Introduction et situation mondiale des prix des hydrocarbures

Depuis la réunion de l’Opep et ses partenaires, en ce début mars 2020, et l’échec de cette réunion du fait du différend qui a opposé l’Arabie Saoudite et la Russie, concernant la diminution de la production de pétrole, en vue de maintenir le prix du baril, celui-ci n’a cessé de dégringoler (malgré la promesse de l’Opep et de la Russie de diminuer leur production graduellement jusqu’ à 20 Mb/j), pour s’effondrer dès le 20 avril.

Le prix de la référence Brent a franchi la barre des 20 $ le baril pour être coté à 18$, quant au West Texas Intermediate, le WTI américain, du fait de la spéculation, son prix pour livraison en mai, était négatif pour la 1ère fois.

Le prix du gaz a suivi le même trend, et se vendait à moins de 2$/MBtu aux USA, et entre 3.5 $ et 4.5/MBtu en Europe. Ceci est dû principalement au ralentissement de l’économie mondiale, du fait de la pandémie du Covid-19, de l’abondance de l’offre mondiale par rapport à la demande, qui avoisine les 25 à 30 Mb/j, ainsi qu’à la quasi saturation des stockages, y compris les stockages souterrains, dans la plupart des pays importateurs et grands consommateurs de pétrole et de gaz.

Rappelons qu’en début d’année, le prix du baril Brent était voisin de 60 $ et celui du gaz se situait en Europe, entre 5 et 6 $/MBtu !

Devant cette situation et cette manne pour les pays importateurs, beaucoup de nos concitoyens se sont posé la question de savoir si notre pays en a pleinement profité, et s’il y a suffisamment de stockage.

La réponse est positive, dans la mesure où notre pays dispose d’une réserve de produits pétroliers de 2 à 3 mois de consommation, et importe du pétrole ‘spot’ au prix courant, qui s’est reflété dans la diminution, fut elle modeste, du prix des carburants à la pompe.

Toutefois, la Tunisie aurait pu en profiter davantage, si elle disposait de stockage supplémentaire, en particulier de stockages souterrains, où l’on peut stocker en grandes quantités, non seulement les produits raffinés, mais aussi le pétrole brut, ainsi que le gaz, dont le prix varie généralement dans le même sens que celui du pétrole.

Rappelons que la Tunisie importe environ 60%, voire plus, de ses besoins en hydrocarbures liquides ou gazeux, et que l’Algérie est notre seul fournisseur en gaz !

Le but de cet article, est de présenter aux décideurs, ainsi qu’à nos concitoyens, quelques éléments techniques préliminaires et simplifiés sur les différents types de stockages souterrains dans le monde, ainsi que les possibilités géologiques dans notre pays, qui pourraient être favorables à la réalisation de tels projets de stockage souterrain dans le futur.

  1. Objectifs du stockage souterrain profond

Le stockage du pétrole, du gaz ou des produits raffinés, est avant tout une nécessité stratégique (Strategic Petroleum Reserve) ; il s’est largement développé, en particulier aux USA et en Europe, après l’embargo de l’Opep en 1973, suite à la guerre de Ramadan (Kippour), entre les pays arabes et Israel.

Il vise à garantir une indépendance énergétique pour 2 à 3 mois, voire plus, en cas d’aléas du marché pétrolier ou gazier. Le stockage permet aussi de réguler le marché local, en particulier lors des variations saisonnières, et des changements climatiques, et profiter des variations du prix des hydrocarbures, comme c’est le cas en cette période.

Le stockage souterrain peut enfin, s’inscrire dans la transition énergétique, dans la mesure où les énergies renouvelables sont intermittentes, et ne peuvent pas (encore) être stockées, quand les sources (soleil ou vent) ne sont pas présentes.

  1. Les techniques de stockage souterrain profond

On peut distinguer essentiellement 3 techniques de stockage souterrain profond :

  • Le stockage en couche aquifère ou « déplétée »
  • Le stockage en cavité saline
  • Le stockage en cavité non revêtue ou minière.

3.1. Le stockage en couche aquifère ou « déplétée »

Il s’agit d’une structure, généralement forée pour l’exploration du pétrole ou du gaz, mais dans laquelle, on n’a trouvé que de l’eau salée, avec ou sans quelques indices d’hydrocarbures (Fig.1a).

Le gaz est ici injecté au sein d’un aquifère recouvert d’une roche imperméable interdisant toute migration du gaz vers la surface.

Le site est en général sélectionné dans une structure géologique spécifique, susceptible de piéger le gaz stocké et d’éviter qu’il ne migre latéralement.

Injecté à une pression supérieure à celle de l’eau qui sature les pores de l’aquifère, le gaz peu miscible (au moins à court terme) va alors repousser cette eau et la remplacer.

Le premier stockage de ce type a été réalisé en 1946 aux États-Unis (Kentucky): il en existe actuellement environ 90 dans le monde, principalement aux États-Unis, en Russie et en France. La France a en effet majoritairement opté dans le passé pour ce type de stockage (Fig.4). Le premier d’entre eux date de 1956, et 13 sont en service actuellement pour un volume utile total voisin de 11 milliards de m3 de gaz.

Le stockage en couche « déplétée » ou épuisée, consiste à reprendre des anciens gisements de pétrole et/ou de gaz, qui ont été complètement (ou partiellement) épuisés, et d’y injecter du pétrole du gaz ou des produits pétroliers (Fig.1a). Actuellement, dans le monde, environ 76% des stockages de gaz naturel sont de ce type (un peu moins de 500).

Contrairement aux USA, cette technique est peu utilisée en France, du fait de la rareté des gisements « déplétés » disponibles (Fig.4).

3.2. Les techniques de stockage en cavité saline de dissolution

La technique du stockage en cavité de dissolution (ou cavité saline) consiste à créer par dissolution à l’eau douce (lessivage) une «caverne» souterraine de grande taille dans une roche évaporitique (Nacl, Kcl, ..), en particulier le sel gemme (Fig.1b &2).

Les propriétés physiques et chimiques de cette roche -notamment sa porosité négligeable, son imperméabilité, sa grande solubilité à l’eau et ses caractéristiques mécaniques favorables– en font un milieu particulièrement adapté au stockage de produits pétroliers liquides, liquéfiés ou gazeux.

Le soutirage pouvant être rapide, ces stockages sont souvent utilisés pour répondre à des pics de demande). La première réalisation date de 1961 pour le gaz (Michigan, États-Unis) et de quelques années plus tard pour le pétrole (Covington, Mississippi, États-Unis).

En France, ces cavités sont utilisées pour y stocker du gaz naturel, des hydrocarbures liquides, des hydrocarbures liquéfiés et certains produits chimiques à destination industrielle (éthylène, propylène).

Ces sites comportent au total 78 cavités situées entre 300 et 1 500 mètres de profondeur pour un volume total d’environ 23 millions de m3, permettant de stocker environ 14 millions de m3 d’hydrocarbures liquides ou liquéfiés et 2 milliards de m3 de gaz naturel.

Si le volume d’une cavité de dissolution dépassait rarement quelques centaines de milliers de m3 dans le passé, la tendance actuelle est de réaliser des cavités de très grand volume pouvant dépasser le million de m3.

3.3. Les techniques de stockage en galerie ou en mine abandonnée

Il s’agit de cavités crées artificiellement ou « minées », en creusant une galerie non revêtue dans la roche (Fig1c, 3&4). La gamme de profondeur de ces cavités est généralement faible.

En France, celle-ci va de 80 à 150 mètres. On trouve actuellement une centaine de stockages en cavités minées dans le monde, principalement pour du GPL ou d’autres produits liquides. Ils sont majoritairement situés aux États-Unis, en Scandinavie, en France, en Corée du Sud, en Chine et au Japon.

Il existe actuellement, en France, 4 sites de stockage en cavités minées, comprenant au total 9 cavités de stockage. Celles-ci sont utilisées pour stocker du GPL (propane, butane), dont la plus ancienne, a été mise en service en 1966.

Il existe quelques stockages en mine abandonnée (Fig.1d). Cette solution pose souvent des problèmes d’absence d’étanchéité, d’activité bactérienne… Un seul stockage de ce type a été réalisé en France, dans l’ancienne mine de fer, il a été abandonné. Ce type de stockage est rarement utilisé de par le monde. Ces 2 types de stockage en cavité, sont relativement moins utilisés.

3.4. Les Coûts du stockage

Les coûts varient en fonction d’un certain nombre de paramètres (type de stockage, profondeur, volume, etc ); le stockage souterrain reste toutefois nettement inférieur au stockage aérien.

Par exemple, en France, le coût du stockage en cavités salines du pétrole ou des produits pétroliers, se situe entre 30€ et 70€/m3, alors qu’il varie entre 75€/m3 et 150€/m3 pour le stockage en surface.

Pour le GPL, ces coûts sont de 75-150 €/m3 en cavité saline, et de 450-600 €/m3  en bacs aériens. Pour le stockage du gaz en aquifère profond, le coût se situe entre 0,15 €/m3 et 0.30 €/m3.

3.5.  Sites de stockage possibles en Tunisie 

Comme il a été indiqué plus haut, la Tunisie ne dispose pas encore de stockage souterrain. Des études géologiques et géophysiques approfondies, seront nécessaires pour identifier des sites susceptibles d’être utilisés pour le stockage du pétrole, du gaz, ainsi que des produits pétroliers, tout en garantissant sécurité, respect de l’environnement et profitabilité économique. On peut néanmoins indiquer quelques sites géologiques potentiels, qui méritent un certain intérêt.

*L’aquifère de la structure pétrolifère de Douleb

La structure de Douleb, situé à environ 30 km de Sbeitla, est un anticlinal faillé (Fig.5), où du gaz et du pétrole ont été découverts en 1967, dans 2 réservoirs  calcaire (en bleu au top de la Fig.6), dolomitique (en violet) et mis en production dès 1968.

Le réservoir dolomitique d’excellente qualité, continue de produire un fluide à 95% d’eau et 5% de pétrole; il pourra plus tard, quand le pétrole sera «épuisé», servir pour le stockage de pétrole ou de gaz. Un troisième réservoir, le « BedBarS », découvert en 2004, continue de produire du pétrole, et pourra ultérieurement constituer une couche de stockage supplémentaire.

Ce qui est intéressant c’est que ce gisement renferme aussi une couche épaisse, gréseuse (sable consolidé), le « Sidi Aich » (en jaune au fond du log sur la Fig.6), de bonne qualité et contient un aquifère d’eau salée à environ 20 g/l. Ce réservoir serait un candidat possible pour le stockage en profondeur, du pétrole ou du gaz.

D’autres gisements de gaz, soit épuisés (Jebel Abderrahmane au Cap Bon), soit encore non développé, car renfermant du gaz à faible profondeur, et à faible pression (Oued Bahloul), constituent aussi des sites potentiels pour le stockage du gaz à forte pression.

*Les structures salifères

Les dômes de sel existent dans de nombreux sites en Tunisie centrale et du nord. Si certaines structures salifères affleurent en surface, et sont difficiles à bien définir en profondeur par la sismique, d’autres ont été reconnus par forage, et leurs extensions en profondeur sont bien délimitées.

C’est le cas de certains dômes salifères localisés dans le Sahel, ou en Tunisie centrale (Fig.7 & 8). Sur la structure de Rohia par exemple (Fig.8), un forage a traversé environ 1500m de sel et d’autres roches évaporitiques, sans avoir atteint les roches situées à sa base, objectifs du forage. Ces dômes de sel, peuvent donc faire l’objet de création de cavités de dissolution importantes, pour le stockage d’hydrocarbures liquides ou gazeux.

D’autres structures salifères, plus proches de Tunis, telles que la structure forée par le puits Medjerda1, ou des cavités minières abandonnés existent aussi en Tunisie, mais il ressort du cadre de cet article de les détailler.

Conclusions

Différents types de stockage existent, et les nombreux exemples de stockage souterrain de gaz naturel et d’hydrocarbures liquides ou liquéfiés existent dans le monde, et pratiquement dans tous les pays développés.

D’autres produits chimiques ou gazeux, tels que de l’hydrogène, du gaz carbonique, peuvent aussi faire l’objet de stockage souterrain. Leur nombre n’a cessé de croître depuis le début du dernier siècle.

On dispose donc à l’heure actuelle d’un retour d’expérience important sur les différents aspects technologiques, environnementaux et socio-économiques du stockage souterrain; ceci peut être utilement mis à profit dans le contexte du stockage souterrain profond en Tunisie où de nombreux sites existent, dont on a dénombré quelques uns.

Une étude multidisciplinaire devrait donc être engagée, en vue de définir les projets les plus attrayants, en vue de garantir au pays des réserves stratégiques, qui peuvent nous mettre à l’abri des fluctuations du prix du pétrole et du gaz, et des  aléas d’approvisionnement de nos fournisseurs, en particulier pour le gaz.

Notons que le fait d’avoir un seul fournisseur de gaz naturel, qui constitue 97% de notre production d’électricité, n’est pas une situation « confortable ».

De plus ces stockages souterrains permettront de mieux faire face aux variations de la consommation saisonnière, et de servir comme complément aux énergies renouvelables, quand celles-ci ne sont pas disponibles (difficulté de stockage des énergies solaires et éoliennes).

Au niveau des coûts et de la rentabilité, tout laisse à penser que le stockage souterrain est nettement moins coûteux, et plus profitable que le stockage aérien.

* Par Ali Gaaya – Consultant en E&P Pétrolière (Hepic/AAS)