Tunisie – Gouvernement : Haro sur les binationaux!

gov-chahed-tunisie.jpgDes voix de plus en plus nombreuses, parmi les intellectuels, magistrats et autres cadres du pays, commencent a s’élever pour déplorer, haut et fort, le mauvais rendement des ministres binationaux et recommander vivement aux décideurs, particulierement au nouveau chef du gouvernement, de ne plus compter sur eux.

Le plus récent appel lancé à cette fin a été celui de Kalthoum Kennou, figure de proue de l’opposition des magistrats au temps de Ben Ali, et ancienne présidente de l’Association des magistrats de Tunisie et candidate malheureuse à la présidentielle de 2014.

Appel pour l’écartement des binationaux

Dans une lettre ouverte au chef du gouvernement désigné, Youssef Chahed, elle estime que «les personnalités politiques ayant une double nationalité ne doivent pas faire partie du nouveau gouvernement d’union nationale», et l’a appelé à ce que la formation de son équipe gouvernementale ne compte pas des ministres binationaux.

Avant elle, dans une interview au journal «Le Temps», l’universitaire et écrivaine Olfa Youssef s’est clairement prononcée contre l’exercice de la politique par les binationaux dans leur pays d’origine. Elle a notamment déclaré que le fait que beaucoup de binationaux aient accédé à des postes politiques en Tunisie après la révolte du 14 janvier 2011 n’est pas le fruit du hasard. «Que fera un binational exerçant la politique en cas de conflit d’intérêt?», s’est-elle ensuite interrogée.

Safi Said, journaliste et écrivain, s’est prononcé à son tour, lors d’une émission télévisée sur la chaîne El Hiwar Ettounsi contre la nomination de binationaux à la tête de départements ministériels relevant que «tout projet de leur écartement ne ferait que du bien à la Tunisie».

Ahlem Hachicha Chaker a réagi à «ces campagnes de dénigrement contre les Tunisiens ayant fait leurs études à l’étranger, ou ayant travaillé à l’étranger, ou encore portant une double nationalité», qualifiant «d’abominables» ces campagnes. La remise en question de leur patriotisme et de leur loyauté envers le pays est inadmissible, a-t-elle dit avant d’ajouter: «Les personnes qui portent ce discours devraient se poser sur leur sens de la citoyenneté. Et se souvenir que personne ne leur a délégué l’autorité d’en juger».

Par-delà les points de vue des uns et des autres, certains affirment que les binationaux –ou du moins la plupart d’entre eux- ayant débarqué en Tunisie après le 14 janvier 2011 et ayant occupé des postes ministériels, ont échoué. 

Pour mémoire, au lendemain du soulèvement du 14 janvier 2011, le Premier ministre de l’époque, Mohamed Ghannouchi, avait demandé à un Franco-tunisien de lui recommander quelques noms aux fins de créer un choc psychologique après la révolte, épater les Tunisiens et leur promettre que leur économie va connaître des jours meilleurs. C’est de la sorte qu’une dizaine d’éminences grises binationales avaient accepté de retourner au bercail…

Si on évalue objectivement le passage de ces ministres binationaux, on ne peut pas s’interdire de le qualifier de «catastrophique» en termes de rendement pour le pays. D’ailleurs, il ne figure aucun binational dans le nouveau gouvernement d’union nationale, à notre connaissance. Preuve peut-être que Youssef Chahed a bien entendu les différents appels lancés en ce sens ici et là.

Le problème desbinationauxn’est pas propre à la Tunisie

Il faut reconnaître, toutefois, que cette problématique des binationaux exposés au risque de conflit d’intérêt n’est pas propre à la Tunisie. Nos voisins algériens ont eu à en débattre longuement au début du mois de janvier 2016, à l’occasion de l’adoption dans la Constitution d’un article (art.51) interdisant à tous les détenteurs de la double nationalité, les binationaux, l’accès aux hautes fonctions de l’Etat. «La nationalité algérienne exclusive est requise pour l’accès aux hautes responsabilités de l’Etat et aux fonctions politiques», lit-on dans l’article non amendé.

Face à l’ire suscitée par cette première version de l’article, les Algériens ont opté pour un compromis, celui de ne faire accéder aux binationaux qu’à des hautes fonctions bien déterminées.

Cela pour dire que les binationaux posent problème pratiquement partout. Abstraction faite de leur double nationalité, le fait est là: ils sont dans ce qu’ils donnent à leur pays. Et jusqu’à preuve du contraire, ils ne donnent rien ou presque.