Depuis quelques temps, Marouane El Abassi, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), ne rate aucune sortie en public sans parler du Decashing et de ses bienfaits. Il est allé jusqu’à déclarer que la BCT est en avance sur sujet en ce sens où elle travaille sur l’élaboration de cette mesure depuis près de 2 ans.

En octobre 2018, intervenant lors d’un séminaire sur le digital banking, organisé sur le thème “Digital Banking… Ready to Go?”, le gouverneur de la BCT avait déclaré que selon les statistiques de l’Institut d’émission, “le volume d’argent liquide qui circule en dehors du circuit bancaire organisé varie entre 3 à 4 milliards de dinars”, démentant ainsi les informations amplifiées sur ce sujet qui faisaient état de 12 milliards de dinars de cash.

Mais c’est seulement dans la journée du 7 décembre 2018 qu’il a osé franchir un grand pas sur la voie de l’instauration de la monnaie cryptée en annonçant que «la mise en œuvre effective du Decashing en Tunisie aura lieu à partir du mois de juin 2019».

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L’objectif est d’interrompre l’alimentation de l’économie informelle en liquidités et de dématérialiser la monnaie. Le gouverneur de la BCT a constamment insisté sur la nécessité de développer les opérations numériques pour maîtriser la problématique des liquidités et instaurer un système transparent de paiement électronique.

Il avait ajouté, à l’époque (au mois de décembre 2018), qu’une commission au sein de la BCT, chargée de limiter les échanges en liquidités, travaille sur la mise en place d’une nouvelle plateforme de paiement ainsi que sur les textes législatifs nécessaires à cette mesure dont l’aspect technique sera discuté et élaboré par les banques, les entreprises de télécommunication, etc. Dont acte.

L’argent liquide ne profite qu’à l’économie informelle

Pour les observateurs de l’économie tunisienne, la recrudescence du phénomène du cash en dehors du circuit bancaire au cours de ces dernières années est expliquée par trois principaux facteurs. Il s’agit du recours de certains opérateurs économiques -comme les agriculteurs- au cash, ou à la thésaurisation de leur argent, l’absence de confiance dans le système bancaire et l’évasion d’une partie importante de cash en dehors de l’économie organisée par les opérateurs du marché parallèle.

Cette détermination du gouverneur de la BCT à passer à la dématérialisation de la monnaie est fortement soutenue par le Fonds monétaire international (FMI).

Dans un discours historique prononcé le 14 novembre 2018 à Singapour, à l’occasion du «Festival Fintech», Christine Lagarde a encouragé «les Banques centrales à se pencher sur la création de crypto-monnaies nationales».

“Je crois que nous devrions envisager la possibilité d’émettre de la monnaie numérique. L’État pourrait peut-être fournir de l’argent à l’économie digitale. Cette monnaie pourrait répondre à des objectifs de politique publique, tels que l’inclusion financière, la sécurité et la protection des consommateurs ainsi que proposer ce que le secteur privé ne peut pas : la confidentialité des paiements”, avait-elle expliqué.

Dans un document récapitulatif, Mme Lagarde détaille les objectifs cités ci-dessus. Elle explique notamment que les monnaies numériques pourraient rendre les transactions plus sûres, moins coûteuses et semi-anonymes.

“Ce n’est pas de la science fiction. Diverses Banques centrales du monde entier envisagent sérieusement ces idées comme le Canada, la Chine, la Suède et l’Uruguay. Ils embrassent le changement et les nouvelles idées, tout comme le FMI”, peut-on lire dans le rapport.

Ce n’est pas la première fois que Christine Lagarde évoque l’avantage d’utiliser des monnaies numériques. En avril 2018, elle avait affirmé que les crypto-monnaies étaient rapides, bon marché et sécurisées.

En somme, cette volonté du gouverneur de la BCT de mettre fin à la circulation d’un volume aussi important d’argent liquide en dehors des circuits formels (banques) ne peut être que saluée, et ce pour une raison simple : elle permettra à la Tunisie de ne pas rater la révolution de la monnaie cryptique, voire d’un monde sans argent liquide et d’en tirer le meilleur profit.

Il n’est pas besoin ici de rappeler que dans les pays scandinaves, les Sans domicile fixe (SDF) reçoivent leurs pensions par carte bancaire et que déjà dans les vitrines des magasins, les écriteaux indiquent «argent non accepté».

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