L’idée propagée par l’équipe Youssef Chahed selon laquelle, c’est le gouvernement tunisien qui est allé solliciter l’aide des bailleurs de fonds et non le contraire n’est pas toujours vraie. Un regard historique récent d’ensemble des relations entre les bailleurs de fonds et la Tunisie, depuis 2011, montre le contraire. Ce sont ces créanciers qui ont tout fait pour exploiter la fragilité du pays, lors des moments de crise par lesquels il est passé, pour courtiser et appâter les gouvernants tunisiens et leur imposer des prêts accompagnés de conditionnalités empoisonnées.

C’est du moins ce que prouvent les déclarations des responsables et de représentants de ces bailleurs de fonds lors des premières négociations des différents prêts accordés à la Tunisie et des projets d’accords de libre-échange tels que le fameux Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA).

La démarche suivie par les représentants de ces bailleurs de fonds est presque la même. Lors des premières négociations, ils font flèche de tout bois pour persuader des négociateurs tunisiens que si jamais ils ne saisissent pas l’occasion de contracter les prêts au moment voulu, il n’est pas évident de le faire ultérieurement.

Le FMI menaçant!

Ainsi, lors de la négociation en 2013, avec le gouvernement provisoire, du prêt Stand bye de 2,5 milliards de dollars avec le FMI, Amine Mati, alors chef de mission pour la Tunisie auprès de l’institution du Betton Wood, s’était montré même menaçant à l’endroit des gouvernants tunisiens.

Dans une interview accordée, à cette époque, au journal La Presse de Tunisie, il avait déclaré qu’”au cas où la Tunisie ne finaliserait pas cet accord, l’ajustement serait encore plus difficile si les ressources du FMI n’étaient pas disponibles, car il faudrait –en l’absence de possibilité d’emprunter- réduire les dépenses ou augmenter les revenus … par la planche à billets».

Conséquence : le FMI a prévu ainsi un bien triste scénario pour la Tunisie au cas où elle arrêterait les négociations pour l’obtention de ce crédit.

Depuis, les gouvernements tunisiens ont mordu à l’appât et se sont faits piégés jusqu’à dépendre totalement du bon vouloir du FMI en contractant, en 2016, un autre prêt de 2,9 milliards de dollars et recourir à la planche à billets, et ce en dépit de l’obtention de ces deux crédits.

Pour s’en convaincre, il suffit de revoir et de remarquer, sur la chaîne El Watania1 (journal de 20 heures, 22 avril 2018),  l’ambiance de soumission, d’allégeance et de servitude des membres de la délégation tunisienne (Taoufik Rajhi, Zied Ladhari et Ridha Chalghoum…), lors de leur rencontre à Washington avec Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international en marge des assemblées annuelles des institutions de Bretton Wood (dimanche 22 avril 2018).

L’UE veut faire passer son ALECA au forceps

La même démarche est observée, ces jours-ci, avec les négociateurs d’un autre bailleur de fonds, l’Union européenne. Ces derniers sont carrément en train de “terroriser” un gouvernement tunisien, fragile, pour lui faire accepter l’ALECA et l’Open Sky.

C’est dans cette optique que la Tunisie a été classée, en décembre 2017 et février 2018, paradis fiscal et “pays fortement exposé au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme”.

Pourtant, ce dernier classement n’est pas du ressort de l’Union européenne mais de celui du Groupe d’action financière internationale (GAFI), organisme intergouvernemental spécialisé dans la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et les autres menaces liées pour l’intégrité du système financier international.

Mieux, lors d’un récent débat (18 avril 2018), organisé par un magazine de la place sur “L’ALECA à l’heure des mobilités”, Patrice Bergamini, ambassadeur et chef de la Délégation de l’UE à Tunis, n’est pas allé par quatre chemins. Il a laissé entendre en substance que la Tunisie a tout intérêt à saisir “cette fenêtre d’opportunités” (ALECA) et la substantielle aide financière qu’il l’accompagnera, sinon elle risque de rencontrer, ultérieurement, d’énormes difficultés pour en disposer.

Et le diplomate européen de faire miroiter les multiples avantages de l’ALECA pour la Tunisie : “2018 est une année exceptionnelle à bien des égards, notamment avec le doublement de l’aide européenne à la Tunisie pour s’attaquer aux déséquilibres. C’est un investissement politique pour la Tunisie pour amortir les réformes qui ont des coûts. C’est aussi une fenêtre d’opportunités. L’ALECA est conçu pour cela. Cet accord est bénéficiaire pour l’économie tunisienne tant il offrira à la Tunisie davantage de gains de compétitivité, ainsi qu’une mise à niveau économique et renforcera le dynamisme de certains secteurs”.

Les bailleurs de fonds préfèrent les dictatures qu’aux démocraties

Moralité de l’histoire : ce sont les bailleurs de fonds qui ont fait de la pression sur la Tunisie pour lui imposer un rythme de croissance et des réformes auxquelles son économie et sa population n’étaient nullement préparées. La trouvaille du gouvernement selon laquelle c’est lui qui est allé solliciter les bailleurs de fonds est un subterfuge de mauvais aloi.

L’enseignement à tirer, c’est de constater que les bailleurs de fonds trouvent beaucoup de difficultés à faire passer leurs réformes avec des régimes plus au moins démocratiques comme celui de la Tunisie actuellement. Par contre, il semble que ces créanciers aient beaucoup de facilités à le faire avec des dictatures avec lesquelles ils semblent bien s’accommoder.

Est-il nécessaire de rappeler que l’Accord de libre-échange de 1995, conclu en solo par Ben Ali avec l’Union européenne sans aucune concertation avec aucune organisation nationale, coûterait aujourd’hui au pays, selon certains analystes, un manque à gagner de 2 points de croissance sans que cela soit accompagné par un quelconque progrès en matière d’immunisation de l’économie du pays.

A méditer.