Système bancaire tunisien… De quelle performance on parle?

Par : Autres

 

systeme-bancaire-111212.jpgBanques performantes ? Oui, mais pour quel soutien à l’économie ?

Banques performantes : une bonne nouvelle pour qui… ?

Les récents rapports annuels de la Banque centrale de Tunisie (BCT) montrent que les banques tunisiennes, malgré la morosité de l’activité économique, ont été performantes durant les années 2010 et 2011. Depuis longtemps déjà, notre système bancaire s’est montré performant et prudent. D’ailleurs, il l’a toujours été. Rarement on enregistre une baisse du produit net bancaire (PNB) et les indicateurs de risque sont toujours au vert. On enregistre ainsi une hausse du produit net bancaire de 5,2% au terme de l’année 2011 par rapport à 2010, un rendement des actifs de 1% et une rentabilité des fonds propres de 10% en 2010.

On est d’accord que le bon comportement de tous ces indicateurs de performance est primordial pour la stabilité du système bancaire. Mais aujourd’hui, la poursuite des bons indicateurs de performance est-elle la priorité ultime pour nos banques? Non, au contraire, la performance n’est pas d’afficher des indicateurs de rentabilité en hausse, mais plutôt de satisfaire les besoins de financement de notre économie, pourtant si étroite et à fort potentiel de croissance.

Actuellement et dans ce contexte de crise, ce n’est pas un souci de performance qui se pose, mais bien un souci de stabilité et de financement, car notre système bancaire vit actuellement une situation d’instabilité à cause des erreurs accumulées dans le passé.

Un système bancaire surprotégé et instable

L’instabilité bancaire est définie comme étant la situation où la fonction essentielle du système bancaire, qui n’est autre que le financement de l’économie, venait à être perturbée par des chocs endogènes et/ou exogènes. Donc, par définition, notre système bancaire est instable car depuis des années il peine à soutenir activement l’économie, en grande partie à cause du poids important des crédits classés qui obstruent ses canaux de financement comme l’avait affirmé récemment aux médias le gouverneur de la BCT et comme l’avait souligné le rapport élaboré en 2012 par le FMI dans le cadre du programme d’évaluation de la stabilité financière (FSAP, 2012).

Plus grave encore, la part des crédits classés dans le total des prêts est considérée comme un indicateur de déclenchement des crises bancaires. Un taux de crédits incertains supérieur à 10% du montant total des prêts est un indicateur d’une crise bancaire systémique (Caprio et Klingebiel, 1996). Or, depuis les années 1990, notre système bancaire souffre d’un taux de crédits classés bien plus supérieur à 10%. Les statistiques du FSAP (2012) tablent sur un taux de 20%. Donc ce système traverse bel et bien une phase d’instabilité «cachée» ou «latente» depuis des années. On dit bien «cachée» car les banques ont toujours travaillé sous une protection rapprochée de l’État qui leur offrait un coussin de sécurité permanent et ne faisaient apparaître que leurs bonnes performances.

Depuis l’indépendance, aucun mécanisme de prévention et de gestion des crises bancaires n’a été prévu par le ministère des Finances ou par la BCT (FMI, FSAP 2012), preuve que le scénario de crise n’a jamais été imaginé auparavant. Cette volonté politique de dissimuler la véritable situation du système bancaire durant toutes ces années n’a fait que cacher son véritable talon d’Achille : sa faible capacité à financer l’économie.

De quelle performance on parle au juste … ?

Mais, cette protection offerte par l’État ne peut plus se poursuivre aujourd’hui et la performance bancaire doit changer de logique. Désormais, on est loin du compte si on continue à pense que l’objectif du système bancaire est la rentabilité, car les revenus et les gains amassés par les banques ne sont répartis qu’entre quelques milliers de personnes (employés et dirigeants des banques).

Non, la vraie performance du système bancaire est sa participation à l’activité économique. Le vrai rôle du système bancaire est d’abord et avant tout un rôle social, un rôle responsable, d’allocation efficace de l’épargne, de financement des Petites et moyennes entreprises, de stimulation de l’investissement privé, de la croissance et de l’emploi… En résumé, de répartition de la richesse qui concerne des millions de personnes.

On entend parler aujourd’hui de la nécessité de «moraliser les banques et la finance», ce n’est pas seulement une question de moraliser la finance, il s’agit de la responsabiliser, de lui indiquer le vrai rôle qu’elle devrait jouer.

La question brûlante des crédits classés

La situation dans laquelle se trouve notre système bancaire n’est pas l’œuvre des preneurs de décisions ni des actionnaires. Elle est l’œuvre de l’État qui n’a pas, jusqu’à très récemment, exprimé une ferme volonté de restructurer en profondeur le système. Ainsi, des années durant, notre système bancaire était cantonné dans une spirale sans fin, allant d’une rentabilité et d’un risque maîtrisés vers un financement de l’économie lent, insuffisant et (surtout) coûteux.

Les crédits classés obstruent les canaux de financement des banques…

Pour ne pas chavirer, nos banques sont malheureusement en train d’exploiter une combinaison «performance/faible financement» qu’on peut tenter d’expliquer de deux manières: une forte méfiance des banques à l’égard des sanctions réglementaires et un coût de plus en plus élevé des ressources.

L’accumulation des crédits classés est en train d’alimenter la méfiance des banques qui exigent des primes de risque élevées, donc un taux débiteur élevé, afin de maintenir une marge d’intermédiation qui leur permet de répondre à l’exigence (urgente) d’une hausse des provisions et de la capitalisation. Ce qui résulte certes en une bonne tenue financière mais couplée d’un faible financement de l’économie.

D’autre part, comme l’explique le rapport FSAP (2012), la part élevée des crédits classés transmet de mauvais signaux au marché sur la situation financière du système et augmentent ainsi le coût des ressources pour les banques, ce qui les contraint à exiger des taux débiteurs élevés pour maintenir une marge d’intérêt suffisante et rentabiliser leur activité. Ce comportement ne fait qu’accroître le coût du crédit bancaire et compliquer le financement des entreprises.

…et rendent inefficace la baisse du taux directeur

Par ailleurs, tant que le problème des crédits classés persiste, les autorités monétaires auront les mains liées et ne pourront pas stimuler le marché de crédit par une simple baisse du taux directeur. C’est le cas de notre Banque centrale qui, depuis 2008, a essayé à plusieurs reprises de réanimer le système bancaire, entré en berne par des baisses successives du taux directeur sans résultat aucun. Nos banques n’ont pas pu réagir à cette baisse du taux directeur, l’objectif de rentabilité couplé du taux élevé de créances douteuses les oblige de garder une marge d’intermédiation élevée, donc un coût élevé du crédit et un faible volume de financement.

Ce comportement se confirme si l’on sait que le produit net bancaire de nos banques est largement dépendant de la marge d’intermédiation. En effet, une simple analyse des données parues dans le dernier rapport de la BCT nous fait comprendre que la part de la marge d’intermédiation dans le produit net bancaire n’a diminué que de 1,6% seulement entre 2008 et 2011, malgré une baisse de la marge de taux d’intérêt et du TMM moyen respectivement de 25% et de 29%. Ce résultat montre que la rentabilité de nos banques est encore largement dépendante du taux d’intérêt appliqué sur les crédits, ce qui explique le coût relativement élevé des crédits bancaire dans notre pays.

L’urgence aujourd’hui est de sortir le système de cette spirale «performance/faible financement» en attaquant le problème de ses racines (gouvernance, cadre institutionnel, etc.) et surtout en démarrant le plutôt possible le plan de restructuration annoncé depuis quelques mois par l’ancien gouverneur de la BCT.