Malgré son effet dévastateur sur l’économie mondiale, la crise de la COVID-19 serait à l’origine d’une reconfiguration des modèles de production et, partant, de nouvelles opportunités économiques.

La Tunisie devrait bien négocier son positionnement sur ce nouvel échiquier, estime Ghazi Ben Ahmed, fondateur du think tank Mediterranean Development Initiative (MDI), dans une interview accordée à l’Agence TAP.

La crise sanitaire dévaste toutes les économies du monde, mais certains analystes y voient des opportunités à saisir sur le plan économique.

Comment est-ce qu’une crise d’une telle ampleur puisse être porteuse d’opportunités ?

Face à cette pandémie d’ampleur inégalée et de durée incertaine, la Tunisie doit protéger ses citoyens contre la Covid19 et assurer un ravitaillement alimentaire constant, avant d’entamer un travail urgent de planification d’une nouvelle époque.

En effet, cette crise sanitaire offre de nouvelles opportunités pour la Tunisie et les pays du voisinage européen, lesquels pourraient servir de “backup régional” pour une plus grande résilience des firmes européennes, appelées à relocaliser dans la proximité.

La Covid-19 a montré la vulnérabilité de l’Europe qui est allée trop loin dans la délocalisation de ses chaînes de valeur.

L’enjeu sera pour la Tunisie d’être apte à répondre à toute dynamique européenne tournée vers la réorganisation régionale du modèle de production et d’approvisionnement, ce qui implique pour le gouvernement tunisien de revenir à la table des négociations avec l’UE, dans un nouveau cadre post-Covid.

La Covid19 a aussi, confirmé que notre écosystème d’innovations est prometteur. Cela est parfaitement illustré par le foisonnement de solutions technologiques innovantes apparues pendant le confinement. La Tunisie, avec ses dix milles ingénieurs diplômés par an, peut devenir un hub technologique régional et faire de l’innovation cumulative, le principal moteur de sa prospérité et le fer de lance de sa jeunesse.

Le processus de Barcelone qui célèbre son 25e anniversaire en novembre courant, pourrait-il servir de cadre de négociations économiques post-Covid à l’échelle méditerranéenne ? Ce mois de novembre marquera le 25e anniversaire du processus de Barcelone, une étape importante pour la coopération entre les pays des deux rives de la Méditerranée.

Cet anniversaire survient à un moment de grande instabilité dans la région, aggravée par une pandémie aux graves conséquences économiques et sociales. A l’occasion de cet anniversaire, et si la Covid-19 le permet, l’Espagne compte réunir les pays de l’EuroMed pour réfléchir à un avenir commun de la Région.

La Commission européenne effectue une consultation informelle des pays de l’EuroMed, pour élaborer une stratégie visant à donner un nouveau souffle au Processus de Barcelone. La Tunisie devrait saisir cette opportunité, et participer activement, à l’élaboration de ce plan de relance qui doit viser à faire de la Méditerranée une région de prospérité et de résilience.

Des industries majeures, y compris l’automobile, l’électronique, les produits pharmaceutiques, les équipements et fournitures médicales, les biens de consommation et d’autres encore, ont été profondément touchées, à travers les marchés et les chaînes de valeur de plus en plus globalisées qui représentent plus de 2/3 du commerce mondial.

Cela s’explique par le fait que la Chine est devenue un centre de production mondial, au cours des deux à trois dernières décennies. Pour éliminer la dépendance à cette source unique, l’Europe est en faveur d’une relocalisation des productions industrielles et des chaînes de valeur stratégiques au plus proche des consommateurs et des clients.

Ainsi, les fournisseurs de composants s’approvisionneront, assembleront et livreront à partir de leur propre arrière-cour, à savoir la région méditerranéenne, et plus particulièrement, dans les endroits où la propriété intellectuelle est protégée et où les compétences requises existent.

Un Processus de Barcelone post-Covid-19, signifie que l’UE devra associer les pays du sud de la Méditerranée, aux discussions sur la résilience alimentaire régionale, la réforme de la PAC (Politique agricole commune), la mobilité des saisonniers, les nouveaux défis, en particulier le Pacte vert européen, la stratégie De la Ferme à la table, ou encore, la création et la gestion commune de stocks stratégiques pour garantir la sécurité alimentaire.

Les pays méditerranéens doivent impérativement, changer de paradigme et aller vers une gestion commune de certaines cultures méditerranéennes comme l’huile d’olive, en mettant en place une indication géographique commune ” Huile d’Olive Méditerranéenne “. La concurrence n’est plus intra-méditerranéenne mais viendra de l’extérieur avec les centaines de millions de pieds d’oliviers plantés par les pays de l’hémisphère sud et autres.

Toujours dans ce cadre post-Covid-19, l’UE devrait envisager de renforcer l’agriculture méditerranéenne, en aidant les pays du voisinage à moderniser leurs agricultures et retrouver ainsi, un socle plus solide et résilient que la seule liberté de commercer. Les opportunités engendrées par la régionalisation des chaînes d’approvisionnement, vont entraîner une concurrence accrue entre les pays du voisinage européen pour capter les relocalisations.

En jeu, les secteurs de l’automobile, l’électronique, les produits manufacturiers, les produits pharmaceutiques, les équipements et fournitures médicales, les biens de consommation… La Tunisie devra donc adapter son offre aux nouvelles normes européennes et investir plus de temps dans ces négociations, en nommant un ambassadeur auprès des institutions européennes.

L’Etat doit aussi, garantir une saine concurrence et le respect des droits de propriété intellectuelle, afin de créer et d’entretenir les incitations à innover. Il faudra miser sur la recherche et la formation, courroies essentielles de l’innovation et mettre en place un système fiscal qui incite à l’innovation.

Malgré toutes ces opportunités, certains observateurs craignent le scénario grec en Tunisie, vu la détérioration de la majorité des indicateurs. Qu’en pensez-vous ?

Ce qui compte, ce n’est pas tant le niveau des indicateurs économiques du pays, que les perspectives économiques post-Covid-19, que l’on saura exploiter.

Aujourd’hui, il faut certes soutenir la demande pour éviter tout effondrement. Mais il faut aussi, savoir cibler les dépenses publiques, tout en développant des politiques industrielles bien réfléchies et poursuivre les réformes.

Le plus grave ce n’est pas l’état de notre économie, mais le fait de ne pas oser entreprendre des réformes, de ne pas mettre en œuvre des chantiers stratégiques (le port de Rades et le port en eau profonde), de continuer à renflouer des entreprises publiques déficitaires (au lieu de procéder à des privatisations partielles ou totales), d’importer du phosphate (au lieu de militariser le bassin minier), d’importer du gaz (au lieu d’encourager les multinationales pétrolières à explorer et à produire davantage) …

Ce qui est problématique, c’est de ne pas pouvoir profiter de propositions chinoises d’effectuer plusieurs travaux d’infrastructures importants pour le pays avec un financement préférentiel, pour ne pas enfreindre le code des marchés publics trop rigide en cette période de crise. Si on ne réussit pas à dépasser ce genre de blocages, on ne sera pas en mesure de relancer notre économie sur de nouvelles bases et on ira droit vers une cessation de paiement et un plan d’ajustement structurel comme celui que l’on a connu en 1986, voire pire.