Qui n’a pas cru en Youssef Chahed, chef du gouvernement tunisien, lorsqu’il avait lancé la campagne contre la corruption ? Pour l’ensemble du peuple tunisien, les temps étaient enfin venus pour mettre fin aux mafias de partis et à l’entrepreneuriat politique.

Et puis, la première vague d’arrestations passée, nous n’avons plus entendu parler des arrestations fracassantes du démarrage de la campagne de lutte contre la corruption, et nous avons l’impression -une impression que nous espérons fausse- que le célèbre slogan «C’est la Tunisie ou la Corruption et j’ai choisi la Tunisie» (Ema Tounes wa illa Il fassed w ena khtart Tounes) perd en rigueur, perd en vigueur et perd en engagement.

Quoi de plus normal lorsque nous voyons autour de nous et nous sentons dans notre quotidien le poids des partis et de leurs mafias, dispersées dans toutes les administrations, dans les milieux des affairistes et des établissements publics et des députés, peser lourdement sur la prise des décisions à l’échelle gouvernementale.

La Tunisie n’a plus de pouvoir exécutif, admettons-le! Et à chaque fois qu’un ministre décide -pas tous, il y en a qui ont la chance d’être exempts des questions orales et écrites, protégés qu’ils sont par leur parti ou traités avec beaucoup de bienveillance au sein de l’assemblée-, il est malmené par un député, un ELU, donc au-dessus de toutes les autres considérations, diraient beaucoup. Malheureusement pour nous, la consistance intellectuelle de beaucoup d’entre eux laisse à désirer, le sens de l’Etat et le respect dus aux institutions inexistants et l’amour de la patrie, en dehors des partis, douteux. Le peuple paye pour ses choix.

Oui ce n’est pas facile de gérer un pays où tout le monde a son mot à dire, où un petit dossier insignifiant peut faire tache d’huile à l’ARP et devenir une affaire d’Etat, et où les affaires de l’Etat et les sujets déterminants pour le pays et le peuple ne préoccupent pas autant qu’il faut les élus de ce peuple.

Ce n’est pas facile, mais est-ce à dire que l’exécutif doit accepter d’être l’otage de cette classe politique, laquelle, exceptions faites de quelques honnêtes gens, est à balayer?

Aux dernières nouvelles, le mouvement des délégués est bloqué au Premier ministre où, paraît-il, le secrétaire général est devenu le maître des lieux.

Pourquoi ? Eh bien parce que les nominations des délégués qui ont pour rôle de protéger les intérêts des citoyens armés de leurs diplômes et de leurs expériences au sein des administrations régionales dépendent du bon vouloir des partis politiques et celui de leurs protecteurs au sein de l’ARP.

Des délégués corrompus qu’on n’arrive pas à déloger

Trente (30) délégués dont les dossiers ont été soumis au secrétariat général du gouvernement pour décider de leur sort après que l’inspection générale du ministère de l’Intérieur a instruit des dossiers qui prouvent leur implication dans de grandes affaires de corruption financière et d’autres touchant à leur moralité ont été maintenus à leurs postes malgré les conclusions de l’inspection qui prouve sans aucune équivoque leurs chefs d’inculpation.

Les autres, ceux que l’on doit nommer avant le début des préparatifs pour les prochaines élections, ne seront pas nommés de sitôt. Ils doivent être bénis par les partis opportunistes qui nous gouvernent. Et pourtant, que de jeunes diplômés, doctorants, pur produit de notre administration et qui plus est n’appartiennent à aucun parti, peuvent être désignés à pareils postes. Mais n’en déplaise à leurs parents qui ont consenti nombre de sacrifices pour qu’ils terminent leurs études, il est fort probable que ce sont des personnes non qualifiées, mais dont le seul mérite est d’appartenir à l’un des deux partis qui gouvernent le pays, qui occuperont les places qui reviennent de droit aux enfants du peuple éduqué et instruit.

Aux dernières nouvelles et sur un tout autre volet, le ministre de la Santé -appartenant au mouvement Ennahdha- aurait décidé de 40 promotions au sein de son ministère dont la plupart des bénéficiaires seraient des sympathisants de son parti. «Il m’a fallu, alors enseignant à la Faculté de Pharmacie de Monastir, 17 ans pour être désigné au poste de directeur central, un poste identique vient d’être accordé à une recrue intégrée en 2012 et bénéficiant de l’amnistie, en l’espace de 6 ans et vous voulez que la Tunisie avance!», s’exclame, amer, un haut commis de l’Etat aujourd’hui retraité.

Ceci aussi est une forme de corruption, comment dire… partisane! Car comment faire confiance à ceux pour lesquels les compétences arrivent loin derrière l’allégeance ?

Les exemples en la matière sont légion et au vu et au su de tous les décideurs et de toute la classe politique y compris les élus occupés à préserver leurs intérêts et garantir leur avenir, quant au peuple, il est de plus en plus désillusionné et déprimé de voir son pays tomber en lambeaux.

Pendant ce temps, les déclarations tonitruantes sur la lutte contre la corruption continuent mais nous n’avons pas vu des têtes de corrompus avérés et même «griffés» tomber du côté de Nidaa Tounes, et encore moins du côté du mouvement Ennahdha qui a pu, en l’espace de tout juste trois ans, mettre en faillite le pays et laisser derrière lui elle, des caisses vides dans presque tous les départements ministériels.

Est-ce à dire que depuis 2011 ceux qui nous gouvernent sont des anges tombés du ciel, et dans ce cas, pourquoi le pays est en crise ? Ou est-ce que, et c’est l’explication la plus logique, ce sont les mafias des partis qui protègent leurs «enfants», et dans ce cas, monsieur le chef du gouvernement, pourquoi avoir lancé une campagne aussi sélective ? Pourquoi est-ce que des individus dont des députés jouissent de l’impunité et de l’immunité alors que le petit peuple paye pour n’importe quelle infraction ?

La loi doit-elle être appliquée sur tous de la même manière ? Est-il éthique et moral d’en user comme épée de Damoclès sur certains et de l’ignorer s’agissant d’autres ?

Le grand Montesquieu a dit : «Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi mais elle doit être loi parce qu’elle est juste». Il a également écrit : «Il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle qu’on exerce à l’ombre des lois avec des couleurs de justice».

Monsieur le chef du gouvernement, vous avez déclaré un certain 9 juin 2017 que la lutte contre la corruption fait partie des choix et de la politique de l’Etat et qu’elle ne sera ni conjoncturelle ni sélective. Nous attendons que vos actes suivent vos paroles.

Amel Belhadj Ali