Que c’est facile d’accuser l’autre de tous les maux pour régler ses comptes politiques ou pour se décharger d’une responsabilité pourtant avérée. En fait, le drame des bébés décédés devrait rappeler à tous et toutes que nous sommes tous autant que nous sommes responsables, à commencer par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). C’est l’ARP qui gouverne!

Lorsque des députés ne défendent pas comme il se doit le budget d’un ministère duquel dépendent la vie de leurs électeurs, ils devraient avoir la décence de commencer par se remettre eux-mêmes en question avant d’accuser les autres de tous les maux.

Lorsque le budget du ministère des Affaires religieuses est devenu plus important que ceux consacrés à la Santé et à l’Education et que les instances constitutionnelles sont financées aux dépens de secteurs vitaux pour le pays jouissant de tous les privilèges possibles et imaginables, ne nous étonnons pas de l’état de délabrement de nos établissements hospitaliers ou scolaires.

Lorsque chaque six mois, nous voyons un ministre débarquer dans l’un des ministères les plus importants parce que la logique partisane l’emporte sur l’intérêt du pays et que ce jeu malsain de partage des portefeuilles ministériels ne révolte personne, c’est que non seulement notre système politique est handicapé et handicapant mais que nous-mêmes sommes devenus des ADM pour les institutions de notre pays ! Et malgré la difficulté de sa mission, le chef du gouvernement assume la responsabilité des choix des chefs des départements vitaux pour la nation.

Lorsque de 6,01% du budget de l’Etat, celui du ministère de la Santé dégringole à 5,04% en 2019, dépréciation du dinar pour l’importation des médicaments et des équipements comprise, sans susciter d’émoi auprès de ceux censés veiller sur le peuple, ne soyons pas surpris des catastrophes qui ne cessent de frapper le secteur de la santé publique ou du départ de nos meilleures compétences médicales à l’étranger !

Lorsque les partants du ministère de la Santé, qu’ils fassent partie du personnel médical ou paramédical, ne sont jamais remplacés et que les recrutements dans nombre de départements publics sont de plus en plus nombreux, ne nous étonnons pas de la qualité des soins dispensés dans nos hôpitaux !

C’est simple ! Les députés mettent plus de temps à discuter d’un article de loi à propos des références identitaires des garderies scolaires que de la qualité des équipements médicaux ou des bâtiments hospitaliers. La Tunisie du 21ème siècle accorde à la nourriture de l’esprit et de l’âme plus d’importance qu’aux droits des uns et des autres à des soins respectables !

Du coup, ne nous étonnons plus de voir la culture de la mort se frayer un chemin dans nos vies et de voir le passage de vie à trépas autant banalisé au quotidien.

La cheffe du service néonatal de l’hôpital Wassila Bourguiba ne doit pas être un bouc émissaire !

Le 14 juin 2018, Dr Mohamed Douagi, chef du service néonatal de l’hôpital militaire et membre de la Société tunisienne de pédiatrie, lançait un cri d’alarme dénonçant le manque de moyens humains au service néonatal de l’hôpital Wassila Bourguiba (Rabta) : «Un service de réanimation néonatale gère 15.000 naissances pour seulement 5 médecins. Nos politiques acceptent le départ de la numéro 2 vers l’Arabies Saoudite, et pour faire plaisir au FMI se réjouissent du départ de l’Assistant dans le cadre des départs volontaires. Ils demandent à la seule chef de service et ses deux jeunes assistantes d’offrir les meilleurs soins aux 15.000 nouveau-nés sans compter les transferts. Allez continuer à profiter de la plage… et préparez-vous à faire assumer aux médecins la responsabilité des bébés qui mourront par manque de soins…».

Prémonitoire ? Ce post atteste du désarroi de nos cadres médicaux face à un secteur de plus en plus marginalisé et négligé. Et aujourd’hui, la chef du service néonatal de l’hôpital Wassila Bourguiba est le bouc émissaire, elle en paye les frais, et il ne manquerait plus qu’à la mettre en prison parce qu’elle assure une garde sur trois et qu’elle n’a pas lâché son service pour aller dans le privé alors qu’elle peut gagner 5 fois plus !

Douze (12) bébés décédés d’un seul coup dans le service néonatal le plus important de la capitale, c’est choquant, inhumain et insupportable. Pour expliquer ce drame, on avance la thèse d’une contamination qui a eu lieu sur place. C’est-à-dire au service néonatal. A première vue, il s’agirait, selon Dr Maher Haffani, pédiatre et expert auprès des tribunaux, d’une infection nosocomiale due éventuellement au matériel et instruments utilisés par le personnel soignant ou à la salle de préparation (salle blanche) dont la qualité pour la production de ces solutions injectables doit être la plus grande.

En effet, une contamination par le sang est beaucoup plus délicate qu’une ingestion de bactéries : «Les infections nosocomiales dans les structures hospitalières sont le résultat d’une hygiène défaillante. En principe les salles où les médicaments sont stockés sont aseptisées avec un contrôle régulier et des prélèvements périodiques. Ces bébés sont victimes de défaillances à ce niveau-là. Parce qu’il a y eu défaillance au niveau du contrôle et de la stérilisation et de la salle et des instruments médicaux, qu’il s’agisse de seringues, poches du glucose ou la salle blanche elle-même. Nous sommes face à des cultures positives et des germes isolés résistant aux antibiotiques».

Négligence humaine ? Ce n’est pas avéré et ne faisons surtout pas porter le chapeau au personnel médical qui fait encore de la résistance. Nombreux sont les responsables et chefs de services qui se plaignent : «Lorsque nous demandons aux autorités des moyens financiers pour répondre aux minima en matière d’hygiène et de soins, nous avons l’impression d’être des mendiants !».

Comment stériliser des salles blanches lorsque dans certains établissements hospitaliers, il n’y a même pas de la Bétadine pour désinfecter une simple blessure ? Notre système de santé est en faillite ! Reconnaissons-le !

Des hôpitaux qui ne sont plus dans l’ère du temps !

Nos hôpitaux souffrent de tous les maux et cela ne date pas d’aujourd’hui! Ils ne sont plus dans l’ère du temps ! La conception des locaux, l’architecture mal adaptée, l’entassement, leurs systèmes de ventilation, les salles d’opération, le manque d’isolement, l’ergonomie des chambres, l’encombrement des services, l’entretien et la désinfection des locaux ne permettent pas de lutter efficacement contre les germes sensibles qui se développent en milieu hospitalier. Et ce sans omettre un manque de plus en plus perceptible de personnels qualifiés par manque de moyens. D’où l’absence de gestes de soins non rigoureux et le non-respect des protocoles et procédures et la contamination de l’environnement (air, eau…). Nos hôpitaux n’ont pas les moyens de lutter contre les infections! Rien que l’hôpital la Rabta est déficitaire de 50 millions de dinars.

Il faut vivre les conditions de nos différents personnels médicaux pour saisir la gravité de la situation du secteur de la santé. Ceci, sans oublier le manque de discipline, la productivité en baisse du cadre ouvrier et du personnel d’exécution.

Ce qui vient d’arriver dans notre pays est effrayant. Un attentat terroriste n’aurait pas réussi à nous jeter dans un effroi et un désarroi aussi profonds. Pour Dr Haffani, «aujourd’hui, les temps ne sont plus à l’écriture ou aux discours. Aujourd’hui, les temps sont à l’action qui passe obligatoirement par la délimitation des responsabilités».

Et la responsabilité commence en haut du sommet de l’Etat, depuis l’ARP jusqu’aux opérateurs publics dans le secteur de la santé, en passant par le gouvernement qui doit mettre en place les politiques conséquentes pour assurer la sécurité sanitaire du peuple.

Cette tragédie devrait peut-être nous encourager à lancer des expertises indépendantes qui ne seraient influencées par aucune partie prenante, pour déterminer les responsabilités. Cette suggestion n’insinue pas que nous doutons de l’intégrité des membres de la commission d’enquête mise en place par l’Etat, mais elle plaide, ce genre d’affaires, en faveur de « deux avis valent mieux qu’un seul », et si les conclusions concordent, elles pourraient être le point de départ pour la mise en place d’un plan de restructuration du secteur de la santé, devenu aujourd’hui impératif.

Amel Belhadj Ali