Exploser la jeunesse est la façon la plus immorale d’abuser d’elle. Ce dessein satanique de faucher la jeunesse porte le projet criminel d’atteindre l’Etat au cœur. Celui d’abattre la République.

En même temps que j’accuse, je m’interroge. Mna Guebla, endoctrinée jusqu’à l’overdose, pouvait-elle se douter un instant, avant d’actionner le détonateur, qu’elle offrirait d’elle-même ce spectacle pitoyable ? Allongée par terre, sans vie. “Allah Akbar“ était, dit-on, sa dernière volonté. Savait-elle qu’elle serait regardée non comme une martyre de Dieu, mais comme la kamikaze de ses gourous ? Ceux-là même qui, pendant que leurs filles goûtent aux délices d’ici-bas, font commerce ignoble de la vie des filles d’autrui ?

Pire que tout, ils chercheront à monnayer leur mort, pour saper le moral de la nation. Si jeunesse savait ce que lui coûterait de se laisser shooter au poison de l’identité pour seul projet ! Comment peut-on d’ailleurs appeler projet pour une initiative basée sur la trahison à la patrie ?

Comprenne qui voudra

Morte pour rien. Tuée par ceux qui ne donnaient pas cher de sa peau. Voilà l’épitaphe de Mna Guebla. Voilà aussi ce qu’on lui a caché. Voilà ce qu’elle n’a pas vu, avant de se laisser abandonner aux alligators de l’identité. En des circonstances tout aussi regrettables, Georges Pompidou, affecté par le chagrin dans “Textes à tout vent“, s’est laissé consoler par le poème de Paul Eluard que voici :

«Comprenne qui voudra

Moi mon remords ce fut

La malheureuse qui resta

Sur le pavé

La victime raisonnable

À la robe déchirée

Au regard d’enfant perdue

Découronnée défigurée

Celle qui ressemble aux morts

Qui sont morts pour être aimés».

Nous dirons “morts pour avoir été abusés“. Voilà le projet takfiriste dans toute son horreur. Pourquoi ne l’a-t-elle pas vu à temps ? On lui a flanqué une accompagnatrice, dit-on, pour la résigner, en cas d’un retour de lucidité. Pourquoi ne s’est-elle pas ressaisie, au bout d’un deal dont la seule finalité était de lui coûter la vie ? Pourquoi a-t-elle accepté de payer ce prix? 

Khaoula, fille de la République, Mna gavée à mort d’identité  

Sur le campus de La Manouba, la marée noire voulait se répandre. Une jeune fille comme Mna, en l’occurrence Khaoula Rachdi, a arrêté le fléau, empêchant le raz de marée.

Khaoula, comme Mna, est diplômée de l’université et pour elle aussi commençait la bataille. L’incertitude du lendemain, la recherche de l’emploi, une épopée dans la Tunisie d’aujourd’hui.

La différence entre les deux, la voici. Khaoula Rachdi s’est opposée au quidam qui voulait planter l’oripeau takfiriste, black comme la mort, sur le toit de ce temple du savoir. La vertu de la liberté républicaine lui a procuré la force de s’opposer à ce “projet voyou“. Et elle l’a stoppé.

Mna Guebla a marché dans la combine et s’est laissée aliéner par le projet de l’identité. Il est vrai que dans ce projet, la femme n’est qu’une utilité, un complément et non un être à part entière. La première a empêché l’effondrement de l’institution phare de l’Etat, ce temple de la liberté. L’autre a succombé aux attraits des ténèbres qui veulent obscurcir la vue des jeunes. 

Sous le voile, le scandale

Le timing était bien tenu par les chronométreurs de la mort des filles d’autrui.

Rappelons que l’avant-veille on a vécu le scandale d’une députée qui a défié l’autorité de l’Etat pour faire voyager –ou évader- comme il se raconte- un fiché S17. Cela s’est fait au mépris des règlements de la République. Les réserves émises à son égard, par la justice, du fait d’une probable collusion avec les terroristes, ont été bafouées. On a foulé les principes républicains. On a cherché à mettre l’Etat à terre.

Deux jours plus tard, on a mis dans la tête de Mna Guebla qu’elle doit se faire exploser pour atteindre les corps de sécurité. “Tuer tout ce qui porte uniforme“, piétiner le lustre de l’Etat, épouvanter l’opinion, exaspérer la jeunesse. Et gangrener l’espoir de la jeunesse dans ce pays. Cette même jeunesse qui pourrait se retrouver près du but, si seulement on lui ménageait un temps pour l’action positive.

On sait qu’en changeant la Constitution et la loi électorale, l’Etat retrouverait des ailes et volerait au secours de la jeunesse, en réactivant l’économie et en protégeant les libertés. Mna et les autres veulent détourner l’attention de la jeunesse de ce projet d’avenir. Mna s’est explosée. Sa mort pourra-t-elle dynamiter le projet “d’assainissement“ de la deuxième République ? On ne peut imputer la responsabilité à Mna. On est prêt à lui pardonner, convaincus que nous sommes qu’elle a été abusée.

Ali abdessalam