Au regard des analyses des experts, la loi complémentaire 2022, loin de rectifier et de corriger les erreurs de calcul commises lors de l’élaboration, en décembre 2021, de la loi de finances initiale, va aggraver la situation économique du pays, qui fait face à une récession multiforme depuis des années. 

Officiellement, le décret n° 69 de 2022 du 22 novembre 2022 portant loi de finances complémentaire pour l’année2022 a été publié mercredi 23 novembre 2022, dans le Journal Officiel de la République Tunisienne (JORT).

Cette loi de finances rectificative porte notamment sur les articles 5 à 8 de la loi de finances initiale 2022 fixant les prévisions de recettes et dépenses annuelles de l’Etat. Globalement, la loi de finances rectificative prévoit des recettes de 41,13 milliards de dinars, contre 38,62 milliards de dinars initialement), et des dépenses de 50,91 milliards de dinars (contre 47,17 milliards de dinars).

Sur l’année 2022, la loi de finances rectificative planifie un déficit annuel de 9,78 milliards de dinars, tandis que la loi de finances initiale, établie dans un cadre d’exceptionnalité extrême (cinq mois après le coup de force constitutionnel du 25 juillet 2021 et avant la guerre russo-ukrainienne), prévoyait un déficit de 8,55 milliards de dinars.

La loi rectificative a sacrifié le poste “investissement public“

Commentant cette loi rectificative, le gouvernement, par la voix du ministre de l’Economie et de la Planification, Samir Saïed, s’est contenté d’indiquer que les révisions ont « le prix référentiel du prix du baril de pétrole pour passer à 105 dollars au lieu des estimations à 75 et les prix des produits de base ».

Le ministre a ajouté que le projet de loi de finances rectificative contient des économies de dépenses, dont celles courantes, mais pas seulement. «Nous sommes malheureusement obligés de sacrifier certaines dépenses de développement (investissement public), aussi», a-t-il noté.

Quant aux experts, tout en reconnaissant que cette loi rectificative intervient très en retard, ils estiment cependant qu’avec sa publication dans le JORT elle va jouer le rôle qui lui est dévolu, avec des nuances.

Celle de Mohamed Jarraya, expert en économie et président de l’observatoire «Tunisia Progress», de par sa globalité et pertinence, mérite qu’on s’y attarde.

Les recettes budgétaires d’origine fiscale ont atteint 88%

Lors d’un débat sur la question organisé par le magazine « L’Economiste Maghrébin », l’expert a relevé trois remarques.

« Un : pour la première fois, voire l’unique fois, on a une loi sans argumentaire. Les arguments, les hypothèses, le pourquoi des choses, les explications requis n’ont pas été publiés et communiqués. Dans le document publié, nous avons deux pages d’articles généraux, et ensuite la base des données avec les tableaux des ressources et affectations.

Deux : on est passé de 55 milliards de dinars de dépenses à 60 milliards de dinars. Cela dénote que les hypothèses n’étaient pas au point et que certaines crises géopolitiques telles que la crise russo-ukrainienne ont impacté cette loi là et aussi le social avec les exigences d’augmentations salariales sans cesse et sans répit. Tous ces facteurs n’ont fait que crever les déficits et les aggraver.

Trois : les recettes budgétaires de source ou d’origine fiscale ont atteint 88%. Avant, quand on avait 50 à 60%, on se plaignait et on disait que ce n’est pas normal. Maintenant, c’est presque 90%. Et cela a un impact direct sur la pression fiscale. Cette dernière impacte l’économie et le pouvoir d’achat, et cela déclenche des remous sociaux ».

La couverture du déficit budgétaire serait reportée

Autre remarque et non des moindres relevée par Mohamed Jarraya : « cette loi rectificative n’a pas éliminé le déficit estimé à 10 milliards de dinars environ. Plus exactement, on a indiqué, dans le document, que ce déficit sera de l’ordre de 9,4 milliards, sans signaler comment le couvrir. En termes comptables, cela ne peut être qu’un déficit reportable », estime l’expert avant d’ajouter : « le report de ce déficit, en l’absence d’une relance de la croissance économique, c’est une pression fiscale supplémentaire surtout que la sortie sur le marché interne des banques et le marché international est devenue périlleuse ».

Par delà cette analyse de l’expert Mohamed Jarraya, les autres commentaires s’accordent pour avancer que cette loi rectificative a été conçue dans l’esprit de « paver le terrain pour une augmentation de la prestation fiscale dans le cadre de la loi de finances 2023 ».

A bon entendeur.