Livre : Les marionnettes en Tunisie, la mémoire et la trace

Signé par la marionnettiste et dramaturge Habiba Jendoubi ” Les marionnettes en Tunisie, la mémoire et la trace ” est un nouvel ouvrage qui vient d’être publié en hommage à la mémoire de son maître Slah Eddine (Rached) Menai auquel elle lui doit tous les succès et la réussite. Ce livre se veut une sorte d’étude qui tente d’explorer l’histoire des marionnettes en Tunisie et de suivre l’évolution de cet art à travers les 19 et 20èmes siècles.

Il s’agit de mettre en avant le théâtre d’ombre en référence aux chercheurs, aux marionnettistes et aux artisans. Mais aussi de faire connaitre au mieux l’histoire des marionnettes typiquement tunisiennes ainsi que les différents spectacles et performances populaires données au cours du 20ème siècle. Le livre s’achève dans la dernière partie sur la situation actuelle du théâtre de marionnette en Tunisie qui devrait être inclus, selon l’auteure, dans les systèmes éducatif et de la santé.

En parcourant les 97 pages écrites en trois langues (arabe, français et anglais), le lecteur peut s’offrir une véritable ballade entre illustrations et photographies retraçant les différentes phases d’évolution du théâtre de l’ombre et ses illustres personnages. Ces photos proviennent dans leur majorité de la collection personnelle de l’auteure dont le parcours dans l’art de la marionnette a dépassé 40 années.

La fondatrice de la compagnie ” Domia Productions théâtre de marionnettes tous publics ” a, dans un entretien avec l’agence TAP, mentionné qu’elle a voulu à travers cet ouvrage confirmer la présence ancrée de l’art de la marionnette en Tunisie et répondre à une question crucial qui lui a été toujours posée lors de ses déplacements et participations à plusieurs festivals spécialisés dans le théâtre de marionnettes depuis 1989 : existent-ils des marionnettes en Tunisie et au Nord de l’Afrique ? “.

Ecrit en français par Habiba Jendoubi, traduit vers l’arabe par l’universitaire Ridha Ben Salah et vers l’anglais par Raja Jendoubi, le livre est illustré dans la page de couverture et dans les premières pages de chaque chapitre par des dessins originaux du plasticien tunisien Zied Ben Slama.

Le lecteur peut parcourir le livre en trois parties : “le théâtre d’ombre en Tunisie”, “les marionnettes siciliennes en Tunisie ou opéra dei pupi” et ” autres marionnettes en Tunisie “.

L’idée d’écrire ce livre a germé depuis 12 années mais ceci n’a pu être réalisé qu’aujourd’hui vu le manque de publications à ce vaste sujet, a-t-elle précisé. Le travail a commencé par la collecte des données et de toutes les informations nécessaires qui confirment que cet art est bien enraciné en Tunisie depuis l’époque des berbères.

Le début c’était avec “Ommok Tangou “, cette poupée géante très ancienne. Héritant de la tradition berbère et punique, ce personnage porte en lui les soucis de la société tunisienne et l’accompagne pendant la sécheresse pour demander la pluie. Portant une variété de noms selon les régions -” ommok tangou ya nsee ” au nord et ” el geyma el geyma ” au nord-ouest- ce personnage, a indiqué l’auteure à l’agence TAP illustre un rite qui illustre l’ambiance de fête et de rapports entretenus entre la mère et la fille au moment ou elles se réunissent pour fabriquer cette poupée avec des tissus colorés enveloppant une grande armature en bois en forme de croix.

Aux côtés de ” Ommok Tangou “, le théâtre de marionnettes en Tunisie a connu dans l’histoire le fameux guignol ” Boussaadia ” le nom du héros du théâtre d’ombre, un personnage semblable au Polichinelle occidental qui, sur les traces de sa fille kidnappée, débarque en Tunisie pour apparaitre durant la longue quête, étrange dans sa façon de s’habiller, de parler et de se comporter en sociétés devenant sujet de rires et de moquerie.
Avec l’avènement de l’empire ottoman en Tunisie, a-t-elle ajouté, sont entrés sur la scène ” Karakouz ” et son complice ” Haziouaz “.

Ces deux marionnettes, a-t-elle précisé, constituent presque la seule forme du théâtre d’ombre dont on n’a pas de trace en Tunisie dès lors que les spectacles se déroulaient dans les boutiques de tisserands ou de Krartia de Halfaouine qui se transformaient la nuit en espaces de spectacles assez audacieux voire tabous. Habiba Jendoubi a, dans ce sens expliqué que ces faits sont confirmés par les témoignages de voyageurs étrangers et certains tunisiens qui ont vécu à cette époque dont le chanteur populaire et humoriste Mohamed Jarrari (auteur de la célèbre chanson el kasm ala allah mel karrita) qui a passé une partie de son enfance à travailler dans les boutique de Halfaouine. Dans un entretien avec lui en 1980, il lui avait souligné que ces espaces se transformaient effectivement la nuit à des lieux de théâtre d’ombre avec des représentations qui évoquent des sujets érotiques et tabous à cette époque. C’est la seule forme dont on ne trouve pas une documentation jusqu’à ce jour.

Elle s‘est dans ce sens félicitée de la riche collection dont disposait Jarrari (1925-1997) et relatif aux personnages ” karakouz “, ” Haziouaz ” et ” Khaltek Tozza khcham el wezza “, cette vieille femme excessivement curieuse qui entre dans toutes les maisons et fourre son nez partout.

Avec l’arrivée des italiens et des maltais dans notre pays à travers la mer, plusieurs autres formes de marionnettes ont commencé à voir le jour en Tunisie dont le personnage de ” Ismael Pacha “, façonné par Hechmi Aschi et toujours disponible sur le marché tunisien. Agé de 76 ans, il parle à l’auteur de sa passion : il a découvert la marionnette il ya déjà 40 années. Son coup de cœur pour ces silhouettes avec têtes, mains, pied et structures de corps soigneusement sculptés en bois peints de couleurs vives ne le laisse pas indifférent : qui assurera la suite ?

Selon Habiba Jendoubi, cet ouvrage ne constitue en fait qu’un essai pour ouvrir la voie vers les chercheurs spécialisés notamment les jeunes afin de nourrir la curiosité et d’approfondir davantage l’intérêt pour la recherche en puisant sur ce livre qui pourrait servir de référence.
Etant à jour avec ce qui se passe dans ce secteur sur la scène internationale, l’auteure a pu constituer une riche bibliothèque qu’elle mettra d’ailleurs à la disposition des chercheurs prochainement dans le cadre d’un ambitieux projet qui verra le jour bientôt, selon ses propos.

Dédiée à Mohamed Bechir Jalled, parmi les rares marionnettistes tunisiens, le seul à se consacrer en 1980 à Karakouz et Haziouez au sein de la troupe de marionnette de Tunis, ce livre a-t-elle mentionné est un hommage également à la mémoire de deux figures de proue : l’acteur tunisien Ahmed Snoussi, passionné discret du théâtre d’ombre traditionnelle et du personnage karakouz, et Mohamed Jarrari, le chanteur populaire.

L’expérience de Habiba Jendoubi dans l’art de la marionnette a commencé avec le démarrage de la première troupe professionnelle ” Théâtre de marionnettes de Tunis ” en 1976 et s’est développée grâce à une formation spécialisée dans plusieurs pays comme la Bulgarie et la France. Elle a à son actif plusieurs pièces et contribué à une série de conférences, séminaires et ateliers de formation au profit des enfants, éducateurs et spécialistes. Elle a consacré toute sa carrière à ses marionnettes avec lesquelles elle a parcouru et continue de parcourir le monde. Elle a fondé en 1990 la compagnie Domia Production qui entre 1997 et 2003 a animé des séminaires et ateliers sur la valeur thérapeutique de la marionnette auprès de l’institut de promotion des handicapés.

En effet, le spectacle de la marionnette embrasse aujourd’hui de nombreux domaines et constitue un trésor voire un patrimoine immatériel inestimable. Sur ce point, a-t-elle conclu, n’est-il pas impératif de réfléchir aujourd’hui à récupérer les nombreuses marionnettes qui ont quitté la Tunisie particulièrement vers l’Italie ?