Il n’y aura pas d’effet de taux ni d’effet de base, le budget 2022 ne comporte pas une augmentation de la pression fiscale. Toutefois, attention à la dette ! Elle hypothèque le challenge de croissance, sous le stress de la soutenabilité et sous réserve de l’accord du FMI. Pari audacieux. Pari hasardeux ?

Par Ali Abdessalam

Mardi 28 décembre 2021, c’était la présentation publique de la loi de finances 2022, dans le détail. Une conférence de presse fleuve qui a duré près de trois heures, à la Cité de la culture. Cinq ministres étaient présents, en l’occurrence Sihem Boughdiri Nemsia (Finances), Samir Saïed (Economie et planification), Fadhila Rebhi (Commerce), Neila Nouira Gongi (Industrie, Energie et Mines) et Nasreddine Nsibi (Emploi et Formation professionnelle et porte-parole du gouvernement et maitre de cérémonie.

Pour le coup, la diversité a triomphé. Autre élément positif, les ministres présents ont affiché une réelle solidarité gouvernementale. Tous pariaient sur l’amorçage de la croissance, quoique au taux timide de 2,6%. Ce volontarisme leur donne à penser qu’ils pourraient conjurer le scénario d’effondrement évoqué par certains observateurs et démentant toutes rumeurs d’austérité.

Alors, acte de déni ou preuve de réalisme ?

En l’absence d’un débat national

Sans l’exprimer, mais tout en le laissant sous-entendre Sihem Nemsia Boughdiri rappelle que le gouvernement se soustrait aux manœuvres de politique politicienne et se moule dans un profil technocratique, au service de la nation. Une belle pirouette glissée avec une touche de responsabilité.

L’équipe gouvernementale actuelle fait savoir qu’elle s’emploie à atténuer, au maximum, le poids des méfaits de la décennie blanche de la transition inachevée et inopérante. Faute d’initier un nouveau modèle de développement, elle s’emploie à susciter un redémarrage de l’économie, afin de sauver les meubles. Elle joue son va-tout et advienne que pourra. Le gouvernement arrivé aux affaires le 11 octobre 2021 a manqué de temps. D’entrée de jeu, il lui a fallu rédiger, dans l’urgence, une loi de finances complémentaire pour l’exercice en cours. Et, tout de suite après, embrayer sur la loi de finances 2022, sous la tyrannie du chrono. C’est la première fois que le pays est confronté à de telles circonstances, ce qui rend l’exercice délicat comme le reconnaît Nemsia Boughdiri.

Cependant, dans la forme, le processus est sauf, car le budget est auto-voté dans les délais “légaux“, c’est-à-dire avant le 31 décembre. Et à l’examen, le document est dans les standards habituels et rien ne donne à penser qu’il a été hâté à la-va-vite.

Les responsables du département des Finances ont été bousculés mais tout semble avoir été fait dans les règles. On en est à regretter que la conférence de presse se substitue à un débat national. Il est vrai que l’on a échangé sur tous les détails du document. Toutefois, l’opinion se sent, de ce fait, frustrée. Hélas, le pouvoir en place n’a pas pris la peine de réactiver le Conseil économique et social lequel, dans le contexte d’un Parlement gelé, aurait donné lieu à un processus démocratique.

Un document qui tient le choc 

Le budget de l’Etat 2022 comporte quelques distorsions. Les évolutions des grandes rubriques ne seront pas toutes de même amplitude. Cette discordance gêne quelque peu la cohérence du document sans l’invalider toutefois. Et le document, dans son ensemble, tient le choc. Le budget est bouclé à 57,291 milliards de dinars, ce qui représente une augmentation de 3,2% par rapport à la LFC de 2021, et ce qui est supérieur au taux de croissance de 2,6% retenu.

La masse salariale est de 21,473 milliards de dinars, soit une augmentation de 6% par rapport à la LFC 2021 (20,345 milliards de dinars). Cependant, quelques mécanismes ont été retenus afin de la mettre sous contrôle. On apprend qu’il n’y aura pas de prélèvement de 10% au titre de la solidarité, comme cela a été fuité, et que les promotions dans la fonction publique se déroulent normalement.

Par ailleurs, les recrutements se feront de manière ciblée. Cela dissipe toute tentation de politique d’austérité. Mais de nouvelles mesures ont été mises en place de sorte à tenter les fonctionnaires, par des conditions incitatives, de départ à la retraite anticipée ou de congé de promotion de projets personnels, outre tous les programmes de redéploiement. Cette dernière option leur offre la possibilité de rejoindre des collectivités locales notamment, de sorte à désengorger l’administration centrale.

Beaucoup a été fait en direction des “économiquement faibles“ en relevant les transferts qui leur sont octroyés. Statistiquement, la population concernée est mieux cernée. Il reste que le retard de l’entrée en service de l’identifiant unique entachera, d’une certaine façon, ce travail d’assistance sociale.

La fiscalité donne ce qu’elle peut, et au vu des circonstances difficiles actuelles, elle n’a pas été sollicitée outre mesure. L’IS a été maintenu à 15%. L’IRPP n’a pas été alourdi. Pas plus que la TVA, du reste. On a grappillé dans certaines niches fiscales, tel le timbre de 100 millimes sur les tickets de caisse chez les grandes surfaces, ou le relèvement des vignettes autos.

Au total, on se retrouve avec une pression fiscale quasi inchangée, ce qui est bien avisé pour rassurer les chefs d’entreprise. Et c’est même incitatif à l’investissement.

Au final, le haut du budget reste sur la configuration de l’année dernière. Les ressources propres de l’Etat sont de 38,618 milliards de dinars dont 35,099 milliards de dinars proviennent de la fiscalité. Et les salaires de 21,573 milliards de dinars avec la CGC (Caisse générale de compensation) qui culmine à 7,262 milliards de dinars.

L’acharnement thérapeutique à faire revenir la croissance

Les mesures budgétaires incitatives ont tenté de ratisser large en incluant tous les secteurs de l’économie, y compris l’énergie propre et l’économie verte. L’économie sociale et solidaire est propulsée sur le devant de la scène. Un fonds de soutien aux caisses sociales (CNAM, CNRPS et CNSS) est sur pied. Et cela est de nature à rassurer sur la pérennité du modèle social. Un fonds de fonds propres mezzanine est en cours de création.

Il y a une batterie de mesures ciblées et momentanément bien dotées, dans l’ensemble, afin de faire proliférer la promotion de nouveaux projets, ce qui est de nature à conforter l’environnement de l’investissement. Cependant, le taux de 2,6%, qui nous paraît plausible, ne modifiera pas, par un coup de baguette magique, la physionomie du système économique. Cela donne à penser qu’il nous met sur une voie de reprise de la dynamique de l’économie. Et les hypothèses sur les évolutions des intrants, tel le cours du pétrole qui est retenu à 75 dollars US le baril, semblent tenir le rang.

Naturellement les experts du département des Finances ont aménagé certains accommodements. On cite à titre d’exemple la dissimulation du taux de change du dinar dont ils se sont défaussés sur la BCT.

Dans l’ensemble, cela n’invalide pas la démarche ni la méthodologie d’élaboration du plan, si tout se passe bien. A l’évidence on trouve de-ci, de-là quelques carences ou lacunes. Les aides aux entreprises en dédommagement de la crise sanitaire laissent à désirer. Mais en l’absence de certains impondérables, tel le réemballement de la crise sanitaire, le budget tiendrait le choc.

Les signaux forts à l’adresse du FMI

Tous les observateurs sont à l’affût de la vision que véhicule un budget. Faute d’un plan économique 2021-2026, cette vision fera défaut. Elle restera floue, insaisissable. Séance tenante, le ministre de l’économie s’est engagé à élaborer un plan quinquennal à horizon du premier semestre 2022. Toutefois, quelques signes non trompeurs annonciateurs de réformes de fond sont perceptibles. L’ajustement du prix à la pompe se fera désormais de manière automatique dès que les cours auront varié de + ou – 3%.

La Tunisie a toujours privilégié la progressivité dans la conduite des réformes afin d’en atténuer le coût social. Est-ce une façon de monnayer la paix sociale ? Il y a de cela. Il faut toutefois reconnaitre que c’est aussi un bouclier contre toute éruption de revendication sociale.

Si cette échelle d’ajustement du prix des carburants ne soulèvera pas de contestation populaire, à coup sûr elle sera étendue aux produits de base. Et c’est là une preuve de bonne volonté et de bonne foi à l’adresse des experts des agences de notation et à l’ensemble des bailleurs de fonds.

Le gouvernement a également commencé à mettre la masse salariale sous contrôle avec des moyens incitatifs et non coercitifs, car il ne peut “dégraisser le mammouth“ d’un coup. Il veut être crédité de ce volontarisme réformateur y compris quand la situation est durement éprouvée. Et le voilà qui passe à l’acte.

L’hypothèque de l’accord du FMI

Le budget 2022 comprend un sérieux talon d’Achille. Le pays doit s’endetter pour 19,983 milliards de dinars dont 12,652 milliards de dinars à l’international et le reliquat, soit 7,331 milliards de dinars sur le marché intérieur.

Pour apaiser l’opinion, Sihem Nemsia Boughdiri prendra les devants et relativisera en rappelant qu’en 2022 la dette sera de 114,142 milliards de dinars et que cela représente 82% du PIB. Elle pensait éviter l’épineuse question de la causalité de la dette et de sa soutenabilité. Or, la Tunisie devra emprunter pour financer le budget, une fois encore. Et non pour financer des investissements.

D’ailleurs, nous pensons que le Titre II du budget sera évacué de son allocation et que le PPP sera activé à fond la caisse, bon gré mal gré. Et la Tunisie ne pourra envisager d’emprunter à l’international qu’une fois l’accord conclu avec le FMI. Et cela n’interviendra pas avant la fin du premier trimestre de la nouvelle année. Cela met en suspens toute la portée effective du budget en tant que booster de la croissance.

La ministre des Finances se voulait rassurante en soutenant que l’amnistie du cash, avec le paiement de 10 % libératoire, alimentera l’épargne intérieure et que l’amnistie du change que la BCT est en train de préparer donnera un supplément de souffle aux réserves de change. Pour l’heure tout ceci reste aléatoire et on ne veut pas pousser notre interrogation plus avant. Car dans l’hypothèse où le FMI nous fait défaut, il est facile au lecteur d’imaginer la suite des événements.

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