« Il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre ». Et c’est peut-être cette surdité qu’interpellent, dénoncent et condamne les Etats-Unis d’Amérique via le rapport accablant publié il y a trois jours par « Bank Of America » prévenant quant aux risques d’une dette extérieure élevée pour les six prochaines années sur la Tunisie, alors que sa situation socioéconomique et politique est de plus en plus incertaine en l’absence d’un programme de réformes concret et d’une feuille de route claire.

« Motus et bouche cousue » c’est le leitmotiv observé à la lettre par l’Etat tunisien. Une omerta qui n’arrange pas les affaires d’un pays où flou politique et flou économique sont devenus la règle.

« Nous sommes revenus aux temps où nous devions dénicher ailleurs les informations sur notre pays », s’indigne Habib Karaouli, expert économique et PDG de CAP Bank.

BofA Securities (Bank Of America Merrill Lynch), branche en charge des activités de banque d’investissement, est considérée comme une référence aux États-Unis et à l’international en matière de conseil et de gestion des risques, d’où l’importance de ses analyses et de ses « jugements ». Du coup, on ne peut pas dire que les risques en Tunisie sont un fait de littérature ou l’expression d’une pression américaine.

Le rapport publié par BofA Securities met en évidence la crise du financement du budget de l’Etat tunisien appelé à s’intensifier en l’absence d’un plan sérieux de réformes et d’un accord avec le FMI. Le rapport parle d’un déficit de financement extérieur pour 2021, qui pourrait atteindre 1,9 milliard de dollars US équivalent à 5,6 milliards de dinars (4,3% du PIB) pour le quatrième trimestre de 2021, ce qui pourrait entraîner des défaillances et des pénuries dans les importations.

L’absence d’un point d’ancrage clair pour la politique économique réduit les chances de succès d’un programme de crédit du Fonds monétaire international (FMI), estime le rapport.

Un seul programme économique, lutter contre la corruption

Pendant ce temps, en Tunisie, le seul discours économique crié, écrit et mentionné même dans les sites d’institutions sensées encourager la création d’entreprises et l’investissement, est celui de la lutte contre la corruption, qui décuple au rythme des invectives et des appels à son éradication. Une lutte à tel point peu pensée qu’elle en devient inefficace.

A ce jour, aucune feuille de route, aucun plan de réformes annoncé et défendu par les décideurs publics. Le risque de défaut sur la dette souveraine de la Tunisie, jugé comme « une situation très probable », s’explique, comme mentionné dans le rapport, par le manque de visibilité des perspectives de la situation sociale, économique et politique. « Ce sont des éléments factuels que nous ne pouvons contester, commente Habib Karaouli. Sur le fond, il va falloir que les autorités tunisiennes réagissent et apportent une réponse circonstancielle. Il ne faut surtout pas prendre ombrage du rapport mais le voir du côté positif comme étant un mal pour un bien. C’est au contraire, une occasion pour mettre à plat tous les problèmes de la Tunisie et proposer des solutions. Le diagnostic doit être tunisien, les solutions aussi. Il faut qu’il y ait une coordination entre les politiques budgétaires et les politiques monétaires, entre gouvernement et Banque centrale, sans oublier les partenaires sociaux ».

Les programmes de réformes proposés par la Tunisie doivent être réalistes, insiste Karaouli, il ne s’agit pas de promettre ce qu’on ne peut pas réaliser mais d’honorer nos engagements même s’ils ne s’élèvent pas aux attentes des partenaires. « Il s’agit de réaliser ce que nous promettons et de rétablir la confiance ».

Le rapport est une réponse à la fuite en avant des autorités tunisiennes

« Ce rapport a mis le doigt sur la plaie. Ce n’est pas le premier du genre émanant d’institutions internationales. Des rapports ignorés totalement par les autorités tunisiennes qui se complaisent dans la fuite en avant. Le rapport de Bank Of America est un avertissement à l’Etat tunisien, un appel à réagir par rapport aux impératifs socioéconomiques marginalisés à ce jour alors que le pays se dirige résolument vers le scénario libanais et que les beaux esprits (sic) embellissent, à tort, une réalité désastreuse », s’inquiète Moez Hadidane, universitaire-chercheur et expert en marchés financiers.

Le fait même que le rapport mentionne le manque de manifestation d’intérêt pour un soutien financier régional à la Tunisie suite à la visite de la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, en Arabie saoudite, devrait interpeller le haut de la pyramide de l’Etat et l’inciter à trouver des solutions. Un plan de relance et de sauvetage de l’économie et des finances est vital dans un pays, ou changer de « fêtes nationales » semble plus important alors que le peuple s’appauvrit de plus en plus, est désenchanté et totalement désillusionné par rapport au soulèvement du 14 janvier.

« Tout soutien bilatéral apporté à la Tunisie ne peut être envisagé que dans une éventuelle restructuration future de la dette publique menée dans le cadre du processus du Club de Paris et cela pourrait donc avoir un effet bloquant sur le plan économique ». Ces lignes intégrées sciemment dans le rapport font figure d’un tir de sommation avant le coup de grâce à un pays où les dirigeants jouent à l’autruche évitant de s’attaquer aux véritables problèmes et investissant le peu d’énergie et de savoir-faire dont ils disposent dans les faux problèmes.

Il y a quelques mois, Ali Dhaloomal, analyste de recherche crédit à Bank of America, mentionnait dans un rapport de recherche que si un accord avec le FMI était conclu, l’écart de rendement sur l’obligation tunisienne en dollars à 25 ans pourrait se resserrer vers l’endroit où se négocie actuellement la dette égyptienne à échéance équivalente.

Il faut espérer que cette option soit toujours valable puisque des réunions ont été lancées entre la Tunisie et le FMI pour un nouveau programme de financement. Un programme de réformes devrait, éventuellement, convaincre le FMI quant à des solutions réalistes pour les finances publiques, la dette, la restructuration des subventions, des entreprises publiques et de la masse salariale publique.

Croisons les doigts.

Amel Belhadj Ali