Selon un communiqué du ministère de tutelle, le tourisme tunisien aurait généré pour le mois d’août 2017 une recette record de 674 millions de dinars (257 millions d’euros). Une performance qui a dépassé, selon ce communiqué, celle réalisée en 2010, l’année de référence.

Selon cette même source, le montant des recettes touristiques globales, au titre de l’année 2010, s’était élevé à 3,522 milliards de dinars. Si cette recette conforte la rentabilité du secteur, elle renseigne également sur la montée en gamme du secteur et sur l’application d’une politique tarifaire en adéquation avec la qualité des infrastructures et des services, souligne le ministère du Tourisme.

Dans l’attente de la confirmation par la Banque centrale de Tunisie, pour le bilan des huit premiers mois de 2017, les recettes du tourisme auraient atteint 1,913 milliard de dinars (728 millions d’euros), soit une hausse de 22% par rapport à la même période de 2016. La Tunisie a accueilli au cours de la même période près de 4,7 millions de touristes dont 1,15 million de touristes européens et 1,6 million de touristes algériens.

Ne pas se tromper dans l’analyse

A la lecture du communiqué du ministère du Tourisme, on ne peut que se réjouir bien évidemment de ces performances dont l’interprétation reste tout de même à nuancer.

“C’est donc un non-sens que de parler de la recette en dinars et de passer directement à l’équivalent en euros comme si c’était automatique”

La conversion dinars/euros n’est pas opportune car ni le dinar tunisien ni le dinar algérien ne sont des monnaies convertibles. C’est donc un non-sens que de parler de la recette en dinars et de passer directement à l’équivalent en euros comme si c’était automatique.

Toute la recette en dinars restera en dinars. Seule la recette en devises peut être convertie en euros ou en autres devises.

Ce point est hyper important car il est primordial pour la balance des paiements tunisienne qui est dans le rouge permanent avec des échéances pressantes en devises à honorer.

98% en 1988 vs 25% en 2017…

Le tourisme tunisien est avant tout, ne l’oublions jamais, un secteur économique qui a été lancé pour rapporter des devises au pays. Selon des experts, en 1988 le taux de couverture du déficit commercial par le tourisme était de 98% alors que maintenant on serait à peine à 25%.

La solution de l’occupation de nos hôtels (construits en devises par emprunts) par le tourisme local et par toute autre clientèle qui ne paie pas en devises, comme la clientèle algérienne, est une solution de fait accompli en période de crise mais ne peut en aucun cas être un modèle économique à pérenniser.

Pour rééquilibrer dans l’avenir la part de chaque marché afin de favoriser l’entrée des devises pour soulager notre balance des paiements, la partie ne va pas être facile.

Se débarrasser de certaines mauvaises habitudes 

Beaucoup d’habitudes se sont installées dans le secteur et pas que de bonnes. L’économie informelle a pris goût à la manne qui provient par voie terrestre d’Algérie et qui n’arrive pas forcément dans les guichets des banques et en tout cas certainement pas en devises.

Le secteur a aussi pris de mauvaises habitudes en traitant avec la clientèle locale et la clientèle algérienne, quoi qu’on en dise, toutes les deux moins exigeantes et regardantes que la clientèle européenne au niveau de la qualité de service. Deux clientèles qui paient d’avance le prix fort au tarif individuel, qui acceptent volontiers qu’on transgresse les normes et les conditions d’occupation officielle des chambres dans les hôtels dont certains dépassent largement en pointe leur capacité d’accueil autorisée.

Quid de la “cohabitation“ dans les hôtels?

En contrepartie, le secteur hôtelier a fini par fermer l’œil sur l’usage non hygiénique des burkinis dans les piscines dont plus personne ne parle et qui devient un droit pour aller faire trempette dans les piscines des hôtels même de catégorie de luxe. Des piscines dont la couleur de l’eau vire souvent dès 10 heures du matin du cristal à trouble, puis très trouble. Des pratiques qui ont contribué à tirer encore plus le produit vers le bas.

“Des piscines dont la couleur de l’eau vire souvent dès 10 heures du matin du cristal à trouble, puis très trouble. Des pratiques qui ont contribué à tirer encore plus le produit vers le bas”

Par ailleurs, comme il est notoire que la cohabitation dans un même hôtel des clientèles allemande et française ou italienne et française, il est aussi certain que la cohabitation entre la clientèle locale ou algérienne avec la clientèle européenne pose problème. Sans faire de philo et sans prendre cela pour une offense, le problème est très simple: ces différentes clientèles n’ont pas les mêmes besoins au niveau du produit qu’elles souhaitent consommer. Au même titre qu’il faut comprendre qu’une dame en burkini accompagnée par son mari et ses enfants peut ne pas se sentir dans son élément à côté d’une dame russe ou ukrainienne en petite tenue, comme il faut comprendre aussi que la réciproque est vraie. Ce mélange des genres est contre nature et cause au final préjudice à la qualité du produit et à la satisfaction de la clientèle aussi bien locale qu’étrangère.

Attention à l’autosatisfaction…

En conclusion, il faut se méfier du piège qui consiste à croire que l’embellie provient d’une performance ou d’une retombée d’un travail réalisé par le secteur alors qu’elle n’est que le résultat logique de l’accalmie sécuritaire dans notre pays.

Il faut rester modeste et humble. Il ne faut pas crier victoire et laisser cette inflexion de tendance avec le retour des marchés traditionnels nous monter à la tête.

Le chantier “Tourisme en Tunisie“ reste entier, les choses se sont même aggravées depuis 2011. Devant la démission et l’impuissance de l’Etat durant 6 années de déstabilisation et de crise profonde, le produit touristique tunisien s’est détérioré davantage. Déjà en 2006, bien avant la révolution, les profonds problèmes du secteur étaient diagnostiqués et des recommandations avaient été faites suite à de multiples expertises pour y remédier.

L’heure de la refondation du tourisme tunisien a sonné

Depuis la révolution, le maître mot pour tous dans la profession «tourisme tunisien» a été la débrouillardise ou la faillite pour les agences de voyage et les tour-opérateurs, la fermeture pour les hôtels.

La dette hôtelière n’a jamais été restructurée et s’est bien évidemment aggravée suite à six années d’hésitation, de vache maigre ou de diète.

“L’outil de travail a entre-temps souffert, vieilli et mal vieilli. Des investissements sont aujourd’hui nécessaires et urgents pour rattraper ce retard par une mise à niveau pour rénover les équipements, sortir des inventaires ce qui est obsolète…”

L’outil de travail a entre-temps souffert, vieilli et mal vieilli. Des investissements sont aujourd’hui nécessaires et urgents pour rattraper ce retard par une mise à niveau pour rénover les équipements, sortir des inventaires ce qui est obsolète, ce qui n’est plus conforme à la mode, aux besoins et à la demande des clients.

L’environnement s’est beaucoup détérioré et il faudra énormément d’efforts notamment de la part des nouveaux Conseils Municipaux qui seront bientôt élus et pas forcément expérimentés, pour traiter en priorité la question de l’environnement, de l’hygiène, de la propreté.

Fin de la baisse du flux des marchés traditionnels ?
Ceci étant, nous n’allons pas bouder aujourd’hui l’arrivée de cette hirondelle qui est venue nous annoncer le printemps!

Ce qui est important aujourd’hui c’est de constater que 2017 a été le point d’inflexion. La tendance baissière des marchés traditionnels a pris fin et nous assistons à une tendance franchement haussière avec des taux allant de 45% à plus de 100% selon les marchés.

Ceci est dû avant tout à une réussite politique et à un travail de fond réalisé au niveau de la sécurité. Un travail qu’il faut saluer car c’est ce travail qui a été plébiscité par les touristes qui reviennent en Tunisie.

“Un travail qui annonce la réussite et la bonne voix prise par la jeune démocratie tunisienne qui est en passe de gagner sa guerre contre l’obscurantisme et le terrorisme”

Un travail qui annonce la réussite et la bonne voix prise par la jeune démocratie tunisienne qui est en passe de gagner sa guerre contre l’obscurantisme et le terrorisme.

C’est ce même travail qui a amené la Belgique, les pays scandinaves et le Royaume-Uni à lever “l’embargo“ sur les voyages touristiques de leurs ressortissants vers la Tunisie et a engendré une amélioration des entrées des Allemands et des Français.

Hommage aux sécuritaires…

Au-delà des hommes politiques qui ont su, tant bien que mal, conserver une cohésion nationale en mettant en place une cohabitation difficile pour préserver la paix, un hommage particulier doit être rendu avant tout à la mémoire de ceux qui ont laissé leurs vies au service de l’intégrité et de la sécurité de la Tunisie. Un hommage à tous ceux qui veillent à la sécurité de notre pays. Des remerciements à tous les pays qui ont aidé la démocratie tunisienne à vaincre ses ennemis. C’est à eux tous, avant tout, que nous devons l’embellie de 2017 au niveau du secteur du tourisme en Tunisie.

La balle reste cependant dans le camp des professionnels du tourisme pour transformer l’essai, mettre en valeur, concrétiser et pérenniser cette intention manifestée par les marchés traditionnels de revenir en Tunisie.

Les chantiers urgents…          

L’assainissement de l’environnement, l’amélioration de la qualité avec une application stricte de la loi et des normes du secteur, le retour à la formation du personnel, la révision avec une mise à jour de la classification de tout le parc hôtelier selon de nouvelles normes, la restructuration et l’assainissement de la dette hôtelière, la mise en place d’une politique de transport aérien performante et cohérente avec les besoins du secteur, sont autant de chantiers qui ne peuvent plus attendre et qu’on n’a plus aucun prétexte pour ne pas les traiter.

Hakim Tounsi