Tunisie : Faut-il introduire en bourse les entreprises confisquées?

Diplômé de la Faculté des sciences économiques de Paris I, Fadhel ABDELKEFI a été nommé depuis 2005 directeur général de l’intermédiaire en Bourse “Tunisie Valeurs“. Son empreinte est incontestable dans le développement commercial, la création de nouveaux produits d’épargne au sein de Tunisie Valeurs ainsi que l’implantation de cette dernière au Maroc.

Président du Conseil d’administration de la Bourse de Tunis, depuis avril 2011, M. Abdelkefi nourrit l’ambition de renforcer davantage les acquis de son institution pour qu’elle joue un rôle prépondérant dans le financement de l’économie tunisienne.

Entretien.

f-abdelkefi-1.jpg

WMC : Quelle est votre analyse de la réaction du marché boursier après le 14 janvier?

Fadhel ABDELKEFI: Je tiens à préciser tout d’abord qu’il y a eu une bonne réactivité des autorités du marché, à savoir le CMF et le Conseil de la Bourse, qui se sont réunies très vite pour prendre certaines décisions. A posteriori, on a le recul nécessaire pour savoir s’il s’agissait de bonnes ou de mauvaises mesures. Je pense qu’il y a eu un vent de panique vu l’instabilité et le manque de visibilité qui régnaient durant cette période. Donc, on a pris une mesure urgente et palliative de suspendre les cotations pour éviter un crash boursier. Heureusement, les choses sont rapidement rentrées plus ou moins dans l’ordre. De ce point de vue, on peut dire qu’on a pu éviter le pire.

Concernant la réaction du marché, il faut savoir qu’il y a une composante psychologique très importante dans la prise de décision de l’investisseur en Bourse. Ce qu’on a pu observer durant cette période, c’est que la baisse a été due essentiellement aux ventes massives des actions par les investisseurs locaux et non pas par les investisseurs étrangers. Généralement, par rapport à une année de transition, ça se passe plutôt bien.

La chute de la Bourse après le 14 janvier n’a-t-elle pas révélé, selon vous, des anomalies boursières ou bien des failles de la réglementation financière?

Je ne pense pas qu’il existe des failles majeures au niveau de la réglementation. Toutefois, il faut avouer que certaines choses devraient être révisées. Personnellement, je considère précisément que le point fort de la Bourse de Tunis est son infrastructure, que ce soit réglementaire, organisationnelle ou technique. C’est vrai qu’on peut dire que notre marché boursier est petit, qu’il ne représente pas l’économie, qu’il est étroit, qu’il ne possède pas d’investisseurs institutionnels, qu’il finance très peu l’économie (seulement 6%), mais il est clair que la Tunisie, au niveau réglementaire, institutionnel et technique, est vraiment au point.

Pourriez-vous étayer vos arguments à ce niveau?

D’abord, la réglementation tunisienne est, à mes yeux, assez complète avec des textes de lois exhaustifs et des organismes de gestion et de contrôle conformes aux meilleures pratiques internationales: une Bourse privée, un régulateur (le Conseil du Marché Financier), un organisme de dénouement, la STICODEVAM (Banque centrale des titres), un fonds de garantie de marché…
Ensuite, le système de cotation de la Bourse de Tunis est l’un des meilleurs systèmes électroniques utilisés dans les bourses internationales.

En disant que la priorité doit être l’application du “Droit boursier en Tunisie“, doit-on entendre par-là que certaines lois ne sont pas appliquées?

Non ce n’est pas le cas, j’accepte les critiques qui disent que la Bourse ne joue pas son rôle, elle ne finance pas l’économie, n’est pas représentative de l’économie (pas de sociétés cotées représentant les secteurs agricole, du tourisme, de l’énergie, du transport…), mais il ne faut pas nier que l’infrastructure réglementaire du marché financier tunisien est de haute qualité, conforme aux standards internationaux.

Quels sont, selon vous, les priorités de la BVMT afin de lui permettre de jouer son rôle en tant que source de financement de l’économie?

La première priorité est d’attirer davantage d’investisseurs et d’émetteurs sur le marché financier. Pour cela, il est primordial de sensibiliser les chefs d’entreprise et les groupes familiaux aux vertus de la cotation en Bourse (levée de fonds, possibilité de valoriser leur patrimoine, problématique de la transmission, meilleure gouvernance, notoriété, transparence des sociétés, amélioration du levier fiscal…).

Du point de vue des investisseurs, leur afflux vers le marché passe par une amélioration des fondamentaux de la Bourse à savoir une capitalisation plus importante, une liquidité plus élevée et une plus grande diversité sectorielle. Pour palier à ces faiblesses, il est important donc d’augmenter la taille du marché boursier en augmentant le nombre de sociétés cotées.

La première solution serait selon moi de mettre éminemment sur le marché certaines sociétés liées à l’ancien régime; une action pleine de symbolique en cette période post-révolution pour des biens considérés comme mal acquis.

Il faudrait également penser à mettre sur le marché une partie du capital de certains fleurons nationaux tels que la STEG, Tunisie Télécom ou encore la RNTA … La réussite d’une telle opération sera bien sûr conditionnée par une bonne valorisation, attrayante pour le petit porteur.

Comment l’Etat pourrait contribuer au développement du marché boursier?

Comme je viens de le dire, la première action serait d’introduire de nouvelles sociétés en Bourse, notamment à travers un programme ambitieux de mise sur le marché de sociétés publiques et non nécessairement de blocs majoritaires.

Et puis, l’Etat a incontestablement un rôle primordial dans la mise en place d’une réglementation incitative envers les investisseurs. Je pense particulièrement à des mesures d’encouragement pour les compagnies d’assurance peu présentes sur le marché, mais également à une levée progressive des contraintes à l’investissement étranger jusque-là limité à 50%.