Le patron de la Banque centrale de Tunisie est un économiste reconnu à l’international. Professeur, chargé de cours en macroéconomie, microéconomie, commerce et finance internationale et économie numérique, nourri des écoles économiques européennes et américaines, Marouane El Abassi est un esprit de premier ordre, clair, visionnaire, réfléchit méticuleusement aux problèmes en fonction de leur importance et de leur mérite.

Il plaide aujourd’hui pour une idée qui s’impose de plus en plus dans les sphères économiques mondiales, notamment aux Etats-Unis d’Amérique : « l’économie de la connaissance ».

Car on ne peut parler de croissance économique sans parler de savoir et de connaissances. Pour ce faire, le gouverneur de la BCT estime impératives les réformes structurelles pour appuyer la compétitivité, encourager l’innovation et les hautes technologies, parmi elles la transformation numérique du secteur financier dans notre pays. En témoignent le lancement du «BCT-LAB» et de la «Sandbox» et son plaidoyer pour imposer le decashing dans notre pays ainsi qu’une récente circulaire relative au M-Payment; un M-Payment devenu aujourd’hui impératif au vu des aléas sanitaires dus à la pandémie de la Covid-19. 

WMC : La Tunisie accuse un retard au niveau du M-Payment. La BCT vient de publier la Circulaire n°2020-11 relative aux «Conditions de fourniture des services de paiement mobile domestique». Pouvons-nous dire que les entraves réglementaires sont enfin levées. Quand est-il des prochaines étapes pour une implémentation solide du M-payement ?

Marouane El ABASSI : Le retard n’est pas explicable par une entrave réglementaire, étant donné que la BCT a émis depuis janvier 2011 une circulaire qui encadre la fourniture du paiement mobile domestique.

D’ailleurs, la nouvelle circulaire de mai 2020 a modifié la précédente, tenant compte du nouvel acteur arrivé sur le marché, à savoir les établissements de paiement.

La création de l’EP édictée par la loi 2016-48 sur les établissements d’une manière plus détaillée par une circulaire BCT émise en fin décembre 2018 a rendu nécessaire la revue de la circulaire 2011-06 sur le mobile paiement vu que cette dernière consacre l’exclusivité de la fourniture de ce service aux banques et à la poste.

La circulaire 2020-11 arrive juste à temps –avant l’octroi des premiers agréments définitifs à des établissements de paiement- pour déclarer l’éligibilité de ces derniers à la fourniture de ce service à côté des banques et de la poste.

Les prochaines étapes seront l’entrée en activité des premiers établissements de paiement et l’implémentation de la solution nationale de switch mobile payment auprès de la SMT qui permet de consacrer l’interopérabilité entre les différentes solutions de mobile payment à déployer et qui utilisent les nouvelles technologies (QR, …) 

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Les agréments accordés aux établissements de paiement s’inscrivent dans une démarche disruptive et d’ouverture. Qu’attendez-vous en tant que régulateur des établissements de paiement ? Quel sera leur apport dans le processus de decashing et de l’inclusion financière ? 

La loi bancaire a été l’occasion d’introduire sur le marché un nouvel acteur qui est celui de l’établissement de paiement qui devrait promouvoir l’inclusion financière, agir en tant qu’aspirateur de cash et soutenir l’innovation en matière de services de paiement.

La BCT a donné un signal fort en optant dans sa réglementation pour des conditions de fonctionnement souples pour ces établissements notamment en matière de gouvernance et de règles prudentielles avec la possibilité de recourir aux agents de paiement et la digitalisation du processus d’identification des clients à travers l’E-KYC (identification en ligne des clients).

Le développement de l’activité des EP obéit à une approche progressive et appréhendée dans le cadre d’un équilibre entre les impératifs de stabilité financière et de protection des consommateurs, le renforcement de la surveillance des systèmes de paiement, le développement d’un véritable marché de services de paiement et l’adhésion de la profession.

La BCT s’attend à une adhésion franche des banques à la présence des établissements de paiement sur le marché. Établissements qui ne devraient pas être perçus comme des rivaux dans la mesure où ils ciblent en premier lieu les non-bancarisés dans une optique d’inclusion financière. La bataille de la Tunisie est celle du decashing et de l’inclusion financière.

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Avec le lancement du «BCT-LAB» et de la « Sandbox » quelles sont les demandes exprimées par les start-up ? Et comment appréhender un partenariat entre acteurs privés et publics ? 

Avec l’ouverture de l’inscription en ligne pour la Sandbox, les FINTECH (Start up ou acteurs matures) peuvent s’inscrire dans la base de données des Fintech et soumettre leur candidature pour tester leurs solutions innovantes en grandeur réelle avec des utilisateurs volontaires pendant une période limitée. Cela permettra à ces acteurs de se conformer aux exigences réglementaires et gagner en termes de «Time to market». Du côté du régulateur, cela permettra de comprendre la complexité de la nouvelle technologie et ajuster le cas échéant le cadre réglementaire.

La monnaie numérique de la Banque centrale (CBDC) reste-elle au stade de la réflexion ou passera-t-elle à la réalisation ? Et si c’est le cas, ce sera pour quand ?

Dans le cadre de la réflexion quant à l’émission d’une CBDC avec la coopération de nos homologues de la région et la participation d’experts de renommée, la BCT a lancé un PoC pour étudier l’impact de l’émission d’une CBDC sur la politique monétaire, la stabilité financière et la sécurité de l’efficience des infrastructures de paiement.

La Banque centrale de Tunisie, dans le cadre de sa stratégie d’ouverture, est preneuse de toute initiative digitale bénéfique pour l’économie tunisienne. 

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali