Dans quelques jours, quelques semaines au plus, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) va rendre sa décision dans le litige opposant depuis bientôt trente-cinq ans l’Etat tunisien à la société ABCI au sujet de la Banque Franco-Tunisienne (BFT). Et à moins d’un revirement de dernière minute, rien n’indique qu’une solution à l’amiable soit de nouveau envisageable. Du moins du côté tunisien. Car la partie tunisienne s’entête à jouer la montre et le pourrissement. Alors qu’elle a tout intérêt à rechercher une solution moins coûteuse, puisque nul ne doute, y compris les autorités tunisiennes elles-mêmes, que l’Etat tunisien va perdre et être condamné à payer une lourde réparation à la société ABCI.

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Pendant ce temps, du côté tunisien on s’entête à nier l’évidence de la responsabilité de l’Etat dans ce litige et à en donner une lecture erronée. La dernière date de quelques semaines et est le fait de Mabrouk Korchid et Moez Joudi. Le secrétaire d’Etat aux Domaines de l’Etat et aux Affaires foncières et l’expert en gouvernance de l’entreprise ont récemment défendu la même thèse?- en pointant un doigt accusateur vers Slim Ben Hmidane.

Selon eux, l’ancien ministre chargé du Domaine de l’Etat et des Affaires foncières dans les deux gouvernements de la Troïka serait coupable de ne pas avoir défendu comme il se doit les intérêts de l’Etat dans l’affaire de la BFT et y aurait même porté atteinte en signant, le 31 août 2012, un protocole d’accord définissant les principes d’un règlement amiable de ce litige. Bref, Ben Hmidane aurait en quelque sorte, d’après Korchid et Joudi, fait un «cadeau» indu à ABCI, comme si les droits de cette société n’existaient pas indépendamment du fait qu’ils soient reconnus ou pas par l’Etat tunisien.

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Le 28 octobre 2016, sur Express FM, Korchid a ainsi déclaré que «des erreurs, assimilables à un crime, ont été commises dans ce dossier», que «nous avons conclu un accord qui n’a pas de raison d’être» et que, par conséquent, «les intérêts de l’Etat ont été donnés de manière erronée».

Une semaine plus tard, le 4 novembre 2016, Moez Joudi abonde dans le même sens, en marge d’une intervention à une rencontre organisée par le groupe parlementaire du parti Machrou Tounes, afin de discuter le projet de loi de finances 2017. L’expert en gouvernance y souligne que Slim Ben Hmidane «a signé un document (…) dans lequel il admet que l’Etat tunisien reconnaît les erreurs qu’il a commises (…), ce qui porte atteinte à sa crédibilité».

Plus grave, Moez Joudi appelle à «agir rapidement pour traiter ce problème». Comment? En «mettant en œuvre l’appareil judiciaire afin d’enquêter sur ce qui s’est passé dans ce dossier complexe». Enquêter seulement?

On se rappelle qu’une procédure judiciaire avait été engagée en Tunisie en 2013 pour prouver les accusations de corruption mises en avant par la partie tunisienne afin de justifier ainsi la dénonciation par l’Etat tunisien du procès-verbal du 31 août 2012 et la procédure arbitrale en cours depuis près de 13 ans au CIRDI. Prenant prétexte de cette procédure, l’Etat tunisien avait demandé au CIRDI la suspension de la procédure arbitrale afin d’avoir le temps de produire des preuves à l’appui de ses accusations. Ne voyant rien venir, l’instance arbitrale internationale avait fini par reprendre ses travaux.

Trois ans après, l’Etat tunisien relance donc la machine judiciaire dans le même but, en changeant de cible. En 2013, la procédure avait été engagée contre le conseiller rapporteur auprès du Contentieux de l’Etat, Hamed Nagaoui. Aujourd’hui, elle cible Slim Ben Hmidane. En apparence. Car comme nous l’avons révélé et prouvé à l’époque, documents à l’appui, l’ancien ministre n’a nullement agit seul, n’a apposé sa signature au bas du procès-verbal de règlement amiable avec ABCI qu’avec l’aval du chef du deuxième gouvernement de la Troïka, Ali Laarayedh –à qui il a adressé au moins deux notes à ce sujet. Donc, si Slim Ben Hmidane devient le bouc émissaire, il peut entraîner Ali Laarayedh dans sa chute.

Alors quel est l’ultime but de cette opération? Il serait d’y impliquer la société ABCI ou l’un de ses responsables actuels ou anciens –probablement Abdelmajid Bouden, ancien président du conseil que la partie tunisienne persiste à considérer, à tort, comme son vis-à-vis dans cette affaire. La partie tunisienne espère ainsi être en mesure, une fois l’Etat tunisien condamné par le CIRDI, d’«égaliser» en obtenant une condamnation par un tribunal tunisien de la partie adverse à verser des réparations équivalentes à celles que l’instance arbitrale internationale lui aura accordé? Si telle est la stratégie arrêtée par l’Etat tunisien, elle n’a aucune chance d’atteindre l’objectif fixé: éviter le paiement de réparations à la société ABCI.

D’abord, parce que le CIRDI considère –il l’a déjà fait à de multiples reprises par le passé dans ce dossier et dans d’autres aussi- qu’un jugement prononcé par un tribunal tunisien n’est qu’un simple acte de l’Etat tunisien qui ne peut en rien modifier la décision qu’il va prendre. Ensuite, une fois en possession d’une sentence favorable, la société ABCI pourra l’exécuter n’importe où dans le monde en faisant saisir et mettre en vente des biens tunisiens (avions, navires, biens immobiliers, etc.).

MM

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