Réuni le 29 août 2018, le Conseil d’administration de la Banque centrale de Tunisie (BCT) a exprimé «son inquiétude face à l’évolution accrue du volume de refinancement des banques auprès de l’institut d’émission, surtout que la liquidité bancaire a été affectée par le déficit du secteur extérieur».

Le Conseil a mis l’accent sur la nécessité de prendre de nouvelles décisions afin de maîtriser les facteurs qui ont engendré cette situation.

Décryptage : à travers ce message, la Banque centrale semble mettre en garde le gouvernement contre l’aggravation de la situation et le risque de faire courir aux pays de nouveaux dérapages monétaires.

Des banques usurières

Pour comprendre cette inquiétude, rappelons que depuis des années, le gouvernement a pris l’habitude de céder aux banques de la place des Bons de Trésor assimilables (BTA) pour financer les dépenses de l’Etat.

Les banques sont ensuite refinancées auprès de la Banque centrale au coût du marché (TMM + 2 à 3%), sachant que le TMM est aujourd’hui de l’ordre de 6,75%. Il s’agit d’une aubaine pour les banques dans la mesure où elles gagnent de l’argent et réalisent des bénéfices sans courir aucun risque.

Cette démarche, qui ne profite en fait qu’aux actionnaires des banques, serait improductive sur le plan macroéconomique en ce sens où elle ne crée pas de richesses réelles.

Elle a été dénoncée avec force par les chefs d’entreprise qui y ont vu une concurrence déloyale de l’Etat qui les prive des liquidités nécessaires pour financer leurs investissements.

Concurrence déloyale dénoncée par les patrons

Dans une interview à un magazine de la place, Samir Majoul, président de l’UTICA, a été très clair à ce sujet. Il a déclaré que «l’Etat est devenu le principal concurrent des investisseurs sur le marché monétaire pour la levée de fonds (liquidités)».

Expliquant le processus, le patron des patrons a rappelé que «L’Etat émet des BTA et va se refinancer auprès des banquiers devenus des usuriers qui le ponctionnent au TMM+3%».

Et le patron de décrire avec humour la situation : «quand nous (patrons) allons demander des liquidités aux banques, on nous dit que le camion de l’Etat est passé avant vous et qu’il ne reste plus rien».

L’augmentation des taux directeurs serait à l’origine

Selon son rapport annuel de l’exercice 2017, l’encours de l’intervention de la Banque centrale sur le marché monétaire pour injecter des liquidités aux banques a atteint 8,484 milliards de dinars à fin décembre 2017 contre un encours de 5,490 milliards de dinars en 2016, soit en hausse notable de 2,994 milliards de dinars.

Ce montant a encore augmenté en 2018. Ainsi, le refinancement des banques a atteint un record historique durant les premiers mois de l’année. A la date du 29 mars 2018, l’enveloppe mobilisée pour le refinancement s’est située au niveau de 13,4 milliards de dinars, contre 7,8 milliards de dinars à la même date de 2017, ce qui représente une hausse de plus de 71%, selon la Banque centrale, traduisant le besoin ascendant en liquidités du système bancaire tunisien.

Selon les analystes, dont l’expert-comptable Haythem Amor, le volume de refinancement a évolué, en raison de l’augmentation du taux directeur appliqué sur les crédits octroyés par la BCT aux banques tunisiennes. Le taux directeur a été révisé à la hausse à deux reprises en 2017 (en avril et en mai), pour totaliser une hausse de 0,75%, passant de 4,25% à 5%, avant les dernières augmentations, en mars 2018, ayant porté le taux directeur à 5,75% et en juin 2018 à 6,75%.