Déployer l’ingénierie de la donnée a permis de structurer la gestion de la crise. Ce serait encore mieux avec le Big Data.

Le packaging statistique de tout problème, quel qu’il soit, est un début de réponse. Quoi de mieux que de mesurer un phénomène pour l’approcher avec précision et efficacité. Tel est le message du webianaire organisé samedi 18 avril par l’Association tunisienne des ingénieurs statisticiens (ATIS).

Les membres de l’Association apportent leur contribution à la gestion de la crise. Un acte citoyen et responsable, de leur part. Et fort utile. Méthodiques, les statisticiens, pour y voir clair, appellent à réunir les chiffres, ensuite à les faire parler. Et en cela, ils se conforment à leur credo: les statistiques constituent un outil d’aide à la décision.

Profiler l’évolution de la crise

Au contact de tout phénomène de masse, le mieux serait de commencer à en prendre la véritable mesure. Cette consigne vaut pour la gestion de la crise du Covid-19, rappellent les ingénieurs statisticiens. L’on est bien face à un ennemi invisible, mais tout aussi fantomatique que soit le coronavirus, à l’aide des statistiques, on peut configurer l’évolution de la pandémie qu’il a provoquée.

Quand on accumule des statistiques, on peut sauter le pas et modéliser l’évolution de l’épidémie. A partir de là, on peut structurer une stratégie d’endiguement de la maladie.

D’ailleurs, les statistiques actuelles, plus abondantes et plus développées, ont permis d’avoir une stratégie de lutte bien meilleure que lors des épidémies antérieures, notamment avec la crise espagnole.

Les statistiques marquent donc une percée remarquable et avantageuse en matière de lutte contre la propagation de la maladie du Covid-19.

Et d’ailleurs, dans le cas de la Chine, le pays a marqué le pas, le temps de pouvoir réunir suffisamment de statistiques pour planifier son plan d’action afin de canaliser la crise et la maîtriser. Le malade zéro remonte au 17 novembre 2019. Le 18 janvier 2020, on en était à 136 cas de nouveaux contaminés. Le 4 février dernier, on en était à 4 000 à Wuhan. Et afin de ne pas vous heurter, nous vous épargnons le bilan mortuaire. A partir de là, il était clair que l’on était en présence d’une épidémie.

Par ailleurs, on a vu que l’épidémie s’est propagé à d’autres pays sur d’autres continents avec une allure identique avec une méchante propagation et un taux élevé de complication de la maladie et la mortalité élevée.

Là-dessus, il était fondé pour l’OMS de décréter, dès le début du mois de mars, une alerte de pandémie.

Toute la gestion de la crise s’adosse donc à l’accumulation des statistiques de la propagation de la maladie, et d’évolution de l’état des malades contaminés.

L’exploitation des chiffres

La traçabilité de la pandémie a permis de calculer son taux de propagation, le fameux taux R zéro. Celui-ci se situe entre 2 et 4. Et on a pu également établir un taux de létalité, c’est-à-dire le taux de décès rapporté à la population des malades. Les statisticiens affinent ce dernier taux en recourant à l’usage logarithmique pour bien marquer l’évolution de ce taux.

Les membres de l’ATIS reconnaissent également avoir exploité les résultats de l’analyse séquentielle du virus, à savoir sa taille, sa résistance et la chaîne de sa transmission.

De même qu’ils ont eu recours aux résultats de l’exploration des atteintes des malades contaminés. La tracking a permis de savoir que de complication respiratoire aiguë, la maladie a évolué vers une atteinte du système circulatoire empêchant l’hémoglobine de transporter l’oxygène et les nutriments vers les organes vitaux, puis cardio-vasculaire.

L’étendue du registre statistique a permis de dessiner la physionomie de la gestion de la crise. Ainsi en est de l’ensemble du protocole du confinement et de l’ensemble des gestes barrages. Mais également des autres mesures collatérales touchant à la politique de dépistage notamment, et aux mesures d’isolement pour les gens qui ont été au contact des personnes contaminées.

Naturellement les statisticiens nuancent leurs positions. Ils savent que la capacité d’accueil du système de santé demeure une variable d’ajustement des politiques de gestion de la crise. Et en fonction de cela, les autorités publiques sauront adapter leurs choix.

En Europe, la Suisse et la Suède n’ont pas confiné. Ils soutiennent que leurs systèmes de santé sont en mesure de faire face à un emballement de l’épidémie avec des capacités d’accueil respectivement de 5 000 et 1 000 malades nouveaux par jour. Et en cela, ils marquent un point précieux, en préservant leurs économies, sachant que leurs opinions publiques n’ont pas désavoué ce choix.

L’appel pour un registre clinique national

Les ingénieurs statisticiens soutiennent qu’une situation épidémiologique est de caractère aléatoire et qu’il ne s’agit pas d’une tendance linéaire. Le tout est de la ramener vers une courbe en cloche normalisée. Celle-ci amorce, avec l’accélération de la propagation, une progression parabolique.

La politique de gestion fait en sorte que cette évolution soit ramenée vers un pic, et que la courbe aborde, avec la décélération de la vitesse de contamination, un versant descendant. C’est l’apport de l’outil statistique d’aider à laisser cette courbe sous cette forme, qui laisse entendre que la pandémie est sous contrôle.

Cette physionomie est apparue dans la majorité des pays. La seule différence est la hauteur du pic. Dans les pays qui ont refusé le déconfinement, le pic est plus élevé qu’ailleurs.

Ajoutons que quelques traits distinctifs de-ci, de-là font la différence par pays. Ainsi en Europe, la RFA, grâce à une politique de dépistage plus pointue, fait mieux que la France, laquelle ne s’en sort pas mal par rapport à l’Italie. Cette dernière a essuyé un lourd bilan de décès, mais c’est l’Espagne qui s’expose à une hécatombe.

Dans la région arabe, la Tunisie fait mieux que l’Algérie et le Maroc mais moins bien que la Jordanie, soulignent les membres de l’ATIS.

Rappelons toutefois que ces derniers appellent à déployer l’ingénierie de la donnée pour une gestion avisée de l’épidémie en intégrant le tracking des malades contaminés sous traitement. Le suivi minutieux des malades contaminés éclaire les médecins traitants. Ces derniers seront mieux informés sur l’efficacité des tests utilisés et aideront à les fixer sur le ciblage des tests adéquats.

De plus, le traçage permet de relever le comportement des patients face aux divers protocoles de traitement. Aussi l’ATIS plaide pour un registre clinique national, une fois résolues les réserves d’éthique et liberté qu’il soulève et la boucle sera ainsi bouclée, pour maintenir la situation sous contrôle.

Qu’en est-il du caractère saisonnier de cette épidémie ? C’est seulement avec le recul que l’on peut se déterminer sur cet aspect précis de la maladie.

Quid d’un éventuel retour de flamme ? Les mouvements observés jusque-là proviennent de l’imprudence des populations concernées.

Des foyers de contamination peuvent survenir quand les gens baissent la garde et bravent les consignes de prévention. Toujours est-il que les retours observés ici et là ne sont que des “vaguelettes” sans lourdes conséquences et qui n’engendrent pas l’emballement que l’on pourrait craindre.

Une fois encore, les avis des experts convergent vers un même objectif qui vise le Big Data au sein du service public.

Ali Abdessalam