Avec plus de 80.000 emplois, l’industrie automobile tunisienne est en pleine croissance sur un marché mondial porteur malgré le triste passage de la pandémie Covid-19. Le site Tunisie a attiré des investisseurs d’une vingtaine de nationalités. Reste que les lourdeurs administratives et l’absence du soutien des autorités publiques n’ont pas été pour aider les opérateurs implantés sur le territoire national à résister à la concurrence et parer aux imprévus. D’où l’élaboration du Pacte pour la compétitivité de l’industrie automobile en attente de signature.   

Entretien avec Nabhen Bouchaala, président de Tunisian Automotive Association (TAA).WMC: Quelles sont les spécificités de l’industrie automobile en Tunisie ?

Nabhen Bouchaala: Le secteur des composants automobiles est le secteur clé de l’économie tunisienne. Il représente près du tiers des exportations IME et fait partie des secteurs prioritaires qui s’inscrivent dans une volonté nationale de promouvoir les investissements, le développement régional et l’innovation.

Forte de la proximité géographique entre la Tunisie et l’Europe et de son savoir-faire, l’industrie tunisienne se démarque de plus en plus dans le secteur du câblage mais aussi dans les filières de la mécanique, la plasturgie caoutchouc, l’électronique, le cuir et textile et les pièces de rechanges.

250 entreprises, 80.000 emplois directs, 2 milliards d’euros d’exportations, la Tunisie dans le top 3 des producteurs de composants automobiles en Afrique

Le secteur automobile compte plus de 250 entreprises réparties sur toute la Tunisie dont plus de 65% sont totalement exportatrices avec plus de 80.000 emplois directs et plus de 2 milliards d’euros d’exportations.

L’industrie automobile tunisienne a enregistré une croissance remarquable au cours des dix dernières années. Une progression qui positionne la Tunisie dans le top 3 des producteurs de composants automobiles en Afrique.

Sa performance est particulièrement remarquable à l’export et en termes de création d’emplois, indicateurs à l’égard desquels le secteur continue d’enregistrer une excellente croissance annuelle.

Quel est son apport au PIB ?

4% du PIB

Qu’est-ce qui fait de la Tunisie un site attractif pour cette activité ?

La Tunisie bénéficie d’une proximité géographique avec les pays européens et a signé des accords de libre-échange notamment avec l’Union européenne, des pays d’Afrique subsaharienne et du Moyen-Orient.

Les principaux classements économiques positionnent clairement la Tunisie parmi les pays les plus attractifs de sa région, qu’il s’agisse du Maghreb, de l’Afrique subsaharienne ou de l’Europe du Sud et de l’Est.

La Tunisie compte plusieurs «success stories» et une multitude d’acteurs de premier plan à l’échelle régionale et internationale.

Selon le «Global Competitiveness Report», la Tunisie est le premier pays d’Afrique du Nord en ce qui concerne la qualité de la formation professionnelle, la compétence des diplômés et par la facilité d’accès aux talents … de même que celui des opérateurs et techniciens.

Le coût de la main-d’œuvre demeure l’un des principaux éléments de différentiation de la destination Tunisie – le coût annuel moyen des ingénieurs tunisiens est très compétitif par rapport aux principales destinations concurrentes…

Le pays s’est par ailleurs doté d’une multitude d’espaces intégrés et aménagés visant à favoriser les activités de R&D, de production et de formation.

Nous mettons surtout l’accent sur la densité de l’écosystème de la fabrication des pièces automobiles. En effet, nous disposons d’une très grande partie de la supply chain, ce qui rend facile l’intégration de modules complets dans la voiture, tels que les composants électriques, électroniques, software, intérieurs et modules, transmission…

Par conséquent, une part importante des composants de la voiture peut être sourcée sur place.

Il existe dans cet écosystème des sociétés d’envergure internationale et d’autres qui sont de moindre taille. Il est clair qu’elles n’ont pas toutes la même facilité à accéder à l’international mais des partenariats peuvent se créer afin de capter plus de parts de marché.

La richesse du tissu PME tunisien permet une grande agilité et renforce son attractivité comme destination capable d’assurer et de maintenir la stabilité de la supply chain.

Comment le Pacte pour la compétitivité de l’industrie automobile tunisienne, initié par vos soins et la TAA (Tunisian Automotive Association), pourrait soutenir le développement de l’industrie automobile dans un contexte social des plus délicats?

Nous avons mentionné que le secteur automobile génère plus de 80.000 emplois directs en Tunisie. Malgré la crise sanitaire mondiale, des performances nationales mitigées et un marché automobile mondial en berne, ce secteur est parvenu à se maintenir. La mise en place très rapidement d’un protocole sanitaire en collaboration avec le gouvernement a permis au secteur automobile de s’adapter et d’assurer le maintien de ses marchés nationaux et internationaux et par là-même la sauvegarde de la grande majorité des emplois.

Ce Pacte pour la compétitivité de l’industrie automobile, soutenu par le ministère de l’Industrie sous le haut patronage de la présidence du gouvernement, a pour ambition de fixer des objectifs stratégiques pour le secteur à l’horizon 2025. Nous espérons qu’il sera signé dans les semaines à venir.

Sa réussite dépend en grande partie des capacités des entreprises tunisiennes à relever les défis de la compétitivité dans un climat d’affaires de moins en moins favorable, comme le démontre le recul important de la Tunisie dans les classements internationaux.

La Tunisie a en effet perdu 63 et 33 places entre 2010 et 2017 dans les rapports respectifs «Global Competitivenes Report» de Davos et «Doing Business» de la Banque mondiale.

Pour faire face à ce déclin, le Pacte sera la feuille de route du secteur afin de soutenir efficacement et de façon pertinente le gouvernement dans la mise en place, dans les meilleurs délais, des actions à court, moyen et long termes pour améliorer la compétitivité du secteur automobile, stratégique pour l’économie tunisienne et améliorer son attractivité à l’échelle internationale.

Ce Pacte vise à assurer une mobilisation nationale autour d’objectifs ambitieux mais réalistes, en ligne avec le scénario de croissance de notre vision de la Tunisie à l’horizon 2025.

Dans ce cadre, l’Etat et le secteur automobile s’engagent sur la mise en œuvre des mesures spécifiques nécessaires à la réalisation de ces objectifs afin de renforcer l’investissement, l’exportation, l’emploi, l’innovation et la responsabilité sociale du secteur automobile.

Quelles solutions avez-vous apportées pour pallier aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement durant la crise Covid-19 ?

Il y a eu un très important mouvement de solidarité pendant la période de crise qui perdure jusqu’à aujourd’hui.

La première action que nous avons entreprise, c’est la mise en place d’un protocole sanitaire commun afin de protéger toutes les personnes travaillant dans le secteur ainsi que leurs familles. Un protocole détaillé et complet que nous avons défendu devant les instances gouvernementales, ce qui nous a valu d’être parmi les premières industries (après l’agroalimentaire et le médical) à être autorisées à reprendre le travail.

De plus, la TAA a soutenu tous ses adhérents pour l’obtention des autorisations nécessaires pour maintenir les opérations le plus rapidement possible.

Nous avons aussi accentué la communication interne avec nos adhérents à travers des bulletins d’information pour les tenir au courant de l’évolution de la situation tant en Tunisie qu’ailleurs dans le monde, et la communication externe avec nos parties prenantes à travers les réseaux sociaux et notre site web.

La TAA a aussi émis régulièrement des notes aux constructeurs et équipementiers durant toute la période de confinement pour les informer sur la situation sanitaire globale en Tunisie et particulièrement de l’activité de l’industrie automobile.

A ce jour, nous continuons à livrer nos clients étrangers tout en respectant les lois et protocoles en vigueur mis en place par les pays et entreprises destinataires.

Comment la Tunisie pourrait-elle profiter des mouvements de relocalisation et de régionalisation en cours en Europe ?

La crise de la Covid-19 a révélé la forte dépendance vis-à-vis de la Chine pour de nombreux composants. La prise de conscience des difficultés et défaillances qui se sont fait ressentir pendant cette crise devrait entraîner la reconfiguration des chaînes de valeur mondiales. La supply chain est aujourd’hui plus que jamais au centre des réflexions stratégiques des économies les plus puissantes, qui se doivent de développer leur propre autonomie à travers des chaînes de valeur domestiques, dans la limite du possible.

Ce phénomène ne pourra se traduire que par un mouvement de régionalisation pour une supply chain plus optimisée.

Je pense que la réindustrialisation de l’Europe doit se faire par un partenariat accru avec ses voisins d’Afrique du Nord. De nombreuses opportunités sont à saisir, notamment concernant les technologies futures et les tendances qui fleurissent actuellement dans le marché de l’automobile.

La Tunisie bénéficie d’un positionnement géographique stratégique tant vers l’Europe que l’Afrique. Je suis convaincu que la Tunisie va jouer, dans les prochaines années, un rôle majeur dans la chaîne de valeur automobile mondiale.

Certains signes de reprise, timides certes, ont été constatés dans les pays occidentaux. Qu’en est-il de la Tunisie ?

La résilience de la Tunisie au pic de la crise a contribué à asseoir la réputation de notre pays en tant que partenaire stable, sérieux et opérationnel, tout en assurant la santé et la sécurité des employés du secteur. Le secteur a été capable d’absorber les fortes variations de volumes, ce qui a permis de s’inscrire naturellement dans cette reprise.

Entretien conduit par Amel Bel Hadj Ali