Tunisie – Elections : Faut-il craindre le syndrome de 2011?

Par : Autres

Même avec l’invalidation par l’ISIE de 192 listes aux élections législatives du 26 octobre prochain, il en reste quand même 1.316 qui vont concourir pour la prochaine consultation électorale. Pour un pays de 5,3 millions d’électeurs inscrits, c’en est vraiment trop. Si, en octobre 2011, alors qu’on on était en plein remodelage de la scène politique, le nombre de listes présentées, plus de 1.600, était normal, pour les élections de l’ARP (Assemblée des Représentants du peuple), on aurait dû s’attendre à une «normalisation» de la vie politique avec beaucoup moins de listes et de candidats.

isie2014-elections-01.jpgMais ce qui ne semble pas normal du tout, c’est la profusion cette fois encore des listes indépendantes. Avec plus de 190 partis légalisés et s’agissant d’un mode de scrutin de liste qui favorise les partis, il était plus logique que le nombre de listes indépendantes fut réduit à sa plus simple expression.

La proportion des listes indépendantes est passée d’un rapport 40/60 en 2011 à 27/73 en 2014, mais cela n’est guère significatif. Car si on soustrait les listes appartenant aux partis qui comptent dans le paysage politique et qui sont entre 15 et 20 tout au plus, soit autour de 600 listes, on est dans la même configuration que pour les élections de l’ANC en 2011.

Donc, de ce point de vue, on peut dire, sans se tromper, en ce qui concerne la motivation, ayant conduit à la création du parti Nidaa Tounès pour équilibrer le paysage politique, basée sur le calcul des deux fois 1,5 million de voix, ayant offert le pouvoir aux islamistes, d’un côté, avec plus de 40% en gain de sièges, tout en en privant l’autre de la moindre représentation, que c’est raté.

“Ce qui saute aux yeux, c’est que dans les circonscriptions où la contestation contre les gouvernements de la Troïka fut la plus vive…, le nombre des listes est le plus élevé, exception faite des circonscriptions du Grand Tunis”.

Ce qui saute aux yeux, c’est que dans les circonscriptions où la contestation contre les gouvernements de la Troïka fut la plus vive, particulièrement les gouvernorats du Sud-ouest, du Centre et du Centre-ouest, à savoir Gafsa, Kasserine Sidi Bouzid et Siliana, mais aussi ceux du Nord-ouest (Jendouba et Béja), le nombre des listes, tous genres confondus, est le plus élevé, exception faite des circonscriptions du Grand Tunis, la zone la plus peuplée du pays. A contrario, le Sud-est, fief des islamistes, enregistre un nombre moindre de listes. Il en est ainsi de Gabès, Médenine, Kébili, Tozeur et Tataouine. A se demander si certains promoteurs de listes n’ont pas été encouragés à présenter les leurs dans les gouvernorats à problèmes (pour les islamistes, s’entend), en leur miroitant un soutien pour gagner et en les alléchant par un financement public conséquent (entre 6.000 et 9.000 dinars par liste, soit le double par rapport à la précédente élection).

On a quasiment la conviction que c’est fait délibérément. Ce qui n’est guère paradoxal, car chaque voix, obtenue par les listes indépendantes et des petits partis n’ayant d’existence que sur le papier, va indirectement dans l’escarcelle des islamistes, qui feraient de toute façon le plein des voix de leurs affidés, disciplinés à souhait. Les suffrages totalisés devraient être logiquement soustraits aux partis dits démocratiques et de gauche.

«Voter utile» serait, à n’en point douter, le mot d’ordre de ces élections, particulièrement pour les deux partis dominant la scène politique, à savoir Ennahdha et Nidaa. Ces deux partis sont porteurs de deux projets de société antinomiques. Le premier est d’essence religieuse cherchant à ancrer la Tunisie dans son identité arabo-musulmane voire à l’islamiser.

“La bipolarisation de la scène politique est indubitable dans ces conditions. Le choix pénaliserait les autres partis qui ont l’air de compter dans le paysage politique”

Le deuxième est de portée moderniste appuyé sur le mouvement réformiste tunisien dès la fin du 19ème siècle et fondé sur les acquis de l’Etat de l’indépendance. Leur alliance paraît de prime abord contre nature.

La bipolarisation de la scène politique est indubitable dans ces conditions. Le choix pénaliserait les autres partis qui ont l’air de compter dans le paysage politique. Entre les islamistes et le nidaistes, ce serait le combat des titans. A la limite, le Front populaire, qui présente un modèle de société différent, mâtiné de gauchisme marxiste-léniniste tout autant que de panarabisme qui attire notamment la jeunesse, pourrait-il tirer son épingle du jeu?

“Il y a lieu d’être sceptiques car le mode de scrutin choisi, et Ennahdha, dominant à l’ANC…, favorise les grands partis”.

Dans tous les cas, toutes les conditions du «syndrome» du 23 octobre sont réunies. Mais la scène politique étant différente, les acteurs sur le terrain réussiraient-ils à faire en sorte que ses résultats ne se reproduisent pas? Car les mêmes causes produisent les mêmes effets. Il y a lieu d’être sceptiques car le mode de scrutin choisi, et Ennahdha, dominant à l’ANC, a mis tout son poids pour obtenir que ce soit ainsi devant une classe politique qui s’est laissé faire, favorise les grands partis. Mais avec la profusion de listes, ce sont les grands partis, dont l’électorat est discipliné -et le parti islamiste en est un- qui sont encore plus favorisés.

Nidaa Tounès sort du choix des listes particulièrement affecté plus qu’Ennahdha qui a vu pourtant certains des siens faire dissidence, ce qui est nouveau. Le parti de Béji Caïd Essebsi pourra-t-il amortir le coup, maintenant que même son chef est contesté dans sa volonté de se présenter à l’élection présidentielle (la lettre d’Omar S’habou à BCE en fait foi)? La vigilance serait de mise de part et d’autre.

“… Ennahdha plus consensuel que l’appelle de ses vœux. Nidaa ne veut pas en entendre parler pour ne pas effaroucher son électorat foncièrement anti-islamiste”.

Mais d’ores et déjà, on parle du «gouverner ensemble» entre ces deux grands partis appelés à se partager le pouvoir. Ennahdha plus consensuel que l’appelle de ses vœux. Nidaa ne veut pas en entendre parler pour ne pas effaroucher son électorat foncièrement anti-islamiste.

Dans une interview à un journal de la place, Jens Plötner l’ancien ambassadeur allemand à Tunis et directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères à Berlin, parle, lui, de son souhait de voir s’installer à Tunis après les élections un «gouvernement d’entente nationale».

L’Algérie plaiderait pour le même objectif et l’aurait fait auprès de Rached Ghannouchi, le chef des islamistes lors de sa récente visite en Algérie.

Serait-ce le choix des puissances mondiales et régionales? Avec en point d’orgue que le parti islamiste serait moins nocif à l’intérieur du pouvoir qu’en dehors de celui-ci.