“La corruption est devenue endémique en Tunisie. Les citoyens ordinaires s’engagent dans des pratiques corrompues et en bénéficient. De nombreuses mesures juridiques et initiatives de la société civile ont été mises en œuvre pour lutter contre la corruption, mais elle est perçue comme étant encore plus répandue aujourd’hui que sous Ben Ali”. C’est le constat alarmant d’une étude, publiée fin octobre 2017, par la Fondation Carnegie pour la Paix internationale (Carnegie endowment for international Peace), le plus ancien cercle de réflexion, créé par le département de la Défense des Etats-Unis.

Les auteurs de cette étude estiment que, pour que la transition démocratique survive, la Tunisie doit mener une guerre à deux fronts pour s’attaquer simultanément à l’ancienne kleptocratie et à l’émergence de la petite corruption généralisée. Et pour réussir, le gouvernement et la société civile doivent d’abord s’entendre sur un cadre pour comprendre et mettre en œuvre la guerre.

Ils recommandent aussi au gouvernement tunisien, pour qu’il puisse s’attaquer aux formes de corruption les plus préjudiciables, la mise en place et l’application des lois existantes, en commençant par l’application de la loi exigeant que les responsables tunisiens déclarent publiquement leurs biens, et l’implication de la société civile dans la création et la mise en œuvre de mesures anti-corruption pour assurer l’adhésion du public aux réformes.

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Dans cette analyse intitulée “La contagion de la corruption en Tunisie: une transition à risque” (Tunisia’s corruption contagion: a transition at risk), ils estiment également qu’il faut donner la priorité à la création de la Cour constitutionnelle et assurer l’indépendance du Pôle judiciaire financier, chargé d’enquêter, de poursuivre et de juger les affaires de corruption financière.

L’une des recommandations avancées consiste aussi à dépersonnaliser la lutte contre la corruption, en concentrant les efforts sur les processus et non sur les individus, pour mettre en place une stratégie anticorruption durable.

La numérisation des processus gouvernementaux en revigorant l’initiative Tunisie Digital 2020 et en utilisant le système d’identification national proposé pour aider à capter le secteur informel est aussi une piste anti-corruption.

Selon les auteurs de l’étude, le gouvernement tunisien gagnerait aussi à investir massivement dans les régions frontalières pour offrir des options de sortie du secteur informel, telles que l’éducation et les emplois du secteur privé.

La corruption, un obstacle à la consolidation de la démocratie

“Si elle n’est pas prise en compte, la corruption restera un obstacle majeur à la consolidation de la démocratie en Tunisie et contribuera de plus en plus aux graves problèmes économiques et sécuritaires de la région”, préviennent Sarah Yerkes et Marwan Muasher, auteurs de l’étude.

Ils pensent que la communauté internationale devrait aider la Tunisie à réduire la corruption en accordant la priorité au financement des organes anticorruption de la Tunisie, y compris l’Autorité nationale de lutte contre la corruption et le Pôle judiciaire financier, ainsi que des groupes de surveillance de la société civile, tels que Bawsala et I Watch.

“Il faut continuer de renforcer la société civile et veiller à ce que la Tunisie maintienne un média libre et appeler le gouvernement à revenir sur les efforts anti-corruption”.

En l’état actuel des choses, les auteurs de cette étude montrent que l’opinion publique tunisienne n’est pas suffisamment optimiste quant à l’aboutissement de la guerre anticorruption menée actuellement par Youssef Chahed. “64% des Tunisiens interrogés par Carnegie pensent que la guerre contre la corruption ne sera pas couronnée de succès“.