Le jour où Imed Hammami s’est vêtu de l’habit de ministre, il a mis celui de son appartenance au parti Ennahdha au placard. Non pas que l’actuel ministre de l’Industrie renie son parti d’adoption ou s’en démarque, mais il incarne, selon nombre de témoignages provenant de ses collègues, l’une des figures ministérielles qui s’est le plus intégrée dans son rôle d’homme d’Etat avant d’être l’homme d’un parti.

Il a une foi aveugle dans le gouvernement d’union nationale: «Notre destin est de travailler de concert tous ensemble à redresser notre pays. Nous sommes condamnés à vivre ensemble et à accepter nos différences parce que ce qui nous unit est cette terre millénaire appelée Tunisie et son sauvetage ne passera certainement pas par des dissensions perpétuelles entre Tunisiens de tous bords».

Entretien 

WMC : La Tunisie, qui se distinguait autrefois par ses industries manufacturières et en premier le textile rejoint par les composants automobiles et l’aéronautique, souffre aujourd’hui dans sa chair d’une concurrence déloyale de la part de la Chine et de la Turquie et voit ses fleurons industriels menacés à cause du déficit de la communication et d’un soutien gouvernemental appuyé en direction du secteur privé et principalement des PME/PMI.

Imed Hammami : Les industries manufacturières dans notre pays, comme l’aéronautique, les composants automobiles, et l’industrie pharmaceutique, représentent l’avenir et sont très porteuses en valeur ajoutée. Nous sommes décidés à les renforcer et les appuyer.

Le drame est que j’ai trouvé des secteurs sinistrés, tels le textile, le cuir et chaussures, sans oublier un grand nombre de PME en état de léthargie. Il est aujourd’hui question de déclencher le plan de sauvetage des PME, c’est un programme d’appui et de relance. Nous lui avons consacré une enveloppe de 400 millions de dinars de dinars (MDT) sur 3 années.  C’est une réussite pour notre département.

Le chef du gouvernement a appuyé notre démarche, et nous avons pu arracher ce montant considérable qui donnera un nouveau souffle aux PME/PMI fatiguées par des années de vaches maigres. Cela permettra à notre département d’assurer son rôle de moteur du développement du tissu PME/PMI très important pour notre pays et d’offrir de nouvelles opportunités aux entrepreneurs soucieux de consolider leurs entreprises.

Au-delà des incitations financières, en quoi consiste votre plan de sauvetage ou d’appui ?

Nous avons élaboré un programme national allant du pré-amorçage à l’amorçage en passant par l’accompagnement, l’appui financier à l’export, l’innovation et l’accès au marché financier. Nous comptons créer une Agence de Promotion des PME, à l’instar de l’APII. Elle sera dédiée aux PME. La BFPME, quant à elle, elle gardera la partie financements.

Nous comptons d’ailleurs lancer des lignes de financements consacrées au PME dans toutes les banques qui pourraient faire usage du fonds d’appui prévu par le gouvernement. Le but de la manœuvre est de faciliter aux PME -qui ont déjà leurs banques et qui peuvent être endettés- d’être rapidement secourues.

Notre ministère fait des PME/PMI sa priorité parce qu’elles composent près de 97% du tissu industriel. Elles sont créatrices d’emploi et sont des moteurs de croissance.

Nous consacrerons autant d’efforts aux secteurs à haute valeur ajoutée que j’ai cités plus haut et qui réalisent plus de 6% de croissance, en l’occurrence l’aéronautique, les industries automobiles et l’industrie pharmaceutique.

A voir l’investissement colossal qui a été consenti par le gouvernement tunisien dans la zone d’El Mghira dédiée à l’aéronautique, nous avons l’impression que nos entrepreneurs sont des orphelins. A l’international, les chefs d’Etat font la promotion de leurs grandes entreprises, ce qui n’est pas le cas chez nous.

Il se trouve que ce sont des zones industrielles auxquelles nous accordons une grande importance. El Mghira 4 sera dédiée uniquement à l’aéronautique, j’en ai d’ailleurs parlé avec le PDG d’Airbus que j’ai rencontré la semaine dernière en compagnie du PDG de l’AFI.

On réalise tout de suite qu’il s’intéresse à la Tunisie non par soucis d’économies ou parce que la main-d’œuvre tunisienne ne coûte pas cher, mais plutôt parce que c’est une main-d’œuvre spécialisée et hautement qualifiée.

Quand j’étais ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, j’ai inauguré au début de 2017, en présence de l’ambassadeur de France en Tunisie, le Centre d’Excellence dans les Métiers de l’Industrie Aéronautique (CEMIA). C’est vous dire que nous voulons devenir une référence en matière de techniciens de qualité dans tout ce qui touche à l’aéronautique.

Les zones industrielles en cours d’aménagement seront pourvues d’un réseau routier facilitant l’accès aux ports et une plus grande fluidité pour tout ce qui se rapporte au transport des marchandises.

Nous travaillons sur l’amélioration des infrastructures et ambitionnons de créer des zones industrielles génération 4.0.

Nous avons, à ce propos, œuvré pour que le démarrage de l’aménagement des quais 8 et 9 au port Radès se fasse au plus vite. Nous ne voulons plus avoir des bateaux en rade sur des semaines.

Avec l’APII, nous étudions sérieusement la possibilité de modifier les textes pour édifier des locaux industriels aménagés et prêts à l’emploi. Nous travaillons sur l’amélioration des infrastructures et ambitionnons de créer des zones industrielles génération 4.0. C’est ce qui explique nos discussions avec le ministère du Transport pour faciliter l’accès aux ports aux ouvriers et employés travaillant dans ces zones.

Nous œuvrons également à développer les clusters. Avant que je ne sois nommé à ce poste, il y avait déjà un projet pilote pour un cluster mécatronique à Sousse. Aujourd’hui, nous voulons généraliser cette façon de faire avec l’assistance de l’AFD (Agence française de développement), et ce dans les secteurs de l’automobile, des industries pharmaceutiques, aéronautiques et les textiles.

Nous avons organisé un événement intéressant avec la Technopôle de Sidi Thabet. Il s’agit de créer des écosystèmes, de renforcer les pépinières et de multiplier les centres d’affaires et les technopôles. Nous travaillerons davantage avec ceux qui y sont déjà installés.

Nous ne voulons plus être des sous-traitants ou travailler sur des petits composants dans l’aéronautique, mais nous voulons élargir le spectre et devenir des centres de production pour des produits finis.

Nous avons prouvé, en développant l’industrie des composants automobiles, que nous pouvons assurer pour tout ce qui est produits à haute valeur ajoutée. Nous avons le droit d’espérer que tout le véhicule soit fabriqué en Tunisie et non une partie seulement de ses composants.

C’est pareil pour l’aéronautique ou l’industrie pharmaceutique très avancée. Nous encouragerons les partenariats avec les pôles Sidi Thabet et l’Institut Pasteur pour l’option bio. Et d’un autre côté, nous encouragerons nos industriels à investir dans d’autres pays, comme l’Afrique subsaharienne et autres en mettant en place nombre d’incitations.

De quelles incitations vous parlez ?

Il y a d’ores et déjà les incitations qui existent dans le code de l’investissement et dans la loi de finances 2018. En tête, il y a des fonds consacrés à l’innovation, et nous continuerons sur la même lancée pour ce qui est de la mise à niveau.

L’investissement en Afrique sera subventionné tout comme les encouragements destinés à l’exportation des produits agroalimentaires dont l’huile d’olive que nous ne voulons plus vendre en vrac.

Nous avons multiplié par 3 le Fonds d’appui au conditionnement et à labellisation de l’huile, et nous prendrons en charge les petites et moyennes entreprises qui feront les déplacements à l’international pour le promouvoir.

Cette semaine, au cours du Conseil supérieur de l’huile d’olive conditionnée, qui a été présidé par le ministre de l’Industrie, nous avons annoncé de nouvelles mesures pour aider les PME.

Nous sommes convaincus que la création de richesses et la croissance des exportations passent par le soutien aux industries à haute valeur ajoutée

Il faut que vous sachiez que nous avons la conviction que la création de richesses et la croissance des exportations passent par le soutien aux industries à haute valeur ajoutée, tels les composants automobiles, l’aéronautique ou encore les softwares, les technologies de pointe et l’informatique, mais les secteurs du textile, et du cuir et chaussure ne doivent pas être ou rester les parents pauvres de la politique de l’Etat.

La Tunisie possède également un grand potentiel dans l’énergie et ses dérivés, l’économie verte et bleue, et puis surtout l’agroalimentaire qui a besoin d’être mis en valeur. Nous avons la chance d’être dans un pays où les terres sont fertiles et où nous pouvons développer une industrie agroalimentaire de grande qualité. Il faut mettre fin à toutes les entraves qui bloquent le développement de ce secteur. Nous comptons investir dans les industries agroalimentaires, valoriser davantage notre agriculture et permettre de créer des richesses à travers ce secteur stratégique.

Ce que vous dites là est extraordinaire, mais lorsque vous voyez un patrimoine aussi important que le domaine Châal, un des plus grands domaines oléicoles au monde avec ses 32 hectares, ses 340.000 oliviers productifs et son complexe agroindustriel, et que l’Etat est incapable de céder, à cause de la résistance des syndicats alors qu’il peut être plus performant, nous sommes en droit de nous poser des questions quant à l’avenir de l’industrie agroalimentaire. L’Etat a-t-il aujourd’hui les moyens d’assumer ce genre de domaine et d’être compétitif à l’échelle internationale alors qu’il peut être meilleur dans le cadre du PPP ?

Vous avez raison. Concernant le domaine Châal, nous sommes actuellement en négociations avec l’UGTT, et nous pensons arriver à une entente sur l’approche et la démarche car il ne faut pas oublier que la centrale ouvrière est signataire avec nous du Pacte de Carthage et qu’à ce titre elle est concernée par tout ce qui peut servir les intérêts du pays.

Nous avons un accord de principe avec l’UGTT pour ce qui est du nombre d’entreprises publiques pour des réformes structurelles

Pour le reste, sachez que pour l’année 2018 il y a un titre II qui comprend une enveloppe de 6 milliards de dinars, et aussi un titre III dont le montant s’élève à environ 7 milliards de dinars pour de nouveaux projets dans le cadre des partenariats publics privés.

Nous avons un accord de principe avec l’UGTT pour ce qui est du nombre d’entreprises publiques pour des réformes structurelles. Pour réussir ces réformes, nous pourrons éventuellement décider de privatisations partielles dans certains cas. Pour la majorité, nous agirons dans le sens d’améliorer la gouvernance et nous œuvrerons pour de meilleurs business model.

Quant aux secteurs stratégiques, l’Etat doit assumer ses responsabilités dans l’amélioration de la qualité des investissements et surtout leur efficience. Et de toutes les manières, concernant le secteur public, il y a du pain sur la planche en matière de gouvernance, de transparence, d’amélioration du management, de discipline et d’optimisation des résultats.

Comment faire confiance à un Etat incapable d’appliquer la loi s’agissant d’une entreprise telle que la STIP et qui est en arrêt de production depuis des mois à cause de certains récalcitrants soutenus par les syndicats ? Pareil pour la RNTA.

Nous sommes en train de négocier avec l’investisseur qui a acheté la STIP dans un total respect des règles de jeu et de la loi… Nous sommes un Etat de droit et nous n’obligerons pas cet investisseur à céder ses parts. Et à ce propos, je peux vous assurer et rassurer nos compatriotes à Msaken quant au fait que la STIP reprendra bientôt ses activités. Il n’y aura pas de marche arrière puisque la STIP est actuellement un établissement privé à participation publique.

Je peux vous assurer  et rassurer nos compatriotes à Msaken quant au fait que la STIP reprendra bientôt ses activités

Le RNTA est peut-être le meilleur exemple pour ce qui est de la convergence des positions entre différents partenaires et où les réflexions sont assez avancées. Le but ultime étant la préservation des intérêts et des privilèges des travailleurs et la préservation de ceux de l’Etat.

A vous entendre, nous avons l’impression que tout est clair comme l’eau de roche, pourtant lorsque nous posons la question aux opérateurs privés nationaux ou internationaux, ils se plaignent du manque de visibilité.

Et pourtant, je peux vous assurer que nous travaillons sérieusement sur l’amélioration du climat d’affaire. Nous encourageons la création de nouveaux projets, l’innovation, l’investissement, la création et l’export. Nous voulons susciter une dynamique d’espoir et encourager l’initiative privée, c’est la philosophie du gouvernement d’union nationale.

C’est notre responsabilité. D’ailleurs, dans notre plan 2018/2020, notre programme économique et la loi de finances encouragent les chefs d’entreprise. Ecoutez bien les discours du chef du gouvernement, il va dans ce sens. Nous sommes les avocats de l’entreprise privée et nous militons pour sa pérennité.

Notre unique feuille de route, c’est travail, effort, rentabilité, productivité, innovation et confiance en soi. C’est le seul moyen de combattre la pauvreté, le chômage, la corruption, le terrorisme et les idées rétrogrades…

Nous sommes également les défenseurs des investisseurs. Nous défendons la valeur travail, le patriotisme et l’équilibre entre les devoirs et les droits. Oui nous devons plus communiquer à ce propos et en parler davantage. Si nous voulons que notre si beau pays réussisse et passe le cap de cette série de crises, nous sommes condamnés à travailler. Nous n’avons pas d’autre choix, c’est notre unique feuille de route : le travail, l’effort, la rentabilité, la productivité, l’innovation et la confiance en soi. C’est le seul moyen de combattre la pauvreté, le chômage, la corruption, le terrorisme et les idées rétrogrades, c’est notre destin.

Vous pensez que le climat social s’apprête à ce que vous venez de dire ?

Tous les signataires du Pacte de Carthage sont conscients des enjeux pour la Tunisie. L’UGTT est le partenaire du gouvernement, elle est signataire de ce pacte, et elle approuve l’orientation du gouvernement. Je vous assure qu’aujourd’hui le climat social est très serein. Il n’y a plus cette instabilité qui a prévalu pendant une certaine époque ; le secrétaire général de l’UGTT ainsi que son bureau exécutif veulent que la Tunisie dépasse ses crises et en premier celle économique.

L’UGTT, l’UTICA et l’UTAP sont des partenaires à part entière du gouvernement d’union nationale et ont autant de responsabilités que nous dans le sauvetage du pays

L’UGTT, l’UTICA et l’UTAP sont des partenaires à part entière du gouvernement d’union nationale et ont autant de responsabilités que nous dans le sauvetage du pays. Et quels que soient les résultats des urnes, ces organisations auront toujours leurs preuves. En ce qui me concerne, j’ai foi en nous, en nos partenaires et je crois en cette magie de gouvernement d’union nationale. Je pense que cette union est très positive pour la Tunisie.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali