Tunisie – Férid Ben Tanfous : “Aux politiques de prendre les mesures nécessaires pour conforter le climat d’affaires”

ferid-ben-tanfous-atb-1.jpg L’Arab Tunisian Bank “ATB“ a réussi en quelques années à figurer parmi les leaders des banques privées en Tunisie. A l’origine de son succès, la proximité grâce à l’extension de son réseau sur tout le territoire national, le développement des produits jeunes et femmes et d’autres dans les secteurs à haute valeur ajoutée. La banque compte plus de 120 agences implantées sur tout le territoire national et peut se targuer d’être également une banque qui souffrirait de peu de créances accrochées , dont 94% d’engagements considérés comme des créances courantes, ce qui lui vaudrait le positionnement d’une banque solvable, forte d’une performance financière consolidée.

A la tête de l’ATB, depuis plusieurs années, Férid Ben Tanfous qui a osé s’aventurer dans des terrains que d’aucuns jugeaient dangereux en matière de produits bancaires, cela a valu à sa banque de devenir 3ème banque privée de la Tunisie.

Entretien.

WMC : Trouvez-vous qu’aujourd’hui en Tunisie, on parle trop de politique, peu d’économie?

Férid Ben Tanfous : Je pense que, depuis janvier 2011, les Tunisiens débattent d’une manière franche de la politique -ce qu’ils faisaient avant la révolution et peut être avec la même intensité mais en catimini. Les banquiers ou hommes d’affaires peuvent trouver qu’on ne parle pas assez d’économie parce que l’activité économique les intéresse au premier chef; l’homme de culture peut déplorer à son tour qu’on ne parle pas assez de culture ou que le débat est mal engagé. Bref, tout est question de point de vue et d’implication personnelle dans les affaires du pays.

Pensez-vous que le climat des affaires en Tunisie n’encourage pas la relance économique?

Je pense que le problème est posé à l’envers. Il appartient à la politique de relancer et de prendre les mesures adéquates pour rassurer et conforter le climat des affaires. Celui-ci n’étant qu’une composante de la politique globale du développement et de la redynamisation de la machine économique. Du reste, le climat tunisien des affaires est aujourd’hui très concerné par ce qui se passe chez nos principaux partenaires commerciaux: l’Europe et la Libye essentiellement. C’est la situation de crise que connaît l’Europe aujourd’hui tout autant que l’instabilité qui prévaut cher nos voisins libyens qui préoccupent en premier le monde de l’entreprise en Tunisie. Mais il est vrai également que toute politique économique nécessite, pour sa réussite, le maximum d’adhésion des opérateurs.

Vous avez parlé de la nécessité de gagner l’adhésion des opérateurs privés en les rassurant, gagnant leur confiance et en leur offrant les incitations nécessaires pour les pousser à s’investir sérieusement dans la relance économique. Quelle approche adopter, selon vous, pour réussir cette entreprise?

«L’entreprise» que vous évoquez est l’affaire du politique. Je ne suis pas un homme politique et je vous laisse le soin de le poser à qui de droit.

Que pensez-vous de la dernière décision de la Banque centrale d’élever le taux directeur? Est-ce la meilleure décision dans le contexte actuel et pourquoi? Et quelle serait selon vous la meilleure approche à adopter pour rassurer les banques, préserver leurs réserves tout en finançant l’économie?

La décision de la Banque centrale d’ajuster son taux directeur de 25 points de base était inscrite dans la tendance d’évolution du taux du marché monétaire et de l’inflation dans le pays. En conséquence, elle était attendue par les opérateurs économiques et ne constitue nullement une surprise, car l’Institut d’émission n’a fait que remplir son mandat et actionner le levier de base dont il dispose. Cette décision est par ailleurs la bienvenue pour le secteur bancaire car elle va contribuer à harmoniser le taux directeur avec le taux du marché tout comme elle va permettre aux banques d’améliorer quelque peu leur rentabilité.

Après avoir essuyé certains déboires après les événements de janvier 2011, les banques tunisiennes avaient besoin de ce bol d’air pour relancer les financements qu’elles accordent à l’économie et booster l’activité économique.

L’ATB a toujours essayé de suivre un système de gouvernance que vous dites en conformité avec les règles de prudence et d’éthique, ce qui vous aurait permis d’avoir un taux relativement réduit de créances classées. Aujourd’hui vous avez un rôle à jouer dans la relance économique. Quelle approche comptez-vous suivre que ce soit en direction des entreprises ou des particuliers?

Notre ligne de conduite en matière de financement de l’économie nationale reste marquée par les mêmes valeurs. L’ATB a toujours assumé son rôle de banque au service du financement de l’économie, directement ou à travers ses filiales (SICAR et autres), de la promotion de l’entreprise, de l’encouragement des jeunes compétences à créer leurs propres emplois.

Aujourd’hui, plus qu’hier, nous devons aussi veiller à accompagner les entreprises tunisiennes à traverser la mauvaise passe consécutive à la crise aigüe que connaît l’économie mondiale. Nous devons aussi les aider à faire face au surcroît de charges consécutives, notamment à la hausse des prix mondiaux des matières premières et des demi-produits qu’elles doivent importer pour pouvoir entretenir leur rythme d’activité.

En bref, l’ATB doit poursuivre son rôle de banque citoyenne en sus des efforts particuliers qu’elle doit déployer pour aider les entreprises tunisiennes à traverser la crise mondiale sans trop d’encombres.

Estimez-vous aujourd’hui que les pratiques de corruption et de malversations ont fait, en principe, marche arrière, le climat d’investissement est devenu plus propice à la mise en place de nouveaux projets?

La situation globale du monde des affaires dans le pays s’est nettement améliorée depuis janvier 2011. Il est évident que la transparence ne peut qu’aider à améliorer le climat des affaires. Le bilan global est positif sans que l’on puisse à ce niveau préciser les domaines où ces avancées ont été les plus décisives. Il y a lieu cependant d’observer qu’en 2011, il y a eu une reprise nette des intentions d’investissement. Il va de soi que le programme de relance de l’investissement public ne manquera pas de susciter des opportunités d’investissement pour le secteur privé. Notre secteur privé est, ne l’oublions pas, très entreprenant et constitue à n’en point douter l’un des centres de vitalité du pays et l’une des promesses d’avenir de la Tunisie.

On a toujours reproché aux banques tunisiennes de ne pas permettre aux régions d’être autonomes pour ce qui est de la gestion des crédits et des financements des projets vu que les décisions se prennent toujours à Tunis. Est-ce le cas pour l’ATB et pensez-vous que vous avez une responsabilité dans l’encouragement des investissements dans les régions?

Le reproche n’est guère fondé car les antennes régionales des banques disposent d’une marge d’autonomie qui leur permet de répondre aux besoins des régions. En outre, il ne faut guère perdre de vue le fait que les banques tunisiennes sont aujourd’hui à l’heure de l’Internet et de la communication numérique.

En clair, un dossier de crédit déposé à Kasserine, par exemple, est instantanément accessible via les systèmes d’information dont sont équipées les banques, à leur siège à Tunis. L’échange d’information entre le siège et l’antenne régionale se fait instantanément et en temps réel si bien que le lieu où se prend la décision devient aujourd’hui secondaire.

Ceci étant, le banquier est avant tout désireux de trouver les projets bancables pour assurer leur financement. Le banquier est aussi soucieux d’assurer le financement de projets viables car, dans le cas contraire, c’est le contribuable qui va être obligé de payer les pots cassés. La localisation des projets d’investissement relève de la compétence de l’investisseur et non du banquier.

Comment Férid Ben Tanfous voit aujourd’hui l’avenir de la Tunisie?

Avec beaucoup d’espoir et d’optimisme. La Tunisie a toujours su surmonter les crises de différentes natures, et il n’y a pas de raison pour qu’on ne le fasse plus. C’est une question de temps. Il faut un peu de patience et beaucoup de sagesse. Ma conviction est que notre pays vient de négocier un virage historique sans précédent et que les choses ne peuvent aller que dans le bon sens. Ce qui me rassure c’est que, au plus fort de l’agitation révolutionnaire qu’a connue le pays, les banques tunisiennes (et pas uniquement elles) n’ont jamais cessé de continuer à travailler et à fournir au pays les services financiers dont celui-ci a besoin.