Les secteurs agricoles et agroalimentaires ont été les plus résilients face à la pandémie de Covid-19, à cause de la forte demande sur les produits alimentaires surtout pendant la période du confinement. Pour autant, ils n’ont pas pu résister à certains facteurs internes et externes qui ont fragilisé certaines filières agricoles. C’est ce que révèle l’étude “L’agriculture en contexte de crise sanitaire liée à la Covid-19” réalisée par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES).

Selon le FTDES, l’étude s’inscrit dans le cadre du projet “Réduire les inégalités dans le secteur agricole” et vise à améliorer les conditions de travail dans le secteur agricole et à réduire la vulnérabilité des petits agriculteurs.

Répartie en trois parties (analyse de l’état des lieux, benchmarking et politique publique du secteur agricole en réponse a la crise du covid-19), l’étude a ciblé les acteurs institutionnels clefs intervenant dans le domaine (Caisse tunisienne d’assurances mutuelles agricoles, UTAP, ministère de l’Agriculture, ministère de la Femme, ministère du Commerce), ainsi que les petits agriculteurs, les intermédiaires transporteurs et la main-d’œuvre agricole féminine.

Selon ce document, la pandémie a touché indirectement le secteur agricole, du fait de sa forte connexion au secteur de l’hôtellerie et de la diminution de la demande. Les produits agricoles et agroalimentaires représentent environ 85% de la consommation intermédiaire totale de l’hôtellerie et de la restauration, par conséquent, la baisse de la valeur de production des hôtels et restaurants de 23% explique en partie la diminution de la production agricole et agroalimentaire respectivement, de 3% et 2,8%, en termes de chiffre d’affaires.

Il s’agit également de l’impact de la suspension de l’export et de l’import, en raison de la fermeture des frontières terrestres et aériennes qui ont causé une baisse de 18,6% des quantités exportées pour s’établir à 1 166 tonnes, contre 1 433 tonnes au cours de la même période de 2019.

L’étude a rappelé que la production agricole a été suspendue durant la période du confinement en raison du la suspension d’approvisionnement en matière fourragère importée ainsi que quelques produits phytosanitaires, ce qui a endommagé la situation de certain éleveurs (surtout les engraisseurs des taurillons).Pour certains agriculteurs, le déficit en approvisionnement en produits fourragers n’est pas dû seulement à la suspension de l’import mais, également, à la monopolisation de ces produits par certains fournisseurs privés.

Baisse de la main-d’œuvre active et une augmentation des prix

Les mesures de confinement et du couvre-feu décrétés par l’Etat ont engendré le départ des saisonniers qui ne sont pas originaires des régions de productions, d’où une réduction de la main d’œuvre. Il s’agit notamment des ouvriers occasionnels dans les zones forestières frontalières et fragiles d’une part et les agriculteurs, essentiellement les femmes, d’autre part.

Néanmoins, les ouvrières agricoles de la région n’ont pas arrêté le travail durant la crise sanitaire, la majorité ont continué le travail sans aucune mesure de protection (ni masques, ni gel désinfectant, ni distanciation physique).

D’autre part, les prix de la plupart des matières premières n’ont cessé d’augmenter, à cause du renchérissement des coûts de production de certains produits stratégiques. La crise a amplifié cette augmentation de prix surtout pour les produits agricoles frais tels que les viandes rouges et le lait.

En effet, le comportement du consommateur lors de la mise en œuvre des mesures de confinement a provoqué une pénurie de certains produits alimentaires tels que les céréales et ses dérivés, les huiles végétales subventionnées…, contre une abondance des œufs, des viandes blanches, des viandes rouges et des fruits de saison… Cette préférence de produit est due au changement du comportement du consommateur qui préfère acheter les produits indispensables et considère que les autres produits comme produits de luxe.

Perturbations des services des organismes publics agricoles

La plupart des services administratifs au niveau du ministère ainsi que les directions régionales ont marqué un certain blocage au niveau des activités de contrôle, de supervision, de communication entre les différentes structures et services. A titre d’exemple, le FTDES a cité l’arrêt des services au profit de l’agriculture biologique, la suspension des inspections des espaces forestiers contre la multiplication les délits et la mauvaise utilisation des ressources forestières et la suspension de campagnes de vaccination des animaux.

Le forum a également évoqué la suspension des services de contrôle qualité des intrants phytosanitaires, l’absence de suivi des transactions et des contrats conclus dans le cadre des projets avec des entrepreneurs et fournisseurs et la perturbation de la réalisation des projets publics.

A cet égard, l’entreprenariat agricole a été fragilisé à cause de la crise du Covid-19. En ce qui concerne la viabilité des projets lancés en 2019, la majorité des promoteurs est menacée par la réduction de la main d’œuvre disponible en raison du confinement, des difficultés d’obtention des autorisations et des déclarations nécessaires pour les subventions.

Paralysie des activités des promoteurs agricoles

L’irrégularité des activités de commercialisation a entraîné une chute des revenus et engendré le non-respect de leurs engagements envers les institutions de financement. Les dossiers de certains projets d’investissement en cours d’études, sont encore en attente provoquant des impacts négatives pour les nouveaux promoteurs, et diminuant leur motivation et leur patience. Ces promoteurs font face à l’annulation des visites de suivi sur terrain d’où l’arrêt des versements des subventions, les difficultés de s’approvisionner en intrants et produits agricoles et l’arrêt des activités d’encadrement et de formation des jeunes promoteurs programmées par les pépinières agricoles.

Il s’agit également du report des démarches pour l’attribution des terres domaniales au profit des promoteurs, des difficultés et incapacités des promoteurs à payer leurs contributions à la sécurité sociale.

Le secteur informel a profité de la situation

Le poids de l’informel dans le secteur agricole et agroalimentaire est important et touche pratiquement toutes les filières agricoles, ce phénomène a été toujours associé à des crises, menant au monopole. Le manque de la surveillance, l’absence de gouvernance, l’absence de la conscience professionnelle, la perte des mécanismes de gestion de crise, le manque de responsabilité citoyenne et gouvernementale ont tous contribué à l’aggravation de la situation. En l’absence de sérieux et de rigueur dans l’exécution de la sanction, certains accapareurs ont préservé des stocks des produits de base pour tirer profit de la crise sanitaire.

Ces pratiques de monopolisation et la spectaculaire ruée des citoyens vers les commerçants marquent une demande effectivement inhabituelle.

D’ailleurs l’Instance Nationale de Lutte Contre la Corruption (INLUCC) a mis en garde contre l’augmentation de la spéculation, au cours de cette période critique que vit la Tunisie, assurant à ce propos qu’elle reçoit environ 300 signalements par jour.

Concernant les mesures économiques mises en œuvre par le gouvernement pour minimiser les dégâts sur le secteur agricole et agroalimentaire, le Forum a noté que les mesures de soutien au secteur agricole sont générales et applicables pour tous types d’entreprises, contre une seule mesure spécifique pour les entreprises opérant dans le domaine agroalimentaire.

Pour le FTDES l’hôtellerie et la restauration, le transport et le textile, habillement, cuir sont parmi les secteurs les plus impactés par la crise du COVID-19, vu qu’ils sont les plus exposés aux mesures de confinement imposées par les autorités tunisiennes et donc aux chocs à la fois de l’offre et de la demande.