La loi des finances pour l’année 2021 est passée au forceps avec une promesse de la part de l’exécutif : certains de ses articles seront revus. Il y en a qui ont, d’ores et déjà, été retirés par le M.F, d’autres l’ont été pour avoir suscité l’inimité de blocs parlementaires.

Mais quelle a été la philosophie du ministère en élaborant le budget de l’Etat pour la prochaine année ?

C’est une question de choix, expliquent les décideurs du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Appui à l’investissement. Le problème de la Tunisie est fondamentalement budgétaire et se rapporte principalement au déficit. Des fois, on choisit l’option du déficit parce que pour certains économistes son augmentation peut être un stimulant de l’activité économique par la relance de la consommation, le lancement de grands travaux, la refonte des infrastructures, etc.

Pour le cas de la Tunisie, il y a un déficit de fait et qui n’est pas choisi. C’est un constat, le déficit est à deux chiffres et est en réalité à plus de 13,5 qui devait être compté sur l’année 2020. La raison en est que la pandémie Covid-19 est passée par là et aurait coûté à l’Etat près de 7 milliards de dinars entre manque à gagner dans la fiscalité et dépenses indispensables pour faire face au virus. Dans le pire des cas, nous explique-t-on, on aurait pu remettre une partie du déficit à 2021, ce qui aurait permis de revenir progressivement à la norme. Les législateurs, « lumières économiques du pays », ont rejeté l’idée de l’assumer, préférant remettre la crise à plus tard, ce qui se traduit dans la réalité par une accumulation de déficits sur plusieurs années. Dans le cas tunisien, on ne parle plus de déficit budgétaire mais de déficit public puisqu’aussi bien les Caisses sociales que l’Etat sont concernés.

La LF 2021 ne sauvera pas les entreprises publiques

Les législateurs, obsédés de transparence et de bonne gouvernance, ont décidé que le déficit aujourd’hui structurel devait être  renvoyé à d’autres échéances.

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Conséquence : les entreprises publiques, endettées à cause des politiques publiques et de la prépondérance du social contre toute logique économique, ne verront pas leurs dettes remboursées. Les taux d’intérêts des prêts bancaires de ces entreprises continueront à grimper et nous risquons, un jour, de voir l’Office des céréales, l’ETAP ou la STIR jeter l’éponge parce que les acrobaties de leurs gestionnaires ne suffiront plus à remédier aux handicaps financiers dont elles souffrent et à leurs incapacités de régler leurs fournisseurs. « Il aurait pourtant été plus simple de tolérer un déficit à 2 chiffres pour mettre de l’ordre dans les comptes des entreprises publiques, renforcer le rôle des investisseurs de l’Etat ou encore engager des actions à l’infrastructure».

Nizar Yaïche, ancien ministre des Finances, avait publiquement révélé une dette de l’Etat auprès des entreprises publiques s’élevant à 8,7 milliards de dinars, ce qui se traduit par 9 points à injecter dans le déficit budgétaire. Ceci outre les 7 points de déficit qu’il avait lui-même chiffré dans le projet de loi des finances 2021.

«Le programme d’assainissement partiel destiné aux entreprises publiques trop endettées, comme l’Office des céréales et la STIR, prévoyant le rééquilibrage de leurs finances pour éviter tout incident de nature à bloquer leurs activités, est tombé à l’eau. Nous aurions pu les sauver en gardant le taux de 13,5 ou même plus. Nous aurions, au moins, eu le mérite de la transparence ». Le rejet de l’ARP maintient la situation au stade critique : des entreprises publiques surendettées incapables d’honorer leurs engagements et d’assainir leurs comptes. Le ministère des Finances continuera-t-il à assurer le rôle de sapeur-pompier ? Encore faut-il qu’il ait les moyens.

Ce qui est sûr est que la loi des finances 2021 ne sauvera pas les celles qui étaient jadis des fleurons de l’économie nationale.

Jusqu’à quand camoufler les déficits ?

« Jusqu’à quand pourra-t-on maquiller les chiffres et camoufler les déficits aux dépens de la santé financière des opérateurs économiques publics ? Ce n’est pas et n’est plus tenable », déplore un haut fonctionnaire du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Appui à l’investissement. Et parce que la frilosité des mouvements sociaux, lesquels nous empêchent de prendre aujourd’hui les bonnes décisions, deviendront sont des bombes à retardement qui balayeront tout sur leur chemin, l’urgence est aujourd’hui de mettre fin aux hémorragies salariales et de stopper net les recrutements non indispensables dans la fonction publique.

Devons-nous rappeler pour la énième fois que l’une des raisons fondamentales des déficits à répétition se rapporte aux dépenses publiques trop élevées ? Situation qui exige un Etat fort pour maîtriser, neutraliser et contrôler. Est-ce que le gouvernement actuel est capable de baisser les salaires ? Est-ce qu’il est capable de mettre fin aux recrutements sauvages avec un article 38 adopté par les députés populistes ? Est-ce qu’il est capable de réduire les effectifs d’une fonction publique ankylosée sachant que plus on augmente le nombre de fonctionnaires, plus elle est inefficace ? Est-ce qu’il est capable d’exiger au moins une contribution minime des salariés sur au moins 3 ans pour sauver les meubles ?

Les effectifs de la fonction publique ramenés à la population sont hors normes et ne répondent à aucun standard. Nous sommes face à des salariés payés à ne rien faire auxquels, de par la loi, on veut ajouter d’autres recrues qui ne feront rien.

Attendons-nous au pire !

Au vu du chaos actuel, il faut s’attendre au pire dans un pays qui souffre de nombre de manques et où l’on ne voit pas trace de politiques de relance économique. Le manque des ressources financières sur le marché tunisien dont la profondeur a atteint ses limites, ne permet plus de répondre aux besoins d’un pays où on manque de courage politique pour juguler les mouvements sociaux insensés et inefficients et on manque d’autorité pour mettre fin aux attaques répétitives des sites de production pourvoyeurs en ressources financières.

Le budget 2021 est de 51,8 milliards de dinars où seulement 4 milliards de dinars sont consacrés à l’investissement. Sans investissements publics, ne rêvons pas, il n’y aura pas d’investissements privés, et sans réformes structurelles sérieuses, le FMI et encore moins la Banque mondiale n’accorderont plus un sou à l’Etat tunisien. Les autres bailleurs de fonds suivront.

Et peut-être qu’un jour, qui n’est pas si lointain qu’on le pense, nous serons obligés de céder « les bijoux de famille » que les syndicats dogmatiques et leurs alliés au centre du pouvoir législatif considèrent comme des lignes rouges.

Cela fait 10 ans que les seules « croissances » (sic) dont peut se targuer la Tunisie sont celles des dépenses publiques, de la corruption et des malversations, des mouvements sociaux, du recul de la valeur travail et de la productivité et de l’ignorance des décideurs.

Ce sont d’ailleurs les pires des déficits.

Amel Belhadj Ali