OPINION : Ces présidents qui se sont servis mais n’ont jamais servi la Tunisie

Une évidence : la Tunisie indépendante, un petit pays utile de 700 kms de long et de 300 kms de large, a eu et a encore tous les atouts pour se développer et devenir un jour une nation démocratique moderne. Le pays accuse, hélas, encore beaucoup de retard en la matière. Cela est imputable, en grande partie, à l’incompétence et à la mauvaise qualité de l’homme des présidents qui se sont relayés à la tête du pays.

Empressons-nous de nuancer et d’en excepter Bourguiba -qui compte à son actif des réformes courageuses. Mais, au final, le résultat est presque le même. Ces présidents, qui étaient tous malades, ont tous cultivé l’art de diviser le pays et sa population.

Zoom sur les dégâts occasionnés par ces présidents resquilleurs.

lespresidents-tunisiens.jpgPour revenir d’abord aux atouts de la Tunisie, il y a lieu de citer, au plan économique, la non dépendance de ressources naturelles, la diversification de sa base économique, le niveau d’instruction des Tunisiens, leur ouverture sur l’étranger, des frontières longues de 3.000 km non encore valorisées dont 1.300 km de côtes, un écosystème varié (forêt, Sahara, plaines, littoral, paysages lacustres…).

Autres avantages qualitatifs: l’homogénéité de son peuple (98% des Tunisiens sont des musulmans de rite malékite depuis plus de 14 siècles) et son pacifisme. Tout le long de leur histoire, les Tunisiens n’ont jamais été de grands révolutionnaires. Ils ont été tout juste des émeutiers et des révoltés. Ce qui leur a valu d’être facilement gouvernables.

Et pourtant, les quatre présidents qui ont gouverné le pays n’ont pas su mettre le pays sur une voie de développement pérenne, et partant, ont lamentablement échoué.

Et si la République, proclamée un certain 25 juillet 1957, résiste encore, elle le doit à ses braves travailleurs -agriculteurs et commerçants- qui ont cru en le savoir comme ascenseur social et ont permis à leurs enfants de faire des études et d’acquérir un savoir-faire qui sauve, aujourd’hui, le pays de la déliquescence que lui souhaitent ses hordes de religieux moyenâgeux qui font flèche de tout bois pour changer, par la violence, le modèle sociétal tunisien.

Bourguiba, un régionaliste

S’agissant de Habib Bourguiba, les Tunisiens, dans leur ensemble, lui sont reconnaissants pour ses audacieuses réformes qui ont permis l’émancipation de la femme, la généralisation de l’éducation des jeunes, la planification des naissances… Mais les Tunisiens de l’ouest et du sud retiendront surtout de lui qu’il a été «un mégalomane» et un «régionaliste».

A l’exception des premières années de son mandat où toute la Tunisie avait bénéficié, dans l’élan de l’indépendance, d’une amorce de développement, Bourguiba n’a fait que favoriser le développement du littoral au détriment de l’intérieur du pays.

Concrètement, il a orienté les investissements les plus lourds (universités, centres hospitalo-universitaires, zones industrielles, centrales électriques, unités hôtelières…) vers le littoral, et marginalisé, avec mépris, l’ouest et le sud du pays en entretenant leurs communautés par l’assistance sociale.

Bourguiba a connu trois importantes crises à l’issue de chacune il aurait dû abandonner le pouvoir. Il s’agit de l’échec du collectivisme (durant les années 60), les mouvements sociaux avec comme pointe la grève générale en 1978 et ses conséquences dramatiques, l’agression armée perpétrée en 1980 par des terroristes à la solde de Kadhafi contre la ville de Gafsa, et la révolte du pain en 1984.

Résultat : il a laissé un pays au bord de la banqueroute, ce qui a justifié le fameux Plan d’ajustement structurel (PAS) de 1986 et le putsch médical de Ben Ali et son corollaire, son emprisonnement, jusqu’au reste de ses jours, dans une petite villa à Monastir.

Ben Ali, le Kleptocrate

Quant à Ben Ali, ce policier cavaleur promu à la magistrature suprême, il s’est ingénié à faire de la Tunisie une prison à ciel ouvert en optant pour un système dictatorial fondé sur trois composantes majeures, selon la chercheuse française Béatrice Hiboux: le quadrillage de la population par deux institutions répressives (police + Parti, RCD), le verrouillage (interdiction de toute liberté d’expression, musellement de la presse) et le maquillage (manipulation des chiffres et statistiques…).

Ben Ali a eu le grand tort de n’avoir pas valorisé le préjugé favorable que lui avait accordé le peuple tunisien en 1987 et de n’avoir pas accompagné la répression des intégristes par des réformes devant favoriser, entre autres, l’équilibre régional et l’équité des chances en matière d’emploi.

Il a également eu tort de maintenir la paix sociale par des mécanismes à haut risque. Ainsi, il a encouragé, à tous les niveaux, la sous-traitance et son corollaire, la précarité de l’emploi. Il a institué, sans aucun discernement, des exonérations et incitations au profit des investisseurs étrangers, ce qui a valu à notre pays d’être classé parmi les “paradis fiscaux mafieux“. Il a bradé les entreprises publiques en les cédant à ses proches ou à des étrangers moyennant des commissions (cas de la cession des juteuses cimenteries du pays…).

Au plan qualitatif, Ben Ali et son entourage, en kleptocrates professionnels obsédés par l’enrichissement et le gain facile, ont tout fait pour que les gens ne pensent plus, ne réfléchissent plus et ne lisent plus. Il s’est ingénié à semer la discorde entre les Tunisiens, à pousser les corps professionnels à se méfier les uns des autres et à semer, via le football, la haine entre les grandes villes du pays.

Globalement, son règne a accentué la fracture entre l’est et l’ouest et permis l’émergence des premiers groupuscules terroristes des salafistes djihadistes avec point d’orgue, l’attentat perpétré à Djerba en 2002 et les confrontations avec les salafistes de Soliman en 2006.

Conséquence: Ben Ali ne pouvait pas continuer à gouverner. Face à la révolte des indignés et des marginalisés, d’abord à Redeif en 2008, ensuite à Sidi Bouzid et à Kasserine en 2010, il a dû fuir comme un rat et quitter le pouvoir dans des conditions indignes d’un homme d’Etat.

Foued Mbazaa

Le troisième président de la Tunisie fut Foued Mbazaa, qui a été désigné, au lendemain de la révolution du jasmin (14 janvier 2011), président de la République par intérim par le Conseil constitutionnel, en application de l’article 57 de la Constitution tunisienne.

Ce fonctionnaire bourgeois, qui s’est donné juste la peine de naître au regard d’une longue carrière, sans problème dans l’administration tunisienne, a eu le mérite d’avoir ratifié plusieurs décrets-lois dont ceux consacrant la liberté de presse (décrets-lois 115 et 116) et celui consacrant le droit de tout citoyen d’accéder à l’information administrative (décret-loi 41 du 26 janvier 2011).

Son mandat a duré moins d’une année et a été entaché par son acceptation de la rémunération du dictateur déchu (45.000 dinars par mois) alors que le pays était en pleine révolution.

Mohamed Moncef Marzouki, un éléphant dans un magasin de porcelaine

Vient ensuite l’imprévisible président provisoire, Mohamed Moncef Marzouki (MMM) qui a accédé à la magistrature suprême un certain 22 décembre 2011. Cet ancien “commerçant des droits de l’Homme“ s’est comporté, depuis deux ans, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.

Il s’est distingué par son rythme de vie dispendieux (coûteux voyages officiels sans aucun intérêt pour la Tunisie…) et surtout par ses multiples bourdes diplomatiques. Il ne rate aucune déclaration publique sans provoquer l’ire d’un pays et d’une frange de la population tunisienne.

Au plan diplomatique, il a provoqué les autorités algériennes en place en leur reprochant l’éviction des islamistes du pouvoir malgré leur victoire aux élections du début des années 80.

Il a commis une erreur fatale en coupant, unilatéralement, les relations avec la Syrie, mettant en danger la vie des membres de la colonie tunisienne dans ce pays.

Il a irrité les Egyptiens en condamnant la déposition par l’armée du président Morsi … Et la liste est loin d’être finie.

A l’intérieur du pays, MMM n’a pas osé pointer le nez en dehors de sa prison de luxe, le palais de Carthage. Et chaque fois qu’il l’a fait, il a été tout simplement “caillassé“ (cérémonie de la célébration, à Sidi Bouzid, du 2ème anniversaire du déclenchement de la révolution, entre autres).

Pis, ce président provisoire, prisonnier des nahdhaouis qui l’ont nommé, s’est employé avec ses sbires à semer la zizanie, lui aussi, entre les Tunisiens. Il a ainsi pris la défense des gourous d’Ennahdha et dérivés contre les laïcs et celles des niqabées contre les femmes non-voilées.

Dernière trouvaille, dans un sinistre pamphlet de mauvais aloi, ses sbires ont récemment publié, comme des ratons, «le Livre noir» dans lequel la présidence provisoire s’attaque, de manière arbitraire, capricieuse et injustifiée, à l’intelligentsia, aux artistes, aux journalistes et aux sportifs du pays, une communauté qui relève de la mémoire du pays.

Les dégâts collatéraux occasionnés par cette feuille de choux sont énormes. Il a porté préjudice, gratuitement, à des centaines de personnes honnêtes. Ses auteurs doivent payer…

D’ailleurs, la réponse des républicains du pays et de la société civile ne s’est pas fait attendre. Une véritable guérilla juridique est engagée contre les membres de «la Cage aux folles» de Carthage.

Un juge d’instruction a ordonné l’ouverture d’une enquête judiciaire concernant la publication du “Livre Noir“ par le service de la communication de la présidence de la République. Ce dernier a utilisé, en dehors de tout cadre légal, les archives de la présidence pour régler ses comptes avec certains journalistes insoumis.

Des personnalités d’Europe, de Jordanie et d’Egypte entendent également poursuivre en justice le président provisoire pour diffamation et diffusion de fausses informations sur elles.

Moralité: le président et ses myrmidons ont semé la pagaille…

Avec cet ouvrage, MMM a prouvé de manière éloquente qu’il ne gère pas un pays mais gère la haine.

Par delà le mauvais rendement des présidents qui ont gouverné la Tunisie, il est temps d’engager une réforme de cette institution dont les locataires se sont servis et n’ont jamais servi. L’objectif est de réduire leurs prérogatives et leur capacité de nuisance. Je serai d’avis de les poursuivre en justice, même à titre symbolique, pour haute trahison au regard des dégâts accomplis.