Contrairement à l’enthousiasme qu’affichent certains officiels tunisiens quant à la conclusion imminente d’un accord avec l’Union européenne (UE) sur l’Open sky, et son corollaire l’ouverture du ciel tunisien à toutes les compagnies aériennes européennes, moyennant des aides financières de l’UE, les transporteurs aériens publics et privés du pays, tout autant que les professionnels du tourisme, appréhendent des retombées négatives de cette déréglementation aérienne sur leurs activités.

Abou SARRA

Ces derniers reprochent au gouvernement de l’époque, celui de Youssef Chahed en l’occurrence, d’avoir négocié et paraphé à la hâte cet accord, le 11 décembre 2017, sans se concerter avec les professionnels.

Ils estiment, aujourd’hui, que cet accord sur les services aériens vont à l’encontre des intérêts des Tunisiens, et ce d’après eux pour trois raisons essentielles.

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La première serait que la Tunisie n’avait pas vraiment besoin de l’ouverture de son ciel en ce sens où ce ciel est déjà largement ouvert de fait.

Selon les experts, les compagnies aériennes tunisiennes y compris le transporteur national Tunisair, à défaut de moyens financiers et logistiques conséquents, ne sont pas parvenues, jusqu’ici, à exploiter totalement les 50% de part du marché qui leur revenait de droit. Elles sont actuellement à hauteur de 35%, laissant les 65% restants (15% + 50%) de part de marché aux pavillons étrangers.

Mieux encore, en matière de charter, la Tunisie a libéralisé cette activité depuis les années 70 du siècle dernier. Ainsi, toute compagnie aérienne désireuse d’opérer en charter sur la Tunisie est autorisée à le faire quel que soit son pavillon d’origine et sans restrictions de fréquences.

La deuxième raison serait que dans leur intérêt, les compagnies tunisiennes, confrontées constamment à un problème de remplissage de sièges (60% environ) auraient dû penser plus à remédier à cette lacune qu’à ouvrir le ciel à des concurrents plus puissants financièrement, mieux nantis et mieux équipés pour occuper le terrain et imposer leur prix.

La troisième porte sur les risques que fait encourir l’open sky à certains corps de métier, à l’instar des agences de voyage, notamment celles qui travaillent dans le domaine de la billetterie. Celles-ci pourraient être sérieusement gênées par ce mécanisme, sachant que les compagnies low cost travaillent sans passer par les agences. Pour ne citer qu’un chiffre: 90% des activités de ces compagnies sont effectuées à travers internet et seulement 10% via les centres d’appels.

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Cela pour dire que les compagnies aériennes tunisiennes, déjà handicapées par des coûts de production élevés et par des personnels pléthoriques – particulièrement pour Tunisair -, risquent de pâtir énormément de cette concurrence.

Deux pistes à explorer pour résister

Pour contenir ces éventuels impacts négatifs, les experts recommandent au gouvernement tunisien de tout faire pour obtenir deux avantages lors des ultimes négociations avant la conclusion de cet accord.

Le premier consiste en l’alignement des taxes aéroportuaires en partance d’Europe vers la Tunisie (52 euros) avec celles en partance pour les pays intracommunautaires (35 euros).
Le second avantage serait d’obtenir le droit de cabotage aérien, qui désigne, dans le droit aérien, le transport de passagers, de courrier et de marchandises entre deux points à l’intérieur du territoire d’un État, effectué par un autre État ou une entreprise de transport aérien d’un autre État.

Dans la perspective d’obtention de ce droit de cabotage, la Tunisie se doit cependant de réhabiliter certains aéroports de l’intérieur du pays et de les adapter aux normes internationales.

C’est dans cette logique que des aéroports comme ceux de Gafsa, de Tabarka Ain Draham (nord-ouest), Remada (aéroport militaire converti en aéroport civil), ont été réaménagés.

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L’obtention de ces deux avantages permettrait, d’après les experts, à la Tunisie d’accueillir de plus importants flux touristes, de dynamiser ces aéroports abandonnés, de désenclaver les régions de l’intérieur et de créer des emplois.

Les experts mettent également en garde les hôteliers contre l’illusion de croire que l’Open sky va les aider à contourner le diktat des TO. Pour Hédi Hamdi, consultant dans le tourisme et le transport aérien, « ceux qui rêvent de limiter l’emprise des TUI et consorts semblent oublier que l’Open sky ouvrira la porte à de nouveaux dominants non moins puissants, en l’occurrence les Booking, Expedia, Airbnb… qui sont aujourd’hui les nouveaux maîtres de la vente de voyages en ligne, sans parler de la déferlante des GAFAM qui sont en train de se mettre en place dans le tourisme ».

En somme, à la lumière des réserves des professionnels, tout porte à croire que la conclusion prochaine d’un accord sur l’Open sky va certes “dépanner“ le gouvernement pour recevoir de l’argent frais, mais il va mettre les professionnels en face d’un accord asymétrique aux conséquences qui risquent d’être désastreuses.

Malheureusement, c’est devenu une sinistre habitude : les gouvernements tunisiens négocient mal les accords de libre-échange avec les partenaires multilatéraux et régionaux.

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