Tunisie : Une crise multiforme qui peut mener à la somalisation du pays


opinion_tunisie-06072013.jpgUne
année et demie après leur accès au pouvoir, les nahdhaouis ont été, le moins
qu’on puisse dire, catastrophiques. Par l’effet de leurs agissements, la Tunisie
est, aujourd’hui, divisée en deux et confrontée à une crise multiforme
(politique, sécuritaire, socioéconomique). Celle-ci, pour peu qu’elle perdure,
risque de déstabiliser le pays. Quand le chef des trois armées, le Général
Rachid Ammar, déclare, à la veille de sa mise en retraite, que la Tunisie risque
de connaître le sort de la Somalie et son corollaire la dislocation de l’Etat,
il n’a pas du tout tort. Au regard de la situation délétère qui prévaut
actuellement dans le pays, tous les ingrédients d’une «somalisation» du pays
sont réunis.

Pour preuve, la justice, aux relents afghans, fonctionne selon la règle des deux
poids deux mesures (carrément injuste à l’endroit des progressistes et laxiste à
l’extrême vis-à-vis des barbus importés).

Suite à la condamnation scandaleuse du rappeur Wild El 15 pour une chanson,
Raoudha Labidi, présidente du Syndicat des magistrats tunisiens, est allée
jusqu’à demander aux Tunisiens de désespérer de «la justice indépendante» avant
d’ajouter que «ce n’est qu’une parodie».

La liberté de la presse, autre pilier de tout projet de démocratie, demeure très
fragile en raison de la non- publication des textes d’application du décret-loi
115. Pis, le journaliste est devenu, avec les nahdhaouis, la bête à abattre. Son
bras armé, les forcenés des Ligues de protection de la révolution, a relayé les
salafistes pour tabasser les journalistes, dans l’impunité la plus totale. Le
Centre de Tunis pour la liberté de presse estime à plus de 250 le nombre
d’agressions perpétrées contre les journalistes depuis le début de l’année 2013
(60 pour le seul mois de mai 2013).

Au rayon des rouages de l’Etat, les institutions semblent évoluer comme des
îlots indépendants sans aucune coordination. La tête ailleurs, la présidence de
la République provisoire, sans prérogatives, fait flèche de tout bois pour se
frayer, au forceps, une place sur la scène publique au prix de brouiller les
pistes.

L’Assemblée nationale constituante (ANC) traîne du pied avant d’élaborer, dans
les temps, une Constitution, un agenda pour les prochaines échéances politiques,
une loi électorale et des législations devant régir les institutions de
régulation (audiovisuel, Conseil supérieur provisoire de la magistrature,
Instance supérieure pour l’indépendance des élections (ISIE)…

Le gouvernement brille quant à lui par son incompétence. Les ministres, pour qui
le développement est hélas le dernier souci, font tout pour déstructurer leurs
propres départements.

C’est le cas du ministère de l’Enseignement supérieur qui, par son laxisme et
parti pris, risque, si rien n’est fait pour l’arrêter, de faire disparaître à
jamais l’université publique (incidents à l’université de La Manouba et tout
récemment à celle de Jendouba).

Idem pour le ministère de la Santé qui a tendance à faire la sourde oreille aux
protestations de tous les corps médicaux et paramédicaux, constamment en grève
pour protester contre la dégradation du secteur public et de son
sous-équipement. Le ministre attendrait les recommandations d’une étude de la
Banque mondiale pour privatiser davantage les soins.

Pour mémoire, le secteur est financé actuellement à hauteur de 45% par les
patients et le reste au titre du budget de l’Etat.

Plaidoyer pour la création d’un conseil supérieur de transition de sécurité
nationale

Toujours au niveau des institutions, la coordination ne serait pas parfaite
entre l’armée, les forces de sécurité et la douane (contrebande). Si on croit le
Général Rachid Ammar, l’opération de ratissage de Jebel Chaambi a trop duré à
cause de l’absence de renseignements préalables sur ces «jamborées de
terroristes» essaimées sur les hauteurs du pays, depuis plus d’une année.

C’est pour dire que la Tunisie est par excellence confrontée à une crise
sécuritaire. Le pays est, hélas, sérieusement menacé. Il est dans le viseur des
terroristes après la découverte d’entrepôts d’armes et de cellules dormantes de
l’AQMI au centre-ouest et au nord-ouest du pays.

A ce péril, il faut ajouter l’émergence du phénomène de la police salafiste
laquelle, si rien n’est fait pour y mettre fin, va accélérer la transformation
du pays en Somalie.

Pour y remédier, Ahmed Nejib Chebbi, président de la Haute instance politique du
parti Al Joumhouri, avait proposé la création d’un Conseil supérieur de
transition de la sécurité nationale qui grouperait l’armée, la police, la garde
nationale, les partis et des représentants de la société civile (UGTT, UTICA,
UTAP…).

Il a justifié la création de ce conseil par le besoin du peuple tunisien d’être
informé de ce qui se passe dans le pays dans le domaine sécuritaire lequel ne
doit pas être l’apanage des forces de sureté nationale. «Il est inadmissible,
a-t-il-dit, que rien de crédible n’ait filtré, jusque-là, sur les circonstances
de l’assassinat de Chokri Belaid, sur la sanctuarisation du Jebel Chambi par des
terroristes, sur le poids réel des salafistes dans le pays…».

La crise est également économique: accélération de l’endettement (+10% en deux
ans), déficits record du budget et de la balance des paiements, repli, en date
du 26 juin 2013, à 96 jours d’importation, recul concomitant des trois sources
de croissance (exportations, consommation, investissement).

La recrudescence de la violence politique dans le pays avec points d’orgue
l’assassinat du leader Chokri Belaid et l’assaut mené par les salafistes contre
l’ambassade des Etats-Unis à Tunis ont impacté négativement le rating souverain
du pays, le tourisme, le transport aérien, l’investissement direct étranger
(IDE). Le retard qu’accuse la promulgation du Code des investissements ne fait
qu’aggraver la situation et pousser touristes et investisseurs à bouder le pays
pour d’autres destinations plus accueillantes.

La crise est aussi sociale. En dépit des efforts fournis à travers
l’intensification des investissements publics, le nombre des chômeurs ne cesse
d’augmenter, notamment dans les quartiers urbains et régions déshérités. Les
iniquités (fiscales, discriminations régionales) sont toujours en vigueur. Les
Caisses de sécurité sociales sont au bord de la faillite…autant de facteurs qui
augurent de situations explosives.