«Les doses homéopathiques en matière d’augmentation du TMM n’ont pas servi à grand-chose bien que l’inflation soit passée de 7,9% à 7,1%. Ce qui justifie la décision de la BCT d’augmenter de 100 points de base le taux du marché monétaire (TMM), un déficit à 2 chiffres de la balance commerciale, et ce qui a aggravé le déficit de balance courante. Nous ne pouvons pas nous permettre de continuer sur cette lancée. Cette décision n’a pas été facile à prendre, mais il fallait bien oser». 

C’est ainsi que Marouane El Abassi, gouverneur de la BCT, a justifié l’augmentation du taux d’intérêt directeur de la BCT, mardi 19 février. Un homme seul face aux orages contestataires venant de toutes parts.

La conférence de presse organisée par la Banque centrale, mercredi 20 février, fut tendue. Et pour cause. Ajouter 100 points de base de plus au TMM et en un seul coup a soulevé un tollé aussi bien auprès des experts économiques qu’au niveau de ceux qui prétendent l’être, des partenaires sociaux ou des Tunisiens lambda.

D’ailleurs, le gouverneur de la BCT ne jubilait pas devant les journalistes lorsqu’il expliquait qu’il n’y avait aucun autre choix sauf le resserrement de la politique monétaire pour anticiper le phénomène inflationniste. C’est dire !

Maher Belhadj, universitaire et expert en politique monétaire, a commenté ainsi cette décision : «Après avoir joué et ruiné avec les finances du pays, le TID à 7,75%, prochainement le TMM à 8,5%, et ce, bien sûr sans toucher ni au marché parallèle ni aux importations abusives. Voilà le résultat de la gouvernance d’Ennahdha et compagnie qui ont appauvri le peuple, rien que pour couvrir les intérêts de ceux qui vont gouverner la Tunisie encore pendant 5 longues années et couvrir leurs échecs sur tous les plans. Ainsi, ce système suivi par ce gouvernement ne pénalise que ceux qui sont en règle. Malheureusement le peuple tunisien va encore souffrir davantage, c’est la disparition définitive de la classe moyenne et l’appauvrissement de la totalité des Tunisiens. Bien sûr sous la couverture des élections et de la démocratie, Ennahdha, Nidaa et le gouvernement actuel sont les seuls responsables». 

Des voyants économiques au rouge

Monia Jeguirim de la CONECT International, commente pour sa part ainsi : «Le TMM grimpe, le dinar croule, on s’indigne et les syndicats contestent. Ce ne sont que les résultantes d’une économie peu productive d’un état surendetté. Tant que la politique économique n’est pas dans les réformes structurelles, tant que nous n’aurons pas attaqué de front le marché informel et stoppé le fléau du dumping à l’importation, et tant que nous n’aurons pas redémarré la machine productive à plein régime, allant du phosphate aux industries manufacturières, nous ne ferons que subir des hausses du TMM et les chutes du dinar, entrant ainsi dans une spirale inflationniste infernale qui appauvrit les ménages, ruine les entreprises formelles, ruine l’Etat et enrichit la mafia et le secteur parallèle».

Il faut reconnaître que les voyants économiques tunisiens sont au rouge, et face à la léthargie d’un Etat impuissant devant l’invasion du pays par l’économie et les finances parallèles (4 milliards de dinars hors marché formel), ainsi que le laxisme du ministère du Commerce adepte de la maxime «laisser faire, laisser passer», il ne faut pas s’attendre à des miracles.

Les pouvoirs publics sont paralysés à tel point qu’ils n’appliquent pas la loi sur les spéculateurs dans les produits de consommation courante et sur les mafias du marché parallèle. Le ministre du Commerce prétend être acculé à respecter les conventions internationale interdisant la protection du marché,  alors qu’il peut user de mesures des “clauses de sauvegarde“ pour protéger la production nationales ainsi que les entreprises tunisiennes contre l’inondation d’un marché exigu par des produits provenant de nombreux pays.

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«Nous avons remarqué que nombre d’entreprises tunisiennes qui étaient productrices sont devenues importatrices, ce qui a des conséquences sur nos réserves en devises», développe le gouverneur. Une balance négative qui prouve sans équivoque que la Tunisie vit au-dessus de ses moyens et consomme beaucoup plus qu’elle ne produit de richesses. Ce qui explique que notre pays doive aujourd’hui compenser par des emprunts à l’international.

La BCT a choisi de prendre la mesure qu’elle a jugé la plus efficiente pour pallier à la montée inflationniste, à l’aggravation sans précédent du déficit courant de la balance des paiements, qui se maintient à deux chiffres pour la deuxième année consécutive et continue à attiser les pressions sur le taux change du dinar vis-à-vis des principales devises.

100 points de plus au TMM, une mesure qui, comme signifié plus haut, a suscité le courroux de tous les acteurs de la scène socioéconomique dans notre pays. L’UGTT a condamné avec fermeté, l’UTICA a dénoncé une fuite en avant et une décision unilatérale, alors que la CONECT estime que la «lutte contre  l’aggravation de l’inflation ne peut constituer la solution, et que  les vrais remèdes résident dans l’accroissement et la diversification de la production, l’amélioration de la productivité, le renforcement des exportations et la relance des secteurs stratégiques à l’instar des phosphates, du tourisme, du textile et de tous les secteurs productifs».

Conscient des enjeux de l’augmentation du TMM sur le financement de l’économie, le gouverneur a déclaré lors de la conférence de presse comprendre les inquiétudes des partenaires sociaux et a parlé de la possibilité de prendre des mesures spécifiques en faveur des PME afin qu’elles ne soient pas lésées par l’augmentation du TMM.

Les banques accepteront-elles de participer à l’effort national de remise sur les rails d’une économie en détresse ? C’est la grande question.

Pour rappel et selon la BCT, l’inflation globale s’est établie en janvier 2019 à 7,1%. Cette détente relative ne doit en aucun cas dissimuler les pressions susceptibles d’entretenir les tensions inflationnistes pour la période à venir. La preuve, «les principaux indicateurs de l’inflation sous-jacente se maintiennent à des niveaux supérieurs à la moyenne historique, et demeurent largement au-delà de l’inflation globale, présageant de la persistance des tensions inflationnistes». On s’attend à ce que, pour les années 2019 et 2020, l’inflation recule un tout petit peu, elle restera toutefois, selon les prévisions, assez élevée, et ce à cause du risque haussier des prix de l’énergie sur le marché domestique, du renchérissement des prix des produits de base et de l’énergie sur les marchés internationaux et des pressions plus accentuées sur le déficit courant qui  pourraient, toujours selon la BCT, alimenter davantage l’évolution des prix à la consommation.

Les optimistes pensent que face au manque terrible des liquidités, une meilleure rémunération des dépôts face à une importante inflation encouragera l’épargne, ce qui œuvrera à baisser le TMM et appellent leurs concitoyens à réduire leurs dépenses. D’autres considèrent que la décision de la BCT appauvrira les ménages endettés auprès des banques et en souffrance.

Pour Marouane El Abassi, certes soutenu par son équipe, mais faisant aujourd’hui cavalier seul, le plus important est de préserver les équilibres monétaires du pays sans états d’âme, sans populisme et sans fausse sensiblerie. Face à la lâcheté des uns et des autres, il faut bien qu’une autorité souveraine ose les mesures douloureuses.

Amel Belhadj Ali