
En face, des pays comme l’Egypte, la Syrie, le Maroc, la Jordanie ou la Tunisie, englués depuis leur indépendance dans des problèmes de sous-investissement, n’ont réussi à attirer de cette manne émiratie que la modique somme de 100 milliards de dollars pendant les dernières décades. Alors que l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique ont bénéficié de plus de 2.000 milliards de dollars en guise de placements et d’achat de bons de trésor. La finance ignore l’idéalité des principes. Les salamecs. Les effusions. Les professions de foi. C’est là une réalité dépouillée de ses apparences et affabulations. La carte du monde de la géopolitique réelle, avec ses rapports de force et ses luttes d’influence.
Pour nos frères du Golfe, on ne badine pas avec les affaires. La solidarité interarabe a ses limites. Devant les intérêts endurants des riches. Trempés depuis des lustres dans la logique de l’utilitaire. De l’immédiat. De la corbeille. De la sélection. Du gain. Du mercantilisme. Des rapports de force. Ce qui doit inciter Hamadi Jebali, chef du gouvernement provisoire issu de la Constituante, volontiers lyrique, à revoir sa copie. A ne pas vendre son âme pour un plat de lentilles. A se rendre compte de sa méprise. De l’inanité de son opération de charme en Arabie. De sa naïveté. En croyant à papa Noël. Aux bons sentiments. De nos coreligionnaires du Golfe. Caravaniers et commerçants dans l’âme. Des débordants, des privilégiés, pour qui le Printemps arabe doit demeurer sous contrôle. Confiné. Assujetti. Domestiqué. Apprivoisé. Englué dans le traitement des affaires courantes. Afin que le riche demeure riche et le pauvre continuer à être pauvre. Le monde n’est plus le royaume de Dieu, mais un champ de bataille. Depuis l’intrusion des rapports marchands dans les relations humaines.
Pourtant, l’Histoire nous mord la nuque. Le Yémen, un pays limitrophe des cheiks, n’arrive pas à apitoyer ses riches voisins sur son triste sort. Que dire de la lointaine Tunisie maghrébine? Apparemment, nos gouvernants n’ont pas encore saisi la réalité d’un monde brutal, ultra concurrentiel. Dévoyé par la finance. Caractérisé par la compétition. La mobilité. La cupidité.
Il est des temps où les intentions les plus pures ne suffisent pas pour diriger, où quelques fois même elles égarent. Ce jeu de leurre doit cesser.
En fait, personne ne peut bâtir à la place des Tunisiens le pont qu’il leur faudra franchir sur le long fleuve de la vie. Déjà coincé entre deux Etats pétroliers, le peuple initiateur de la révolte arabe et ses élites, “traverseurs“ de frontières, gagnerait à se positionner comme des compétiteurs vigoureux dans leur environnement immédiat, à méditer sur un modèle de développement solidaire et intégré, à inventer sa propre espérance, à mieux mener la gouvernance de la transition démocratique et à gérer la diversité des opinions d’une manière policée.
Il n’y a de monde, disait Nietzsche, que pour les forces, qui s’en emparent.


