Tunisie : L’Institut Pasteur de Tunis et l’affaire MMBio


hechmi_louzir-15102011.jpgProfitant du nouveau contexte créé par la révolution, l’Institut Pasteur de
Tunis
(IPT) a abandonné un projet de partenariat dont la présidence (de la
république tunisienne) lui avait imposé le partenaire –bien sûr proche des
Trabelsi.

WMC: L’Institut Pasteur a récemment conclu un arrangement amiable portant
annulation d’un projet de partenariat avec la société
MMBio

dirigée par Sami Marzougui. Quelle est la raison de cette décision?

Hechmi Louzir: La raison essentielle c’est la crainte sur la pérennité de
l’activité de production de sérums et de vaccins en Tunisie. Cette raison n’est
pas seulement en rapport avec les intérêts de l’Institut Pasteur, mais il s’agit
d’une question de santé publique. Car les produits fabriqués (BCG et sérums
thérapeutiques) sont des produits destinés essentiellement aux structures de
santé publique.

Il faut dire également que ce changement a été précipité suite à la révolution.
J’ai mon point de vue personnel par rapport à la production à l’Institut Pasteur
de Tunis (IPT)
. Cet institut existe depuis près de 120 ans et ses principales
missions sont la recherche/développement, le diagnostic spécialisé, les actions
de santé publique, la formation et une petite activité de production portant sur
cinq produits (deux formes de BCG et trois sérums thérapeutiques). Cette
activité vise essentiellement les besoins nationaux, mais peut avoir des
développements. Et pour se développer, elle a besoin, à mon avis, d’un
partenariat avec le secteur privé dans le cadre d’une structure lui permettant
toute la souplesse au niveau de la gestion. Donc, les raisons qui nous ont
amenés à chercher un partenaire sont toujours d’actualité.

Alors qu’est-ce qui a changé?

Si les raisons sont toujours d’actualité, il y a un petit bémol par rapport à ce
qui s’est passé. Quand nous avons proposé de faire ce partenariat et
d’identifier un partenaire privé pour le développement des activités de
production, l’idée était de le faire avec un partenaire stratégique opérant dans
le domaine de l’industrie pharmaceutique, et qui apporterait un plus (nouveau
produit, un savoir-faire, un nouveau marché ou un apport financier). Cette idée
a vu le jour quand l’IPT a été identifié comme structure porteuse du projet de
la technopole Sidi Thabet, dédiée aux biotechnologies et à la santé. Nous avons
alors engagé une réflexion pour voir quels seraient les produits et les outils
que nous maîtrisons pour les faire développer dans le cadre de la technopole et
de partenariats, de la vente ou location de licences, etc.

Nous avions proposé à notre ministère de tutelle une démarche en trois temps. Un
premier temps pour réaliser les études de faisabilité nécessaires, en faisant
appel aux bureaux d’études spécialisés. Un deuxième pour lancer un appel à
manifestation d’intérêt pour pré-qualifier d’éventuels partenaires industriels.
Et le troisième, de définir les critères pour l’identification du partenaire
idéal pour avancer dans le projet.

Quand ces dossiers ont été transmis, nous avons reçu une instruction de la
présidence de la République pour faire l’étude de faisabilité et ensuite entrer
directement en négociation avec un partenaire recommandé, et dont nous n’avons
découvert que plus tard les liens de parenté avec Leila Trabelsi, l’épouse de
Ben Ali.

Nous avons donc subi des pressions et souffert quelque peu. Et en ma qualité de
responsable de cette institution, j’ai réuni des experts à chaque étape. Et
c’est à ce moment que nous avons décidé –alors qu’au début il était question de
faire une étude de faisabilité en interne- de faire appel à un bureau d’études,
pour bétonner le système.

Les négociations ont duré près de deux ans et, malheureusement, nous n’avons pas
eu l’opportunité de voir d’autres offres et nous sommes restés avec cet unique
partenaire. Nous nous sommes beaucoup interrogés sur ses capacités. D’ailleurs,
certaines choses se sont précisées avec le temps.

Au début, nous pensions qu’il avait avec lui des experts étrangers, mais au
moment de la concrétisation, nous avons réalisé qu’il n’y en avait pas. Nous
avons dû revoir à la baisse la rémunération de l’Institut Pasteur dans le cadre
du contrat de location-gérance des structures de production, conclu avec la
société
MMBio, ainsi que l’estimation des biens matériels et immatériels.

Il y avait aussi le problème du personnel. Au départ, on s’était mis d’accord,
et c’était là une condition essentielle de la continuité de l’activité, pour que
tout le personnel reste en place. Parce que, comme cela s’est avéré, le
partenaire n’apporte pas de technologie, n’a pas de structure connue dans le
domaine des biotechnologies, et son apport se limite à l’aspect financier. A la
limite pourquoi pas, mais à condition que notre personnel, qui va pérenniser
l’activité, soit maintenu. Mais là aussi il a fallu discuter et notre personnel
était réticent, après discussion avec le partenaire.

Nous avons proposé qu’il y ait un détachement volontaire, c’est-à-dire que les
personnes concernées demandent volontairement à être détachées dans la nouvelle
société, à des conditions intéressantes, notamment en termes de salaire. Chose
qui n’était pas très sûre. Le personnel était donc hésitant.

Après la révolution, j’ai remis le dossier en question. J’en ai discuté avec la
nouvelle tutelle, les experts et le conseil scientifique de l’Institut et nous
sommes arrivés à la conclusion que la poursuite de ce projet présentait beaucoup
de risques. D’abord, parce qu’il n’a pas été monté dès le début de la façon dont
on l’aurait souhaité et avec la transparence requise et garantissant sa
réussite. Ensuite, les doutes sur la pérennité de l’activité en rapport avec le
partenaire persistent encore.

Pour toutes ces raisons, et après avoir consulté le ministère de la Santé
publique, nous avons arrêté tout le processus, qui n’a jamais réellement
démarré. De ce fait, la société, dont l’IPT détenait une part minoritaire du
capital, a été dissoute, et tous les contrats qui nous liaient à elles annulés.