Neuf (9) femmes à la tête de départements techniques importants. Najla Bouden est incontestablement l’un des Premiers chefs de gouvernement à avoir désigné un nombre aussi important de compétences féminines dans des départements techniques.

La configuration du gouvernement Bouden est un mélange de compétences administratives confirmées et d’universitaires comprenant une bonne dose d’énarques conseillers des services publics.

A l’international, Arabie Saoudite et Egypte ont applaudi à la formation du nouveau gouvernement. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a félicité Kaïs Saïed et a déclaré son intention de se rendre en Tunisie à la tête d’une importante délégation pour booster la coopération entre les deux pays. Il a exprimé par la même occasion son rejet de toute ingérence extérieure dans les affaires tunisiennes.

Les Etats-Unis ont également félicité la Tunisie par la voix du porte-parole du département d’Etat, Ned Price : « Nous félicitons la Tunisie pour la formation d’un nouveau gouvernement sous la direction du Premier ministre Bouden. Le nouveau gouvernement, qui comprend 10 femmes ministres, est un pas en avant bienvenu pour relever les importants défis économiques, sanitaires et sociaux auxquels le pays est confronté. Nous attendons avec impatience d’autres annonces pour établir un processus largement inclusif pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel ».

A noter au passage que le Congrès américain va, jeudi 14 octobre 2021, consacrer une séance à la Tunisie et dans laquelle figurent des témoignages et des appréciations de la situation socioéconomique et politique en Tunisie. Il va sans dire que le soutien américain dépendra des conclusions de la Commission qui siègera.

Les 16 et 17 octobre se tiennent également les assises de la Banque mondiale et du FMI, et c’est là que le sort des prêts que pourrait avoir la Tunisie – si elle arrive à convaincre les bailleurs de fonds internationaux – sera joué.

Le nouvel ambassadeur tunisien à Washington a du pain sur la planche. Aura-t-elle la capacité de faire front aux campagnes de lobbying anti-Tunisie sur place ? Nous le verrons dans très peu de temps.

La Tunisie entre soulagement et inquiétude !

En Tunisie, les réactions ont balancé entre soulagement et inquiétudes ; soulagement de voir enfin un gouvernement totalement apolitique où le facteur déterminant est la compétence et le mérite et non l’appartenance politique et l’allégeance aux partis ; inquiétudes par rapport aux grands défis qu’il aura à relever, ce qui ne sera pas une tâche aisée.

L’Union nationale des femmes tunisiennes a exprimé sa satisfaction de voir autant de cadres féminins diriger des départements techniques. « Choisir des femmes pour diriger des ministères aussi importants est une preuve de plus de la capacité des Tunisiennes à gérer des dossiers déterminants et répondre à des enjeux de taille pour le pays, qu’il s’agisse de la finance, de l’économie ou de la justice ».

Slim Laghmani, professeur de droit à la Faculté des Sciences juridiques, a exprimé sa joie de voir formé le nouveau gouvernement. « Des compétences avérées dans les départements économiques et technologiques, une présence féminine importante, la plus importante du monde arabe, avant le Maroc je crois. Je salue, en particulier, le retour de Kamel Deguiche victime d’une grande injustice. Nous attendons le travail et ses résultats et, quel que soit le cadre juridique, nous espérons que ce gouvernement aura l’autonomie qui lui est nécessaire … Pourvu qu’on sorte très rapidement de cet état d’exception et que l’économie puisse être redressée. Tant que nous serons dans le provisoire politique, le gouvernement aura du mal à sortir le pays de là où il est…».

L’autonomie, terme délibérément choisi par Pr Laghmani, illustre la préoccupation d’un pan de la classe éclairée en Tunisie quant aux aspirations de Kaïs Saïed à être “maître des décisions“. La place de plus en plus importante de l’incontournable Nadia Akacha, ministre-directeur du cabinet présidentiel serait également inquiétante car elle interviendrait systématiquement dans la gestion des relations du président avec ses ministres. Espérons que le feuilleton Lotfi Ben Sassi avec Youssef Chahed ne sera pas réédité aujourd’hui avec le gouvernement Bouden. La Tunisie a besoin d’un gouvernement soudé qui communique directement franchement avec le président.

A ce propos, Hamadi Ben Jaballah, Pr d’enseignement supérieur, a déclaré que l’acte appréciable du 25 juillet ne peut continuer à relever de la responsabilité d’une seule personne même si elle dispose de pouvoirs surnaturels. « Ce gouvernement augure de belles réalisations, mais une des conditions de son succès est que la société civile assume sa pleine responsabilité dans le sauvetage du pays des effets de 10 ans d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. L’UGTT, l’UTICA, l’UTAP, l’UNFT ainsi que les organisations de défense des droits de l’Homme doivent être associées dans l’élaboration du plan de sauvetage du pays pour mettre fin à une transition qui a trop duré ».

La relance de l’économie nationale ne se fera pas seulement par la lutte contre la corruption

Le gouvernement Najla Bouden est différent de ceux qui l’on précédé. Le département des Affaires locales, malmené par une mauvaise gouvernance notoire, n’est plus sis au ministère de l’Environnement et laisse entrevoir sa récupération par le ministère de l’Intérieur.

La Coopération internationale, avec à sa tête la secrétaire d’Etat, Aïda Hamdi, rejoint le ministère des Affaires étrangères avec pour objectif d’appuyer les efforts de développement de la diplomatie économique.

Le département Investissement n’existe plus. Espérons la restitution du Tunisian Investment Authority (TIA) car la Tunisie a plus que jamais besoin d’investissements internes et externes.

Rappelons à ce propos que l’investissement public et privé, qui était de 21% en 2010, ne dépasse guère aujourd’hui les 2%.

Najla Bouden a annoncé dans son discours « d’investiture » un programme économique axé sur la lutte contre la corruption. Les campagnes anticorruption qui n’ont cessé depuis bientôt 11 ans et dont les conséquences ont été plutôt désastreuses parce qu’à la tête du client doivent être appréhendées autrement ! Elles ne suffiront toutefois pas au sauvetage du pays.

La Première ministre a parlé aussi de la nécessité de rétablir « la confiance du citoyen dans l’administration, le service public, ainsi que la confiance des parties étrangères, envers la Tunisie ». Et ceci passera certainement par des messages rassurants adressés par un gouvernement visionnaire, capable de mettre en place des projets réalistes, réalisables dans lesquels seront impliqués tous les citoyens sans distinction de classes ou de régions.

La reprise de la confiance ne se fera pas par les discours populistes brandissant le slogan mâché et remâché de « lutte contre la corruption ». La lutte contre la corruption ne peut se faire que par force de loi, la révision de lois trop compliquées et trop nombreuses, l’assouplissement des procédures, la transparence par la digitalisation de tous les services relatifs aux marchés publics et formalités administratives. C’est comme cela que nous pourrions assurer la sécurité économique, sociale et sanitaire dont parle la Première ministre.

« Redonner espoir au citoyen pour un avenir meilleur », comme l’assure Najla Bouden, ne se fera pas uniquement par une chasse aux sorcières systématique et par des discours menaçants, mais par la mise en place d’un programme de relance économique auquel adhèreront tous les acteurs publics et privés. C’est à un acte de solidarité nationale que devrait appeler Najla Bouden, c’est sur l’adhésion de tous sans distinction qu’elle devrait compter. « Ouvrir l’initiative aux jeunes dans toutes les régions, améliorer les conditions de vie du citoyen, et son pouvoir d’achat, assurer des services publics de qualité dans les domaines de l’enseignement, la santé, le transport… » font cliché si on n’a pas le courage d’engranger des réformes qui pourraient s’avérer douloureuses pour tout le monde.

Et dans toutes ces déclarations, nous n’avons pas entendu ceux qui détiennent le destin du pays dans leurs mains insister sur la valeur travail et le nécessaire éveil, y compris chez les jeunes, de la volonté de participer activement à l’édification d’une nouvelle Tunisie en investissant toute leur énergie et créativité dans le travail et en prenant résolument sur le chemin de la construction. Après les déclarations d’intention, c’est du concret que l’on attend.

Amel Belhadj Ali