Tunisie – Kamel Ben Nacer : «Veillons à ce que la pression sociale ne casse pas le fil fragile du tissu industriel» (PARTIE I)

«Ya Jabal May yhiddak Rih» (Oh Montagne, aussi puissante soit-elle, la force du vent ne pourrait t’atteindre). Cet aphorisme que ne cessait de répéter à longueur de discours et de déclarations feu Yasser Arafat, le grand leader palestinien, s’applique parfaitement sur notre ministre de l’Industrie, Kamel Ben Nacer. Un enfant de Gafsa appelé comme tous ses collègues à assurer l’opération «Sauvetage et relance de l’économie tunisienne» et qui a été confronté, dès son entrée en fonction, à nombre de problèmes plus compliqués les uns que les autres.

Comment désamorcer les mines anti-personnelles du mécontentement, de la colère et des grèves dans les zones industrialisées en Tunisie, allant de Ben Arous au Sud, en passant par l’une des régions les plus complexes historiquement, celle du bassin minier sise dans sa ville natale: Gafsa?

Comment convaincre certains insurgés «structurels» qu’il y a des moyens de protestation autres que les sit-in, les grèves ou l’usage de la force pour empêcher la production du phosphate ou son transport?

Réceptif, optimiste, calme et serein, Kamel Ben Nacer est ouvert à toutes les propositions réalistes et à toutes les négociations constructives. En témoigne sa toute récente visite à Tataouine où il a pu, en concertation avec les partenaires sociaux et les représentants de la société civile, arriver à un accord de report d’une grève annoncée. Il reste toutefois ferme dès qu’il s’agit des hauts intérêts de l’Etat et celui de son secteur: l’industrie.

Entretien

kamel-ben-naceur-m-industrie.jpgWMC : Monsieur le ministre, nous avons, ces derniers temps, à maintes reprises entendu parler d’une situation économique critique. Ne pensez-vous pas que c’est un message négatif qui risque de porter atteinte à l’image de la Tunisie à l’international?

Kamel Ben Nacer: Je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce que vous venez de dire. Il est vrai que vis-à-vis de l’extérieur, nous devons envoyer des messages positifs, mais à nos compatriotes, nous avons le devoir de dire les choses comme elles sont. Nos messages doivent refléter la réalité des choses. Il faut qu’ils sachent que nous traversons des difficultés et que nous devons travailler ensemble à trouver les solutions adéquates. Nous devons surmonter ensemble les obstacles. A lui seul, l’Etat ne peut pas tout faire.

Je pense qu’il est très important que les messages soient différenciés. Nous n’allons pas dépeindre la vie en rose pour tous. Il y a un message pour les personnes de l’extérieur et un autre pour ceux de l’intérieur.

Devons-nous comprendre que les nouvelles sont réellement mauvaises pour notre économie?

Bien sûr que non. Rien que le fait que les Etats-Unis aient levé l’avertissement aux voyageurs américains sur la destination Tunisie doit être considéré comme un signal très positif pour nous.

A l’échelle nationale, les bonnes nouvelles affluent. Et là, je parle de secteurs stratégiques tels que le phosphate -dont la production reprend sérieusement. Une amélioration nette a été perçue par notre ministère. Les trois unités de production de l’usine du Groupe chimique tunisien (GCT) à Mdhilla ont repris leur rythme presque normal et le transport recommence sur des secteurs qui étaient fermés.

En matière de production, les meilleures performances depuis 3 ans ont été réalisées au mois de mars. Mais nous restons mécontents de ces résultats. Les gens de la région le sont aussi parce qu’ils savent qu’ils peuvent aller encore plus loin et réaliser de meilleures performances.

Personnellement, j’espère que d’ici la fin de l’année nous aurons un meilleur rendu. Le mois d’avril est meilleur. Si nous travaillons de concert, nous aurons la vie sauve. Il ne s’agit pas d’un simple problème de santé mais nos unités sont en soins intensifs.

Mon souhait est qu’on me dise dans trois jours que nous avons réalisé 20% de production de plus. Je remercie, à l’occasion, les employés de la compagnie qui donnent beaucoup d’eux-mêmes, les conducteurs de trains de la SNCFT et les camionneurs qui assurent le transport. Tout ce beau monde est mobilisé pour que le process de production, de transport et de traitement du phosphate soit assuré dans ses moindres détails et aboutisse aux meilleurs résultats.

Qu’est-ce qui rend la problématique du bassin minier si difficile à résoudre et pas uniquement pour ce gouvernement mais pour tous ceux qui l’ont précédé?

La raison la plus importante est que toute la population n’a d’yeux que pour la CPG et le phosphate. C’est ce qui nous encourage à lancer au plus tôt l’unité de production d’El Mdhilla 2, et réfléchir sérieusement au projet de développement intégré du gouvernorat de Gafsa.

Mdhilla 2 est extrêmement importante. Elle emploiera 600 personnes de la région et allègera le poids de l’emploi sur la MPK que tout le monde souhaite voir fermer à cause de ses conséquences environnementales sur la ville de Sfax. Plus vite El Mdhilla 2 démarrera, plus vite ces problèmes seront résolus. Nous accusons déjà une année et demie de retard. Les mouvements sociaux ne nous facilitent pas la tâche. Il y a eu des personnes qui ont bloqué le démarrage du projet. Aujourd’hui, il y a une reprise mais jusqu’à quand. Les raisons sont liées bien évidement au chômage et à l’emploi mais qui pourrait être embauché si le projet est assiégé dès les premières phases de sa réalisation?

Que faites-vous pour convaincre les protestataires d’adopter une démarche plus positive dans le traitement des problèmes de chômage ou de «marginalisation», ce que tout le monde se plait à répéter à longueur de jours, de mois et d’années?

Nous sommes dans la logique des échanges constructifs, pas celle du laisser aller. Nous voulons allier ouverture et dialogue à fermeté et démarches rationnelles et réalistes. Nous avons essayé de convaincre les contestataires qu’il existe des règles et des procédures en matière de recrutement et que rien ne se fait à l’avantage des uns et aux dépens des autres.

Nous avons organisé une série de réunions avec les différentes parties et nous avons trouvé des solutions. Le hic, c’est qu’à chaque fois qu’un accord est conclu et que nous avançons sur les solutions, de nouvelles revendications apparaissent. Conséquence: nous sommes rentrés dans une logique de surenchères néfaste pour la région et le pays. Et à un certain moment, ces pratiques doivent s’arrêter car il y a risque que les contracteurs finissent par rompre le contrat avec l’Etat pour cas de force majeure. Cela se traduit sur terrain par la perte de sommes colossales assumées par le contribuable et l’Etat.

En tant que ministre, j’ai le devoir de préserver l’argent public, et en accord avec les autorités locales, nous essayons toujours de trouver les solutions adéquates pour faire aboutir les projets en cours, d’autant plus que budgétisés …

Nous avons entendu dire que le groupe Chaïbi compte se retirer de Gafsa alors qu’il a fait preuve de courage en s’y implantant et en y développant de l’agroalimentaire, je parle-là de la plantation de milliers d’oliviers et de la production et traitement de l’huile d’olive.

Je tiens d’abord à saluer les efforts de monsieur Taoufik Chaïbi, pour les efforts qu’il a déployés dans la région. Parce que lancer un projet pour la production de l’huile d’olive à Gafsa est quelque chose de très important. Il a mis en application une nouvelle méthode d’exploitation. On plante les pieds d’olivier qui poussent à grande vitesse avec des densités supérieures.Les mouvements sociaux l’ont apparemment indisposé.

J’estime qu’il faut une prise de conscience nationale des conséquences des mouvements sociaux sauvages sur l’économie. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être dans la logique du «si je n’y suis pas, personne ne peut y être», mais plutôt de comment «pourrais-je être un acteur de développement dans ma région et par quels moyens». Car à ce train-là, il y a un risque de rupture et de déliquescence totale du tissu économique.

Si le fil casse, il n’y a plus de marche arrière. Nous devons veiller à ce que la pression sociale ne casse pas le fil fragile du secteur industriel. Nous avons vécu cela avec plusieurs entreprises qui ont fermé leurs portes. L’exemple le plus édifiant est celui de JAL Group à Menzel Bourguiba.

L’UGTT est consciente des enjeux et travaille avec nous sur l’amélioration du climat social. Maintenant il y a cette interface entre le sommet et la partie syndicale de base qui doit être renforcée. Nous avons démarré une série de rencontres avec l’UGTT pour discuter de la situation réelle du pays, des défis auxquels nous devons faire face ensemble et de la nécessité de rationaliser les exigences des uns et des autres et de temporiser les revendications.

Je pense que le message est passé. Les choses se sont calmées à Yazaki Gafsa. Malheureusement, il y a eu énormément de gâchis dans ce cas précis. Nous avons discuté, il y a quelques semaines, dans le cadre d’un conseil ministériel, du pôle technologique de Gafsa, nous voulons et nous tenons à y faire progresser les investissements mais cela ne peut se faire que dans le cadre d’une paix sociale.

(Partie II à suivre)