Développement : Les économies africaines à l’épreuve de la compétitivité

A la faveur de la publication du Rapport sur la Compétitivité en Afrique (RCA) par la BAD, Audrey Verdier-Chouchane, économiste de recherche en chef dans la Division de la recherche du Département de la Recherche sur le Développement, a accepté de répondre à nos questions sur ce que révèle ce rapport, les solutions qu’il préconise pour le développement des économies du continent africain, etc.

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WMC: Le rapport 2015 est réalisé, outre ses éditeurs habituels*, avec le concours de l’OCDE. Devient-il désormais le Monitor, par excellence, des IDE pour l’Afrique?

Audrey Verdier-Chouchane: Depuis sa première édition en 2007, le Rapport sur la Compétitivité en Afrique (RCA) est coordonné par le Forum économique mondial qui demeurera le partenaire leader car le RCA s’appuie sur une de leur publication phare, le Rapport sur la Compétitivité dans le monde.

Le RCA bénéficie ensuite de l’expertise d’institutions comme la Banque africaine de développement qui proposent une contribution sur un thème d’intérêt pour les économies africaines. Le Rapport a toujours connu un grand succès et une grande crédibilité auprès de tous les investisseurs, qu’ils viennent des pays de l’OCDE, du continent africain ou des pays émergents.

Pour l’édition 2015, l’OCDE a rejoint le groupe des partenaires car leurs travaux sur les chaînes de valeur représentaient une importance particulière pour les économies africaines. Dans la deuxième partie du RCA intitulée «transformer les économies africaines», chacune des institutions partenaires (la BAD, la Banque mondiale et l’OCDE) a rédigé un chapitre. La BAD a produit le chapitre sur la transformation de l’agriculture, la Banque mondiale a écrit celui sur les services au commerce et l’OCDE, sur les chaînes de valeur mondiales. Le Rapport, validé par 4 organisations internationales de renom, reste une référence mondiale en matière de compétitivité. Il s’adresse aux investisseurs mais également aux acteurs nationaux en mettant en avant leurs faiblesses et les réformes à mettre en œuvre pour accroitre leur compétitivité.

René Dumont disait “l’Afrique est mal partie“. Le rapport ne dit-il pas qu’elle est mal en point?

La thèse de René Dumont date de 1962, à la sortie des indépendances. Plus de cinquante ans plus tard, les 54 pays du continent ont parcouru beaucoup de chemin et l’afro-pessimisme a disparu. Au contraire, le Rapport met en avant les champions de la compétitivité, la résilience des économies et les forts taux de croissance économique que certains pays affichent depuis plusieurs années.

En matière de compétitivité, certains pays d’Afrique font très bien (Maurice, Afrique du Sud, Rwanda) et d’autres démontrent qu’il est possible de gagner plusieurs rangs dans le classement mondial en seulement une année (Côte d’Ivoire, Ethiopie). Ces bonnes nouvelles devraient faire naître un vent d’optimisme sur le continent.

S’il est vrai que le RCA montre que le défi de la compétitivité est important et que plusieurs pays africains sont encore dans le bas du classement, il met en avant l’énorme potentiel encore inexploité. Le RCA plaide pour l’amélioration du climat des affaires et la transformation structurelle des économies. En d’autres termes, si les pays réussissent à développer leur secteur industriel, notamment agro-alimentaire, sur la base des matières premières qu’ils produisent, ils gagneront rapidement le haut du classement.

Le tiercé Rwanda, Zimbabwe et les iles Maurice[CA1] , émerge. Le gros du bataillon vit sur une productivité moyenne-basse. C’est de là qu’est venu le mot d’ordre de cette année: “Transformons les économies africaines“?

Le mot d’ordre de cette année «transformons les économies africaines» vient en effet du constat que beaucoup de pays vivent d’une agriculture peu productive, souvent insuffisante pour couvrir les besoins alimentaires au niveau national et qu’ils exportent leurs matières premières sans les avoir transformées.

Il faudrait qu’ils ajoutent de la valeur à leurs produits comme par exemple, qu’ils transforment le cacao en chocolat ou qu’ils exportent l’huile d’olive en bouteilles et non en vrac. Ce n’est pas normal que les pays africains riches en ressources naturelles ne valorisent pas leurs richesses pour améliorer les conditions de vie des populations, pour créer des emplois et accroitre leur PIB par tête.

Les chaînes de valeur, qu’elles soient régionales ou mondiales, offrent la possibilité aux pays de transformer leurs produits sans pour autant détenir toute la chaîne de transformation au niveau national mais seulement les maillons les plus compétitifs. Les gains en termes de compétitivité, de développement des compétences et de diversification des exportations sont très importants.

Une fois transformés, ces produits sont exportés et le RCA met le doigt sur les services au commerce comme un secteur clé de facilitation des exportations de biens et de services.

L’Afrique du Nord, de la Mauritanie à l’Egypte, ne performe pas. Quels sont selon vous les obstacles à une plus forte productivité?

En ce qui concerne l’Afrique du Nord, nous ne pouvons pas généraliser car l’écart est très important entre le Maroc (classé 42ème mondial) et la Mauritanie (classée 138ème sur 140 pays considérés).

Dans les discussions de l’atelier, les participants ont souvent évoqué trois facteurs de blocage à une plus forte productivité.

Le premier obstacle renvoie à la question de l’employabilité de la main d’œuvre et à l’inadéquation entre l’offre et la demande de travail du fait d’un système éducatif et de formation inadapté aux besoins.

Le second obstacle fait référence au manque d’écosystème industriel avec des infrastructures adéquates et des règlementations flexibles. Le troisième point est lié au rôle défaillant de l’Etat qui n’offre pas des services publics performants et n’assure pas l’application des textes de lois existants. Ces trois facteurs freinent aussi bien le développement du secteur privé que l’amélioration de la compétitivité dans la région.

Le rapport évoque “les meilleures options pour améliorer la compétitivité“. Il recommande d’aller vers plus de concurrence au plan intérieur, et d’accélérer les échanges entre Etats. Est-ce suffisant?

Ces options sont des conditions nécessaires à l’amélioration de la compétitivité même si elles ne sont pas suffisantes. Lors de l’atelier du 9 mars, les participants d’Afrique du Nord ont pointé du doigt le problème des monopoles d’Etat et des autorités de tutelle qui fixent les prix, subventionnent certains produits et empêchent tout concurrent d’entrer dans certains secteurs sur-réglementés.

Qu’il s’agisse du marché des biens et des services, du marché du travail ou du marché financier, les économies d‘Afrique du Nord sont verrouillées par un système public trop protecteur et peu efficace.

Autre constat de taille, les échanges commerciaux entre pays nord-africains sont insignifiants  il s’agit de la région la moins intégrée du continent après l’Afrique centrale. Cette non-intégration représente un coût économique et un coût d’opportunité en termes de création d’emplois et de transfert de technologies.

En d’autres termes, l’ouverture à plus de concurrence et à plus d’échanges extérieurs représente une nécessité pour la compétitivité des pays nord-africains, un préalable à l’efficacité d’autres mesures.

Les débats devaient aboutir à dégager trois principales actions pour constituer une feuille de route. Lesquelles?  

En Afrique du Nord, les recommandations ont porté, outre la promotion de la concurrence, l’intégration des pays dans les chaînes de valeurs et l’ouverture des marchés, sur le renforcement de la transparence et de la bonne gouvernance.

Les participants ont mis en avant le rôle indispensable de l’Etat pour réduire la bureaucratie administrative, investir dans la R&D et l’innovation et offrir des services publics de qualité et des plateformes logistiques adaptées aux exigences des entreprises, notamment exportatrices.

Ils ont également souligné l’intérêt de consulter et d’impliquer fortement le secteur privé dans la définition de toutes les stratégies sectorielles et des cursus scolaires et universitaires.

Le rapport a été examiné dans trois ateliers francophones de dissémination, soit au Congo[CA2] , en Tunisie et en Côte d’Ivoire[CA3] . Les recommandations se rapprochent-elles?

Avec l’édition 2015, le Rapport sur la Compétitivité en Afrique est pour la première fois disséminé dans les pays d’Afrique francophones, d’abord à Kinshasa en République Démocratique du Congo lors de la Conférence économique africaine de novembre 2015 puis à Tunis et prochainement à Abidjan dans le cadre d’ateliers régionaux.

Néanmoins, l’édition 2015 a également été disséminée dans les pays anglophones, au Cap en Afrique du Sud, à Kigali au Rwanda et prochainement au Nigeria. Quelle que soit la langue, les recommandations diffèrent car les problématiques ne sont pas les mêmes. Par exemple, lors de l’atelier de Kigali, les participants ont fait des recommandations pour le secteur du tourisme qui est en plein essor au Rwanda et pour la facilitation des visas et l’alignement des politiques nationales de voyage alors que l’intégration régionale au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est est déjà très avancée.

Dans les pays comme la République Démocratique du Congo, les fondamentaux de la compétitivité (institutions, infrastructure, environnement macroéconomique, santé et enseignement primaire) doivent être mis en place et les recommandations sont encore différentes.

La BAD poursuit son appui au secteur privé sur le continent. Quelles seraient ses perspectives d’intervention pour l’avenir?

L’Afrique du Nord a bénéficié d’environ un tiers des approbations de la BAD entre 1963 et 2014, soit près de 27 milliards de dollars. La BAD soutient le secteur privé à travers ses guichets public et privé, elle s’est engagée à renforcer la compétitivité en améliorant le climat des affaires, les infrastructures et en soutenant le développement des entreprises privées.

A l’avenir, la BAD compte consolider ses actions en adoptant une approche sectorielle en Afrique du Nord et en identifiant les secteurs sont le potentiel est très important pour la création d’emplois, le transfert de technologie, la valorisation des ressources locales. L’un des meilleurs exemples est celui du secteur des énergies renouvelables. Au Maroc par exemple, le développement de ce secteur a sorti le pays de sa dépendance énergétique et créé de nombreux emplois.