Dans cette partie de l’entretien, le président de l’UTICA évoque le déficit budgétaire, le secteur du textile-habillement, la situation des entreprises publiques et les négociations sociales.

Concernant le déficit budgétaire, Majoul indique qu’«il nous vient d’opérations de gestion critique, les salaires du public ayant été multipliés par trois entre 2011 et 2017, ce qui a provoqué un déficit abyssal des finances publiques au point où le FMI devait intervenir à chaque fois pour dire que la masse salariale est trop élevée».

Donc en toute logique, le patron des patrons pense que l’Etat est à même d’aider les opérateurs en souffrance. D’ailleurs, les artisans… ne sont pas responsables de leur déconvenue, pas responsables de la révolution, ni des actes terroristes. Après, nous nous posons des questions sur le pourquoi des protestations. La réponse est que nous nous souvenons d’eux que pendant les élections. Il faut les aider. Les citoyens paient les impôts pour trouver un soutien le jour où ils en ont besoin».

la pression sociale et fiscale est lourde et les mesures prises dans le cadre de la loi de finances constituent une surcharge pour l’entreprise. Aujourd’hui, les dirigeants des entreprises en ont marre. Ils sont fatigués

A une question à propos des menaces de l’UTICA de descendre dans la rue si elle n’est pas écoutée, Samir Majoul a tout simplement indiqué, sous forme de boutade, «mais nous sommes toujours dans la rue, nos commerces sont dans la rue, on se balade en pleine rue, nos transporteurs, nos taxis le sont aussi, en fait, nous ne sommes pas dans les salons».

Il ajoute : «Après la révolution, l’idée générale est que celui qui descend dans la rue obtient ce qu’il veut».

Il explique que pendant les réunions du conseil national de l’UTICA, «les artisans, les chefs d’entreprise et les membres des chambres syndicales nationales régionales nous demandent de descendre dans la rue, parce que c’est le seul moyen de pression. Nous ne sommes pas forcément d’accord sur cette méthode, nous espérons toujours avoir gain de cause par la concertation et la négociation. Nous utilisons les moyens légaux qui sont permis par notre Constitution. Nous sommes une organisation syndicale patronale. Nous avons le droit de faire la grève et de fermer les entreprises s’il n’y a pas d’écoute… Nous sommes là pour produire, pour créer et non pour faire la grève. La preuve en est que nous avons proposé de faire une grève générale contre la grève. La pire chose qui puisse arriver à un industriel ou un commerçant, c’est d’être obligé de fermer son usine. Ce qui est plus grave encore serait de continuer à fonctionner à perte».

La Tunisie est en faillite et n’a pas le droit d’avoir des entreprises publiques abonnées aux pertes

Abordant la situation des secteurs du textile et du cuir, Samir Majoul assure que l’UTICA a piloté des plans de relance. Et à propos de la sortie de la FENATEX, il souligne que «cette menace a été faite dans un objectif politique dont on parlera peut-être un autre jour. D’ailleurs, ceux qui ont proféré cette menace étaient avec nous au dernier congrès».

Il ne comprend pas qu’on fasse endosser à l’UTICA cette responsabilité «… alors que nous sommes la première organisation à demander à protéger le pays des Etats qui font du dumping, dont la Turquie. Demandez ce que l’Etat a fait pour ces secteurs. Depuis 2011, tous nos coûts ont explosé mais les opérateurs qui ont perdu des commandes dans le textile ne les ont pas perdues uniquement parce qu’il y a eu des augmentations de coûts, mais à cause d’une rupture de la chaîne logistique, des problèmes au port de Radès et des retards d’approvisionnement sur le marché européen. Le glissement du dinar n’a pas contribué à améliorer les choses».

que peut-on faire face à la concurrence chinoise ou turque où le textile bénéficie du soutien des pouvoirs en place ?

Il souligne également que «… dans certaines filières du textile, tel que le tissage, il n’y a plus rien à faire, mais d’autres filières ont repris et marchent très bien. Le secteur était le premier à bénéficier des plans de mise à niveau. Nous savons que nous allons perdre certaines filières mais que peut-on faire face à la concurrence chinoise ou turque où le textile bénéficie du soutien des pouvoirs en place ? C’est pour cette raison que nous appelons à établir des barrières antidumping».

Majoul plaide pour un gouvernement stable et pour que celui qui se focalise sur sa carrière politique, quitte le gouvernement

Majoul rappelle «qu’en Tunisie, pendant très longtemps, nous n’avons pas fait de l’économie, mais du politique et du social, puisque l’attention des responsable était focalisée sur les échéances électorales». Dans ces conditions, le patron des patrons estime que «… celui qui se focalise sur sa carrière politique, doit quitter le gouvernement. Le populisme ne permet pas de rétablir la discipline. La Tunisie est en faillite et n’a pas le droit d’avoir des entreprises publiques abonnées aux pertes».

si les entreprises publiques sont une ligne rouge pour l’UGTT, il ne faut pas imposer des impôts pour compenser leurs pertes, moi aussi j’ai des lignes rouges

Justement, à propos des entreprises publiques, l’UGTT déclare qu’elles sont «une ligne rouge». Le président de l’UTICA dit alors banco, «si les entreprises publiques sont une ligne rouge, il ne faut pas imposer des impôts pour compenser les pertes, moi aussi j’ai des lignes rouges».

Tout en admettant que «ces entreprises demeurent une propriété de l’Etat», il milite pour qu’elles soient «performantes. Car si elles sont déficitaires, c’est le contribuable qui le paye d’une façon ou d’une autre».

Il affirme également que l’UTICA n’est pas «… pour la privatisation à tout prix surtout si la vente de l’entreprise ne réalise pas les objectifs escomptés, mais il faut au moins les assainir car elles constituent une source de problèmes et de coûts pour le secteur privé».

Pour étayer ses dires, il prend l’exemple de «Tunisair où les retards peuvent aller jusqu’à 5 heures, c’est un handicap pour notre tourisme et pour le secteur privé».

A propos des négociations sociales, Samir Majoul semble serein.

«Nous allons se voir, s’écouter, essayer de se comprendre et faire en sorte que chaque partie sache quelle est la vraie situation de son partenaire».

Il ajoute : «Je vais être franc, généralement ce que les chefs d’entreprise donnent comme augmentations, ils le retrouvent dans le chiffre d’affaires de leurs entreprises puisque ces augmentations stimuleront la consommation. En général, nous ne sommes pas contre une augmentation, surtout quand elle est justifiée et associée à un gain de productivité et à une amélioration de la situation économique de l’entreprise. Mais si cette augmentation n’est pas justifiée par une hausse de productivité, met en péril la pérennité de l’entreprise et entraîne une augmentation des coûts, nous la refusons».

Il y a des secteurs qui pourront assumer une augmentation salariale, d’autres qui le pourront moins et d’autres qui ne le pourront pas du tout.

Donc, «la réponse dépendra de la situation de chaque secteur. Il y a des secteurs qui pourront, d’autres qui le pourront moins et d’autres qui ne le pourront pas du tout. Dans ce cas précis, il faut trouver une solution à travers des mesures administratives ou fiscales. En Tunisie, la pression sociale et fiscale est lourde et les mesures prises dans le cadre de la loi de finances constituent une surcharge pour l’entreprise. Aujourd’hui, les dirigeants des entreprises en ont marre. Ils sont fatigués».