La Banque mondiale va accorder à l’Office national de l’assainissement (ONAS) un nouveau crédit d’un montant de 710 MDT, remboursable sur 25 ans, pour réhabiliter dix stations d’épuration et 89 stations de pompage.

Ce crédit est octroyé à l’ONAS en plus d’un don de 20 MDT de l’Agence Française de Développement (AFD), de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de L’Union européenne (UE), dans le cadre du programme de dépollution de la Méditerranée “DEPLOMED”, qui s’étend sur la période 2017-2025.

Améliorer la qualité des eaux usées traitées

Son objectif principal est d’améliorer la qualité des eaux usées traitées dans le sens d’une conformité aux normes internationales et partant leur réutilisation, essentiellement, dans l’irrigation de l’agriculture. Les eaux usées dites eaux grises, dont un ratio de 40% est destiné à l’irrigation de certaines cultures, sont soumises à la norme NT 106.03, qui définit la composition de ces eaux et les cultures par lesquelles, elles peuvent être irriguées.

Il ne s’agit pas du premier crédit accordé à l’ONAS. L’Office avait déjà bénéficié d’un autre financement additionnel de la BM de 18 millions de dollars (31 août 2016) pour parachever le projet d’assainissement de Tunis-Nord, lancé, en 2010, de deux prêts et un don du Fonds pour l’environnement mondial (FEM) pour soutenir le même projet, dont le coût total s’élève à 68,63 millions de dollars et réaliser un deuxième projet de Gestion des Ressources Naturelles.

En dépit de cette mobilisation des bailleurs de fonds internationaux, la qualité des eaux usées traitées par les stations de l’ONAS est toujours critiquée, parfois par la BM elle-même.

Déjà, dans une étude d’impact du projet de la station d’épuration de Chotrana (2015), la Banque Mondiale avait mentionné que la qualité de l’effluent provenant des stations d’épuration existantes est ” très moyenne ” et que certaines de ces stations sont saturées et offrent une qualité de traitement ” assez mauvaise “.

Les eaux usées, l’alternative controversée

En Tunisie, seulement 2% des périmètres irrigués exploitent les eaux usées traitées sur un total de 425 mille hectares, d’après le directeur général de génie rural et de l’exploitation des eaux au ministère de l’Agriculture des ressources hydrauliques et de la pêche, Ridha Gabouj.

40% de ces périmètres se trouvent au Centre et au Sud, où les ressources en eau se font rares. D’autres régions exploitent relativement ces eaux telles que les régions de Sousse, Msaken, Kairouan, Gabès, Gafsa, Sfax et Médenine. Dans certaines régions, l’irrigation par les eaux usées traitées s’est arrêtée à cause de la détérioration du sol. En dépit de la baisse du prix de vente de ces eaux usées traitées (20 millimes le m3 contre un coût de 200 millimes), leur exploitation par les agriculteurs reste faible.

Or, pour un pays pauvre en eau, les eaux usées traitées destinées à l’irrigation constituent une alternative irréversible. Les agriculteurs tunisiens ne sont pas, toutefois, toujours favorables à l’usage de ces eaux. Ils contestent, généralement, leur qualité et les matières en suspension, qui détériorent leurs ouvrages d’irrigation.

Un rapport de la Cour des Comptes (2013) confirme, déjà, la mauvaise qualité de ces eaux. Plus de 50% des quantités d’eau traitées par 18 stations de l’ONAS sont non conformes aux normes de qualité, précise le rapport. Encore, une dizaine de stations produisent des eaux totalement non conformes aux normes. Ce constat pourrait être encore pire, selon la Cour des Comptes, car les échantillons des eaux destinés aux analyses pour évaluer la qualité des eaux, sont prélevés à la sortie des eaux des stations. Que dire, alors du taux de pollution des eaux avant qu’elles n’atteignent les périmètres irrigués ?

” Si on avait le choix, si on n’était pas un pays pauvre en eau, on n’utiliserait jamais les eaux usées traitées. Leur traitement reste toujours limité en Tunisie, nos analyses ont démontré que la qualité de ces eaux est variable quelque soit en termes de conformité physicochimique ou microbiologique”, a déclaré à TAP, le directeur de l’Hygiène du Milieu et la Protection de l’Environnement au ministère de la Santé Publique, Mohamed Rebhi.

Des pathologies détectées

Il y a, aujourd’hui, nécessité d’améliorer la qualité des eaux usées traitées pour éviter des éventuels effets néfastes, non seulement pour l’environnement, mais aussi la santé humaine.

Déjà, en août 2012, des analyses d’eaux usées effectuées par le ministère de la Santé Publique, à partir d’échantillons de la station de traitement de SOUSSE sud, dont 25% de ces eaux sont destinées à l’irrigation agricole, ont révélé la présence de vibrion cholérique, une bactérie à l’origine de le Choléra de Type 1, maladie contagieuse qui se transmet par voie orale, d’origine fécale, par l’eau de boisson ou des aliments souillés.

Interrogé par TAP sur l’éventualité de la présence, aujourd’hui, d’une telle maladie dans les eaux usées, Mohamed Rebhi, du ministère de la Santé Publique, s’est montré rassurant. Le ministère avait pris toutes les mesures nécessaires, dont l’arrêt provisoire de l’utilisation des eaux qui parviennent de cette station et le recours à la désinfectation avec la chaux vive. “Les stations qui approvisionnent les périmètres irrigués sont sous la loupe “, a-t-il ajouté.

Toutefois, il a indiqué que ” Les eaux usées restent toujours des eaux usées, même si elles sont bien traitées car la pollution microbiologique persiste vu que les eaux usées qui entrent aux stations sont riches en pollution microbiologique (106 ou 107) et sortent en 104 dans le meilleur des cas, notamment dans les anciennes stations qui ne répondent pas aujourd’hui, à la demande de population, outre le manque des travaux de maintenance”.

Selon Rebhi, qui est également membre du conseil d’administration de l’ONAS, les analyses d’eaux usées traitées effectuées en 2015, ont révélé des taux de non-conformité très élevés concernant les caractères physicochimiques des eaux usées traitées (oxygène, matières en suspension…..).

Les agriculteurs, parfois coupables

Bien que certains agriculteurs n’acceptent pas d’irriguer leurs cultures avec des eaux usées traitées, découragés par la mauvaise odeur, selon Rebhi, d’autres sont prêts à utiliser même une eau non traitée pour l’irrigation de cultures qui ne doivent pas être irriguées par les eaux usées conformément au cahier des charges (exp: légumes crus).

Les eaux usées doivent être utilisées pour irriguer des cultures industrielles comme le coton, le tabac et le lin, les céréales (blé, orge, avoine fourragère…) et les cultures fourragères (luzerne, maïs et sorgho fourrager).

Selon Rebhi, le contrôle n’a pas dissuadé les agriculteurs à respecter la loi. En 2014, les équipes de contrôle ont saisi et détruit 16 hectares de cultures fourragères, de fèves et de petits pois irrigués avec des eaux usées non traitées à Siliana et Sousse. Bien avant cette date, en 2013, une superficie de 900m2 de légumes à Béja et des serres de tomates et 5 hectares de sorgho fourrager à Mahdia ont été irriguées avec des eaux usées.

En vertu de l’article 32 de la loi de protection du consommateur, les contrevenants doivent payer une amende de 1000 à 20.000 dinars et pourraient être condamnés de 3 mois de prison.

Les CRDA, manquent de rigueur en matière d’analyses et de coordination

Selon le rapport de la Cour des Comptes, la plupart des Commissariats régionaux de développement agricole (CRDA) n’ont pas effectué les analyses nécessaires conformément aux législations en vigueur. Sur un total de 15 délégations qui exploitent les eaux usées, seulement 7 ont procédé à des analyses des eaux utilisées.

C’est surtout l’absence d’analyses bactériennes qui inquiète. Car ces analyses peuvent empêcher des risques de maladies ou de contamination des consommateurs de produits agricoles irrigués par les eaux usées.

D’après la même source le retard dans l’annonce des résultats des analyses pourrait, lui-même, être une défaillance. Les résultats des analyses ne sont révélés qu’après deux semaines du prélèvement, d’où le non arrêt immédiat de l’irrigation avec ces eaux.

Le ministère de la Santé critiqué

Dans son rapport, la Cour des Comptes a précisé que, contrairement aux dispositions de l’article 8 du décret n°1047 qui confie la responsabilité du contrôle des cultures irriguées avec les eaux au ministère de la Santé, ce département n’a pas consacré un contrôle spécifique aux cultures irriguées aux eaux usées traitées.

Le rapport évoque l’absence d’un système de traçabilité des produits agricoles d’où des risques sanitaires importants sur le consommateur, notamment, avec la dégradation de la qualité des eaux et leur non-conformité aux normes.

Les travaux de contrôle ont démontré également l’absence d’une structure au sein des directions chargées du contrôle de la qualité des cultures dans ces périmètres ou la possibilité de l’usage de ces eaux dans l’irrigation des légumes.

L’ONAS, défaillant ” faute de moyens financiers “

Les stations d’épuration de l’ONAS ne sont conformes, ni aux normes internationales ni même aux normes tunisiennes, regrette Ridha Achour, membre de la Coalition des associations pour la protection du littoral de la Banlieue sud.

” L’office n’a jusqu’à ce jour introduit le traitement tertiaire (la dé phosphatation, la désinfection, la réduction de l’azote ammoniacal ou encore la réduction de l’azote total), qui permet d’avoir une qualité meilleure des eaux usées traitées destinées à l’irrigation “, a-t-il dit. Son argument est toujours le même : le manque des ressources financières, alors que des rapports de la Banque Mondiale montrent que l’ONAS a reçu des financements colossaux qui n’ont pas été investis comme il se doit.

Dans sa réplique, Mohamed Lotfi Dhaouadi, directeur à l’ONAS, a expliqué que ” le problème ne se pose pas au niveau de la qualité des eaux traitées ou les analyses réalisées par l’Office, mais au niveau des stations d’épuration de l’ONAS qui souffrent de problèmes structurels en plus du coût très cher d’un traitement plus avancé “.

D’après lui, une bonne évaluation de la qualité des eaux usées n’est pas possible, parce que la norme régissant les eaux usées traitées est, elle-même très ancienne (elle date de 1989), soit avant même la construction de la deuxième génération des stations (à partir des années 70).

Dhaouadi a annoncé, par ailleurs, que la 3ème génération des stations sera équipée du traitement tertiaire qui est devenue la préoccupation de l’ONAS, et ce dans le cadre d’un programme avec les bailleurs de fonds internationaux visant l’extension et la réhabilitation de 58 stations avec une enveloppe de 1,100 milliard de dinars, d’ici 2030.

Le département de l’Agriculture a mis en place, depuis deux ans, des stations de filtration complémentaires à Médenine et à Ouardanine (depuis 10 ans) pour améliorer la qualité de ces eaux. L’objectif recherché est de réduire les matières en suspension et les microbes, en attendant l’introduction du traitement tertiaire par l’ONAS.

L’ONAS, rappelle-t-on, prévoit la réalisation de nouvelles stations à Gafsa, Sidi Amor (gouvernorat de Manouba) et à El Hamma (Gabès) et aussi à Msaken.