En Tunisie, l’économie et le social ont été mis à rude épreuve durant la décennie 2011-2021, et ce en dépit d’un concours financier international conséquent. L’instabilité politique, le coût de la lutte contre le terrorisme, les mouvements sociaux, la fermeture du marché libyen, et tout récemment la pandémie de la Covid-19 se sont associés pour mettre à genoux l’économie du pays et précariser le quotidien des Tunisiens.

De prime abord, rappelons qu’en dix ans, l’économie tunisienne a été gérée -sans aucun résultat notoire en dépit du riche potentiel dont engrange le pays- par 4 chefs d’Etat, 10 gouvernements et pas moins de 443 ministres.

Instabilité multiforme

A cette instabilité gouvernementale vient s’ajouter une instabilité sociale et fiscale dissuadant ou plombant toute initiative d’investissement, de développement et d’exportation.

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En dix ans, les secteurs exportateurs ont été bloqués par des mouvements sociaux de jeunes sans emploi dans le bassin minier de Gafsa pour le phosphate, et dans les régions de Tataouine et de Kébili pour les hydrocarbures.

Même le tourisme, autre activité exportatrice, il a été frappé de plein fouet par le terrorisme, mais aujourd’hui par la pandémie du coronavirus (-65%).

Résultat : le déficit courant s’est aggravé et a franchi, selon certains observateurs, les 20 milliards de dinars, soit 40% du budget de 2021.

L’investissement compromis par l’instabilité fiscale

Au rayon de l’instabilité fiscale, les lois de finances ont institué plus de 700 mesures lesquelles, à défaut de volonté politique, de logistique et de textes d’application clairs et simplifiés, n’ont pas pu voir le jour.

Cela pour dire que loin -très loin même- des slogans « travail, liberté, dignité » brandis par les indignés tunisiens descendus dans la rue un certain 14 janvier 2011, la soi-disant démocratie tunisienne n’a fait que les enfoncer dans plus de pauvreté, d’humiliation et de chômage.

Ni la croissance ni le développement n’ont été au rendez-vous, car n’ayant fait l’objet de vision prospective. Les rares fois où on a réalisé de la croissance (une moyenne de 1% sur toute la décennie), cette dernière n’a jamais été créatrice de richesses. Et pour cause. « Durant cette période (2011-2021), le pays a créé de la croissance sans créer de richesses », a relevé l’économiste Hassine Dimassi, lequel montre « comment deux secteurs -le secteur public (plus de 850 000 fonctionnaires) par le biais de l’augmentation de la masse salariale et celui des technologies de l’information et de la communication par le bais des services qu’il fournit (téléphonie mobile, internet…) et qui profitent plus à des multinationales- ont pu à eux seuls ou presque réaliser la relative croissance créée depuis dix ans ».

Les projets réalisés datent de l’ère Ben Ali

Au rayon du développement, les mégaprojets réalisés (ou plutôt achevés dirions-nous) datent de l’ère Ben Ali. Il s’agit, notamment des tronçons routiers Oued Zarga-Bousalem, M’saken-Gabès et du champ gazier Nawara au sud, de la station de dessalement d’eau de mer à Djerba et des centrales  électriques de Sidi Abdelhamid à Sousse, de Mornaguia et de Radès 2…

«Les disparités régionales pour la suppression desquelles les indignés du 14 janvier 2011 étaient descendus dans la rue existent toujours et se sont mêmes aggravées», estime, au cours d’un forum, Tizaoui Hamadi, géographe et économiste.

Il a cité deux indicateurs simples mais synthétiques fournis par l’INS: le taux de pauvreté et le taux de chômage. Plus simplement, le chercheur a mis l’accent sur les inégalités en termes de créations d’emploi et de développement régional.

Il en ressort que le taux de pauvreté a diminué dans les régions de l’ouest du pays, non pas par l’effet de la création de nouvelles richesses et le lancement de nouveaux projets de développement structurants mais à la faveur de l’élargissement, à de nouveaux bénéficiaires, de l’assistance sociale apportée par l’Etat aux personnes nécessiteuses.

Conséquence : la transition a reproduit la même configuration développementale d’avant 2011 : les investissements à forte employabilité dans le littoral et l’assistance sociale dans l’arrière-pays.

Concernant l’emploi, le chercheur a révélé une émigration intérieure de la population active occupée ou non occupée de l’arrière-pays vers le littoral.

Comme panacée, on recourt à des solutions de facilité

Face à une telle situation, les gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays depuis 2011 ont opté pour deux solutions de facilité.

S’agissant de la première, le recours à l’endettement, le ratio de la dette, qui était de 38% en 2010, serait aujourd’hui, si on lui ajoute la dette des entreprises publiques, de l’ordre de 112%, ce qui constitue un seuil insoutenable pour un pays qui ne produit pas assez, depuis une dizaine d’années, en raison des mouvements sociaux.

La deuxième facilité a consisté à acheter la paix sociale en recrutant sans discernement dans le secteur public dont l’effectif est passé, en dix ans, de 450-500 mille en 2010 à 850 mille en 2021.

Autre insuffisance relevée par les bailleurs de fonds, la répugnance à engager les réformes. Parmi celles-ci figurent celle de la compensation qui ne profite qu’à 12% de ceux qui la méritent, la réduction de la masse salariale dans la fonction publique perçue comme une des plus lourdes au monde, le déficit des entreprises publiques (plus de 7 milliards de dinars), le déficit des Caisses de sécurité sociale…

Et pour ne rien oublier, la décennie 2011-2021 a permis à certains Tunisiens de découvrir que le mode développement clientéliste en vigueur, durant l’ère de Bourguiba et de Ben Ali,  a perduré et prospéré au cours de cette décennie.

Ils ont découvert également les dégâts occasionnés à l’économie nationale par l’effet de la consécration de la dépendance de l’économie du pays des marchés étrangers, avec l’adhésion à la globalisation de l’économie mondiale et au libre-échangisme prônés par l’OMC et dans les accords de libre-échange, souvent conclus à la hâte par des gouvernants, soucieux de perdurer au pouvoir avec la complicité d’un cartel d’hommes d’affaires enclin à importer plus qu’à produire.

Cette agression imposée à la Tunisie par la complicité des siens est perceptible à travers l’option des gouvernants qui se sont succédé à la tête du pays pour l’économie de copinage, voire pour l’économie de rente qui bloque, depuis des décennies, le développement de l’entrepreneuriat et favorise les inégalités sociales et régionales.

Du coup, l’économie informelle diabolisée depuis des décennies s’est avérée comme une légitime résilience et une légitime défense contre les cartels qui verrouillent les secteurs productifs.

Par-delà ce tableau noir, la décennie 2011-2021 aurait fait prendre conscience aux Tunisiens de la nécessité de changer le mode de développement du pays. Les bailleurs de fonds et les investisseurs étrangers continuent à croire en le site de production “Tunisie“.

Pour récolter les fruits de ce capital confiance, il suffit d’actionner le levier de la diplomatie économique pour réactiver les promesses de plus de 20 milliards d’euros faites en novembre 2016 par les investisseurs institutionnels lors de la Conférence sur l’investissement “Tunisia 2020“.

A bon entendeur.