Sémantiquement, nous Tunisiens sommes imbattables dans l’art de créer ou d’inventer des mots, surtout en politique. La preuve ? Faute d’une majorité confortable pour former le prochain gouvernement, on demande à Ennahdha de se choisir un « chef de gouvernement indépendant ». Autrement dit qui ne dépendra de personne, même de celui qui l’a choisi. Rien que ça !

Le mouvement Ennahdha a remporté les élections législatives du 6 octobre 2019, avec 52 élus au Parlement. Cette victoire, courte certes mais une victoire quand même, lui donne le “droit constitutionnel“ et de former le prochain gouvernement et de présider l’Assemblée des représentants du peuple. Sauf qu’il lui faut des alliances afin d’atteindre le nombre de 109 députés à l’Assemblée. Mais par les forces en présence, ce n’est pas une mince affaire.

Alors, non contents, déçus de ces résultats, les autres partis ont commencé à faire de la surenchère sur le parti islamiste. D’abord, le Courant démocrate de Mohamed Abbou réclame “un chef de gouvernement indépendant, les ministères de l’Intérieur et de la Justice“ pour pouvoir faire partie du gouvernement “Ennahdha“.

A peu près la même demande de la par du Parti destourien libre (PDL) d’Abir Moussi. Idem pour Qalb Tounes qui s’est engouffré dans la brèche, alors que, même s’il est arrivé deuxième en termes de nombre de sièges au Parlement (38), il n’est pas, pour le moment, concerné par la formation du prochain gouvernement.

Certains poussent leur “cynisme“ jusqu’à réclamer un nouveau scrutin (de nouvelles élections), pensant qu’ils pourront le remporter. C’est de la folie !

Passons ! On demande au parti de Rached Ghannouchi de se choisir une personne “indépendante“ pour diriger le prochain gouvernement. Mais à l’analyse, on pourrait dire que ce raisonnement est idiot, bête, voire imbécile de la part de ceux qui pensent ainsi.

Pourquoi ? Parce qu’à partir du moment où c’est le parti (Ennahdha ou un autre du reste) qui choisit cette personne qui ne fait pas partie de ses rangs, c’est logiquement lui (le parti) qui va dicter ses directives à ce chef de gouvernement non partisan et qui, par la force des choses, ne peut plus être indépendant : il agira au nom de, pour le compte de, au profit de,…

Tout ceci pour dire qu’en politique le substantif “indépendant” n’existe pas. Même notre président de la République n’est pas, objectivement, indépendant. C’est un terme illusoire voire trompeur, mais politiquement vendeur parfois! D’ailleurs, comment imaginer qu’on choisisse une personne et on lui demande de nous “taper” dessus, comme il veut, quand il veut, d’agir comme bon lui semble, n’obéir qu’à sa “conscience”, ne rendre des comptes à personne ni à aucun parti.

Bref, diriger son équipe gouvernementale comme un maître Tout-puissant! A partir de là, d’aucuns diront qu'”impossible politique n’est pas tunisien”, pour paraphraser Napoléon 1er.

Alors, à mon humble avis, je pense qu’il faudrait plutôt réclamer quelqu’un qui ait de la personnalité, du “caractère“, lucide, politique (partisan) et moyennement compétent. Bref, une personne qui soit capable de dire “oui“ quand il le faut, et “non“ quand c’est nécessaire. Le reste n’est que discussion sans lendemain.

Tallel BAHOURY