Iran – Monde arabe : Des relations orageuses

iran-monde-arabe-2015.jpgLa volonté de puissance poursuivie par l’Iran n’est-elle pas un plan pour dominer la région du Moyen-Orient? L’Iran met-il en péril la sécurité du monde arabe? Prémices d’une confrontation?

L’incident est tout particulier et de ce fait nous l’évoquons. Il ne s’agit pas de le monter en épingle mais de le restituer comme un élément de débat politique, de premier plan. Cela s’est produit lors du rendez-vous de ce 29 avril aux “mercredis du CERES“.

Le thème du jour portait sur les moyens d’une stratégie nationale pour la lutte contre le terrorisme et la contrebande. Hatem Ben Salem, ancien diplomate, panéliste, a débordé le cadre des Etats pour se pencher sur la situation globale du monde arabe.

Aux prises avec une situation chaotique, durement secoué par le terrorisme, challengé de toutes parts, le monde arabe doit aussi faire face à la volonté d’hégémonie sur la région de la part de l’Iran dont il y a tout à craindre. L’ambassadeur de la République islamique d’Iran, invité mais non panéliste, a usé de son droit de réponse séance tenante. Il a soutenu que le monde arabe n’existe pas comme entité politique homogène. Et d’ajouter que le monde arabe est traversé par des rivalités nationalistes, qu’il ne dispose pas d’un socle de valeurs commun. Le seul identifiant partagé serait l’hospitalité à l’adresse des visiteurs. Ce jour-là, l’échange entre diplomates ne s’est pas déroulé de manière feutré, mais électrique. Et, d’ailleurs, l’ambassadeur s’est retiré et n’a pas attendu la réponse du ministre.

Le printemps arabe, un levier pour activer l’implosion du monde arabe?

Dans une vie antérieure, le monde arabe vivait dans une stabilité, relative mais acquise. Cette stabilité était garante d’une certaine immunité et d’une certaine capacité de défense. Et même si les pays arabes ne formaient pas un bloc uni, il existait une forme d’homogénéité. Les révolutions ont totalement fragmenté ce semblant de front et les rivalités entre Etats se font jour. Pire que tout, le monde arabe se trouve encerclé de toutes parts, ce qui accentue son risque d’implosion. Il est assiégé sur tous les fronts. Au Nord, la forteresse européenne est hermétique. Sur le flanc Est, asiatique, le voisinage immédiat, la Turquie et l’Iran sont hostiles. Et sur le flanc Sud, l’Afrique saharienne se démarque en bloc. Le monde arabe se trouve émietté et cerné.

Quelles menaces précises pèsent-elles sur son intégrité? Et quel est le degré de gravité de cette menace?

Iran, plus redoutable qu’Israël pour la sécurité du monde arabe

Serein, mais le propos grave Hatem Ben Salem est revenu sur la menace capitale qui pèse sur le devenir du monde arabe. Au bout du compte, le monde arabe a fini par s’accommoder de l’existence de l’Etat d’Israël dont la menace militaire est momentanément contenue. Il faut reconnaître que la normalisation avec l’Egypte et la Jordanie ont beaucoup aidé à atténuer cette menace.

Cependant, deux Etats tiers jouent un rôle autrement plus agressif et plus sournois. La Turquie servirait de miroir aux alouettes, avec un effet vitrine factice d’un Islam politique qui résiste à l’épreuve du pouvoir. Il s’agirait, grâce à cet effet vitrine, de banaliser le retour des partis islamistes à la barre. Mais c’est de l’Iran que vient la menace la plus virulente qui affecterait la société musulmane dans ses structures profondes. Ce travail de déstabilisation, sous forme de séisme politique, intervient à un moment où DAECH étend son influence dans la région. Point d’orgue, Daech se profile désormais comme un alter Etat et se présente comme un régime qui peut venir en lieu et place des régimes démocratiques qui peinent à s’imposer, essoufflés qu’ils sont d’une transition tumultueuse.

Et le tour est joué. Le monde arabe se trouve dans l’œil du cyclone. Le développement économique, carence fatale des anciens régimes, est un objectif déclassé. La priorité revient à la lutte contre le terrorisme qui engloutit des sommes colossales. Le ministre chiffre les dépenses militaires globales et de sécurité à 186 milliards de dollars. Et c’est en passe de grimper à 920 milliards de dollars dans les prochaines années. Et c’est peut-être cette course à la sécurité qui pourrait précipiter ce qui reste d’espoir de démocratisation et d’unité.

La seule valeur arabe, l’hospitalité avec les visiteurs?

L’on ne s’explique pas la présence de l’ambassadeur iranien à cette manifestation. Qu’importe, il a bien usé de son droit de réponse. Il a dit, en substance, que l’unité du monde arabe n’était en réalité qu’un mirage et que les pays arabes ne s’entendent pas autour d’un socle de valeurs communes et qu’ils s’engagent plutôt dans des rapports de rivalité et d’antagonisme. Laissait-il sous-entendre que les timides mais significatives percées démocratiques tunisienne et égyptienne ne parviendraient pas à transformer la réalité politique du monde arabe? On peut le penser surtout qu’avec un certain sarcasme, l’ambassadeur a rajouté que le seul trait commun aux Arabes restait l’hospitalité avec leurs visiteurs.

Le constat lucide de Hatem Ben Salem

L’analyse de l’ancien ministre ne manque pas de rigueur. Il est vrai qu’en matière de danger militaire, Israël se trouve bloqué dans les cordes par l’autorité palestinienne qui a ramené le conflit à une issue rationnelle: la terre contre la paix. Cela écarte le retour au sentier de la guerre. Dans ce sillage, l’obstination iranienne à toujours mettre en avant la menace militaire de l’Etat sioniste tend à présenter Israël comme un épouvantail pour faire peur aux Arabes, sans y parvenir.

Le programme nucléaire iranien ne peut pas inquiéter Israël, à double titre. Le premier est qu’il s’agit d’une puissance nucléaire, ainsi que l’affirment beaucoup d’experts. Le second est qu’Israël serait sous la protection du bouclier nucléaire américain. Israël est-il de mèche avec l’Iran? A trop crier au loup quand il s’agit du programme nucléaire iranien cherche-t-il à dissimuler que serait, en fin de compte, utilisé contre les pays arabes? Cette piste, il faut le rappeler, a été évoquée par des parties saoudiennes, qu’importe.

Qui pouvait imaginer que dix pays arabes pouvaient coaliser pour attaquer militairement le Yémen? Et dans cette guerre, il n’a pas été caché que le Yémen, via la progression du mouvement des houthis, sert les intérêts de l’Iran. Cet élément d’actualité vient conforter la thèse de Hatem Ben Salem. Et il faut signaler que cette coalition a reçu l’aide américaine, ce qui apporte encore de l’eau à son moulin.