Jamais les Tunisiens ne se sont sentis en insécurité que ces derniers temps ; une insécurité socioéconomique, politique et sécuritaire. Ils ne se reconnaissent plus dans leur pays qui ne leur ressemble plus. Partout, c’est le chaos qui règne et la loi du plus fort. L’Etat et son représentant absolu, le président de la République, n’existent plus.

Le président de la République et son éminence grise nomment à la Haye un ambassadeur en la personne de Kamel Guizani, ex-patron de la Direction générale de la sécurité nationale. Les Pays-Bas rechignent à lui donner l’accréditation à cause de l’affaire “Moncef Kartas“. On aurait dû avoir la clairvoyance de faire le lien et d’éviter un mauvais choix qui a valu à la Tunisie le premier rejet d’un ambassadeur de son histoire. Quelle importance, après tout nous sommes morts sur l’échiquier diplomatique international.

Les ministres de l’Intérieur et de la Défense nationale parlent publiquement de la corruption et de la traîtrise au sein de leurs propres troupes, ce qui porte un sérieux coup à leurs images. Ce n’est pas grave, nous sommes les maîtres de la transparence et de la liberté “d’informations“. Dans d’autres pays, les plus démocratiques et les plus développés, on sanctionne les officiers traîtres dans la plus grande discrétion pour ne pas écorcher l’image de l’institution et si morts, on les enterre dans le respect du cérémonial d’usage pour éviter de désacraliser des institutions souveraines qui illustrent l’autorité et le prestige de l’Etat.

Le premier président de la plus haute instance judiciaire, la cour de cassation, accepte d’étaler le linge sale de la profession sur le plateau d’une télévision privée, se départit de l’obligation de réserve et portant un coup dur à l’institution judiciaire déjà assez malmenée. La justice en prend un coup mais qu’à cela ne tienne, pourquoi cacher ce que tout le monde sait ?

Les activistes chômeurs donnent toute la portée de leurs génies destructeurs en fermant des sites de production et de distribution énergétiques en toute sérénité et sans se soucier des représailles possibles ou de leurs propres compatriotes premières victimes de leurs contestations musclées.

La Commission des finances de l’Assemblée adopte le budget complémentaire de l’Etat sur fond de débats houleux entre gouvernement, ARP et BCT au même moment où l’agence de notation Fitch Ratings dégrade la note souveraine de la Tunisie de “stable“ à “négative“. Ses experts ont dû observer attentivement les va-et-vient ARP/gouvernement/BCT et ont relevé la cacophonie entre les plus hautes instances décisionnelles de la Tunisie.

On efface et on recommence

Que reste-t-il de la Tunisie et de l’Etat tunisien, et qui est responsable de ce chaos généralisé ? Ceux qui appellent aujourd’hui que le pays soit par terre à un dialogue national, et à leur tête le parti Ennahdha à l’origine de l’affaiblissement de toutes les institutions de l’Etat et artisan d’une constitution destructrice ? Ce sont les partisans du leitmotiv “on efface et on recommence“. Comme si reconstruire était plus facile que détruire. Ces gens-là oublient-ils qu’il y a eu en 2016 un dialogue national ?

«Sommes-nous amnésiques ?, s’interroge Nafaa Ennaifer, ou plutôt refusons-nous toujours d’affronter nos démons et d’arrêter la fuite en avant ? En juillet 2016, “l’Accord de Carthage“ est signé par diverses formations politiques ainsi que par l’UTICA et l’UGTT, après plus d’un mois de pourparlers sous l’égide de feu Béji Caïd Essebsi. L’initiative du président de la République d’alors “avait reçu un large soutien“, et les priorités adoptées “avaient fait l’objet d’un consensus de la part de toutes les parties“. La démarche avait été lancée « à un moment où la Tunisie connaissait une grave crise politique, économique et sociale, avec la détérioration de la plupart des indicateurs économiques, la menace croissante du terrorisme, la hausse du taux de chômage et la propagation de la corruption et de la contrebande. Mais à défaut de consensus sur les véritables CAUSES DU MAL et les véritables REMEDES, à défaut d’un plan d’action pragmatique et courageux (qui outrepasserait blocages et lignes rouges) et à défaut d’une gouvernance de choc capable de mobiliser tous les citoyens pour remettre le pays sur les rails, RIEN n’a été réalisé ».

Les gouvernements successifs depuis 2011 ont, par incompétence, manqué de courage et compromission aggravée la crise socioéconomique. Depuis 2016, le pays a vu son taux d’endettement doubler et les chiffres de ses finances maquillés. Le gouvernement Youssef Chahed, entre 2016 et 2019, aura été le pire pour la Tunisie et les Tunisiens.

Un gouvernement dans le gouvernement…

Il est triste aujourd’hui que la Tunisie soit au bord du précipice, que le président de la République, qui avait promis qu’il allait y mettre de l’ordre, ne le fasse pas ou n’y arrive pas, devenant lui-même une partie du problème au lieu d’être dans la solution.

Il est triste que le gouvernement Mechichi ne soit pas aussi homogène qu’on le pensait parce qu’il y a les ministres Saied/Akacha et les ministres Mechichi et que chaque ministre rend en premier compte de son exercice à celui qui l’a choisi et l’a nommé. Loin de la loyauté envers le drapeau, notre allégeance va vers celui auquel nous devons notre poste.

La Tunisie est aujourd’hui au plus mal. Qui ne le sait pas ? Elle est au plus mal parce qu’outre les guéguerres entre blocs parlementaires incapables de mettre l’intérêt du pays au-dessus des leurs, il y a une guerre non déclarée sur les prérogatives entre La Kasbah et Carthage !

Si Kaïs Saïed veut gouverner, même si -et malheureusement pour la Tunisie- il n’a ni l’étoffe d’un grand chef d’Etat ni l’expérience d’un grand dirigeant, pourquoi ne lance-t-il pas son référendum pour changer la Constitution ? Pourquoi a-t-il choisi le silence alors que le pays est à la dérive ? Qu’attend-il pour réagir ? Devons-nous lui rappeler qu’il est détenteur de la plus haute légitimité et qu’il a la responsabilité de la sécurité nationale, qu’elle soit politique ou socioéconomique ?

26« Le paysage politique est fragmenté, les revendications sociales ancrées, les déficits explosent. Le gouvernement choisit la politique de l’autruche : priorité aux salaires et aux subventions, absence de réformes et de soutien à l’entreprise, investissements sacrifiés et recours massif à l’endettement…», déplore Radhi Meddeb qui appelle les décideurs politiques à prendre conscience du drame tunisien.

Mais y a-t-il pire que ceux qui ne veulent ni voir ni entendre ?

A.B.A