu’aggraver les maux du secteur du tourisme.

Bien évidemment la pandémie de Covid-19 est parvenue à achever une situation déjà bien détériorée.

Tout est à reconstruire !

Aujourd’hui, tout est à reconstruire. Oui la Covid-19 a compliqué la situation, mais nous avons, par nous-mêmes en 10 ans, détruit ce que nos ainés nous ont légué.

Le départ de l’Avenue de l’Opéra n’est pas un événement anodin à passer sous silence. A cause de nous, la Tunisie n’est plus visible dans l’une des artères les plus prestigieuses de France. Le rayonnement des pays et de leurs cultures vient aussi de leur visibilité et de leur présence dans les lieux les plus prisés et les plus fréquentés. Le tourisme est fait de la quête du rêve et notre pays doit continuer à faire rêver.

Des monuments tels la Tour Eifel ont coûté des fortunes et pourtant ils n’ont aucune utilité fonctionnelle ou vitale. Ils nourrissent l’imaginaire et font l’âme et le prestige des peuples et par-delà leur identité et leur fierté. La présence de la Tunisie sur l’Avenue de l’Opéra faisait partie de notre patrimoine national et du rayonnement de notre pays sur le reste du monde. Il nous appartient aujourd’hui de récupérer ce que nous avons perdu, de reconstruire, mais il faut avant cela reconnaître nos erreurs et faire le bilan de cette dernière décennie ».

A.B.A + Récit de Hakim Tounsi