Les diplomates-représentants des trois principaux bailleurs de fonds de la Tunisie, en l’occurrence Patrice Bergamini pour l’Union européenne (UE), Jérôme VACHER pour le Fonds monétaire international (FMI) et Tony Verheijen pour la Banque mondiale (BM), ont longuement traité de la transition économique en Tunisie dans le cadre d’interviews accordées à des médias tunisiens et étrangers.

Au regard de leur importance pour l’avenir géostratégique et économique de notre pays, webmanagercenter a jugé utile d’en publier de larges extraits.

Dans cet article, nous traiterons de l’interview du représentant du Fmi.

Depuis 2011, le Fonds monétaire international (FMI) a fait bénéficier à la Tunisie de deux plans d’aide pour un montant global de 4,6 milliards de dollars. Le premier crédit, d’un montant de 1,7 milliard de dollars, a été accordé en juin 2013, tandis que le second, d’un montant de 2,9 milliards de dollars, a été décaissé en mai 2016.

Ces crédits, accompagnés des traditionnelles conditionnalités du Fonds, sont destinés, en principe, à financer des réformes strictes censées stabiliser l’économie en crise d’un pays en proie aussi à une forte instabilité politique et sociale.

Dans le détail, ce programme vise à atteindre plusieurs sous-objectifs. Il s’agit de réorienter les dépenses vers les dépenses prioritaires, à améliorer les prestations des services publics à travers une réforme globale de la fonction publique et à rendre le système fiscal plus équitable.

Il s’agit également de lutter contre la corruption, de maîtriser la masse salariale, d’accélérer l’investissement public et de faciliter l’accès au crédit pour les petites et moyennes entreprises.

Mention spéciale pour la spécificité de ces plans d’aide dont 1,2 milliard de dollars n’ont pas encore été décaissés, ils ont été constamment suivis, presque de manière automatique, par le déblocage d’autres financements de la communauté internationale.

Dans une interview publiée le 18 décembre 2019 au site IBoursa, Jérôme VACHER, représentant-résident du FMI en Tunisie, évalue ce partenariat et en tire les conclusions.

Contrairement à ce qu’ont laissé entendre certains analystes, le ton est plutôt à l’optimisme.

En voici l’essentiel.

Carton jaune pour les budgétistes

Dans cet entretien, le responsable du FMI, sans se démarquer de l’esprit des évaluations officielles du Fonds, a tenu à nuancer son diagnostic. Ainsi, il a “distribué“ de “cartons jaunes“ aux budgétistes et des satisfécits aux monétaristes.

Au sujet des budgétistes, il a indiqué que le FMI, tout en «constatant (…) qu’il y a eu un effort pour améliorer la situation budgétaire avec une réduction du déficit, et notamment au niveau des recettes fiscales qui se sont sensiblement améliorées en 2018 et 2019, relève trois contreperformances».

La première concerne la maîtrise de la masse salariale : «L’évolution de la masse salariale représente toujours une préoccupation pour nous», indique le responsable du FMI, qui ajoute : «Elle constitue une part trop importante des dépenses de l’Etat avec un niveau élevé en pourcentage du PIB (plus de 15% du PIB) comparativement à d’autres pays qui ont un niveau de développement économique comparable à la Tunisie. Et c’est devenu un facteur de rigidité très important au niveau des finances publiques qui, encore une fois, limite la capacité de l’Etat tunisien à faire plus en matière de dépenses d’avenir (investissement, éducation, santé)».

La seconde a trait aux subventions énergétiques. Pour le responsable du FMI, «ces subventions, très inégalitaires, financent de la consommation plutôt que de l’investissement, et de surcroît de produits importés. Ceci dans une économie avec des déficits des paiements courants élevés (près de 10% du PIB), et sans compter les effets négatifs en matière de changement climatique. En bref, il y a toute une série de raisons pour lesquelles ces subventions doivent être réduites le plus rapidement possible».

La troisième est générée par le retard qu’accuse la réforme des entreprises publiques. Selon lui, «cette réforme n’est pas seulement un problème de finances publiques mais aussi un problème qui touche toute l’économie. Car il affecte la compétitivité de l’économie tunisienne dans son ensemble puisque cela concerne des secteurs stratégiques comme les transports ou l’énergie».

Jérôme VACHER pointe du doigt l’absence de données fiables sur les entreprises publiques. «Là on voit, note-t-il, qu’il y a déjà beaucoup à faire en matière de transparence financière et de gouvernance pour connaître la vraie situation de ces entreprises. Il manque beaucoup trop d’informations à la fois pour le public et pour tous les observateurs sur la situation financière réelle des entreprises publiques».

Satisfecit pour les monétaristes

Concernant les monétaristes, il relève que le Fonds «a observé des améliorations dans la gestion à la fois de la politique de change, avec un peu plus de flexibilité, et de la politique monétaire qui est devenue beaucoup plus proactive par rapport à l’évolution de l’inflation, qui doit être l’objectif principal d’une Banque centrale».

«Sur ces volets, je pense qu’on a vu une avancée dans la voie d’une plus grande stabilisation macro-économique, après des années particulièrement difficiles, et cela même si la croissance reste trop faible et les déséquilibres macro-économiques (finances publiques, comptes extérieurs) trop importants. Il faut maintenir le cap dans cette stabilisation de façon à ce qu’on puisse avancer rapidement sur d’autres sujets, et vers une croissance plus forte, plus soutenable et plus inclusive», a déclaré le responsable du FMI.

Les pré-requis pour le succès des réformes

Dans cette interview, Jérôme VACHER a tenu à évoquer les deux préalables à réunir pour poursuivre avec succès les réformes convenues.

D’après lui, un intérêt particulier doit être accordé à la communication et aux démunis. Il a insisté « pour que ces réformes soient faites non seulement avec une communication et préparation appropriée, mais aussi avec une compensation adéquate des ménages les plus vulnérables». Ce dernier point a été une constante de nos recommandations au niveau global, et avec la Tunisie depuis plusieurs années, a-t-il relevé.

A ce propos, il a fait état de la satisfaction du Fonds «des progrès (…) réalisés notamment avec la mise en place de la base de données sociales AMEN qui permet un meilleur ciblage des politiques sociales vers les ménages les plus vulnérables». Dont acte.

(A suivre Partie 4)

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